Lorsqu’il était étudiant à l’Institut supérieur de gestion (ISG) à Paris, Christophe Garcia avait déjà monté un convoi humanitaire. Il fit partie de ceux qui, à la fin des années 80, franchirent le rideau de fer pour aller épauler les Polonais au moment de Solidarnosc. Plus de quarante ans plus tard, il est reparti à la frontière polonaise, qu’il a même franchie, pour venir en aide cette fois-ci à la population ukrainienne. Et Christophe Garcia n’est autre que le directeur d’Eiffage Immobilier en charge de la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin de Dijon.
Cette musique et cette image resteront gravées à jamais dans ses souvenirs. Imagine de John Lennon ! La musique finale du film La Déchirure relatant les massacres des Khmers rouges au moment de la prise de Phnom Penh en 1975… Nous sommes à des dizaines de milliers de kilomètres du Cambodge et 47 ans après, mais la guerre et ses horreurs, elles, sont toujours d’actualité. Nous sommes à Medyka, une ville qui se situe du côté polonais de la frontière ukrainienne où ont transité, depuis le début de l’invasion russe, plus de 2 millions de réfugiés.
Et alors que Christophe Garcia débarque dans le camp où s’amassent les personnes à la vie brisée qui fuient le conflit, un jeune joue, sur un piano à queue installé au milieu de nulle part, ce titre des Beatles. Surréaliste et poignant !
De son périple solidaire, avec ses trois compères franciliens Rolland, Jean-Marie et Thierry, Christophe Garcia, directeur chez Eiffage Immobilier en charge de la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin de Dijon, conservera de multiples images fortes. L’une d’entre elles est même floue mais il tient à nous la montrer puisqu’elle a été immortalisée sur son portable. On devine un petit garçon avec son singe en peluche… Un enfant qu’il a aidé, tout comme sa maman, à franchir plus rapidement le poste frontière ukrainien, en le faisant passer par l’espace douanier réservé aux volontaires. Et ce, après avoir emmené des couvertures et des bouteilles d’eau aux nombreuses personnes sur la voie de l’exil attendant du côté ukrainien de pouvoir franchir le long corridor frontalier de 800 m : « Des milliers de femmes et d’enfants installés à même le sol, sur l’asphalte, en plein soleil, démunis de tout, qui n’ont ni à boire ni à manger et qui viennent de faire des centaines de kilomètres. Un véritable calvaire… mais, dans ce no man’s land, nous n’entendons pas un cri, aucun pleur. La dignité des Ukrainiens est totale ».
« Voilà ma vie… »
La même dignité le frappe lorsque le petit garçon de 4 ans et sa jeune maman – qui ont l’âge de sa petite-fille et de sa fille – doivent se séparer de leur père, qui, malgré son asthme, est jugé apte à se battre et doit les abandonner, avec leurs lourdes valises, au poste ukrainien. « J’échange en anglais avec la maman qui m’explique : j’ai fait 12 ans d’études, je suis médecin et, aujourd’hui, voilà ma vie… Ils venaient de Kharkiv et un ami les attendait de l’autre côté de la frontière pour les conduire en sécurité. Nous les accompagnons et portons leurs bagages qu’ils auraient été incapables de transporter. Revenus en Pologne, nous les confions à leur ami. Le petit garçon me prend dans ses bras longuement. Et, après avoir chargé sa voiture, leur ami nous dit : ce que vous faites est remarquable… » Et Christophe Garcia de conclure : « Mais nous n’avons rien fait ! »
Avec l’humilité qui le caractérise, jamais il ne le reconnaîtra mais ce dirigeant d’Eiffage, qui, depuis 2018, est chaque semaine sur Dijon pour accompagner la réalisation de la CIGV, fait partie de ceux qui ont fait… beaucoup.
Le 27 février, il regarde, comme tout le monde, sur son canapé les terribles images qui commencent d’affluer sur les chaînes de breaking news des immeubles détruits par les bombardements russes. Et il lance alors à son épouse: « Nous ne pouvons pas rester là sans rien faire. Parce que nous n'en pouvions plus de voir ces visages remplis de larmes, parce que nous nous identifions à ces hommes qui ont décidé de se battre pour sauver leur pays et la liberté, il nous fallait agir ! »
Dès le lundi, il prend des contacts pour organiser une collecte de produits de première nécessité. Après un premier réseau, jugé trop militariste à son goût, des consuls honoraires, dont nous tairons le nom, ainsi que l’association France-Ukraine le mettent en relation avec un réseau fiable : « Une personne que je peux qualifier de juste qui soigne des blessés de guerre dans sa maison et qui a accès à un réseau de résistants dans une base arrière à quelques kilomètres de la frontière polonaise. C’est cette personne qui a réceptionné les dons que nous avons récoltés ! » Des dons répondant à un cahier des charges bien précis et qui iront bien au-delà de leurs espérances: trois semaines après avoir décidé d’apporter sa pierre à la solidarité, il convoie un van de 9 places et 2 camionnettes (prêtées également pour l’occasion) chargés de cartons comprenant bandages, compresses, garrots, tulles gras, médicaments, seringues, glucose, sparadraps, sacs de couchage…
« Une robe noire troquée contre une mitraillette »
La direction des ressources humaines d’Eiffage à Paris lui a donné son accord pour monter cette action humanitaire à titre privé. C’est ainsi que nombre de ses collègues participent à l’accumulation du matériel médical. L’un de ses amis d’enfance offre 450 trousses de premier secours, le club de rugby de Courbevoie dont il fut longtemps le demi de mêlée se mobilise également… Les donateurs se multiplient, si bien qu’il a pu partir du parking du siège d’Eiffage à Vélizy avec 35 m3 de matériel. Le 23 mars à 6 h 30 du matin. Le lendemain, les quatre amis livrent le tout à proximité de la frontière polonaise à un avocat ukrainien, qui, comme il leur glisse, a « troqué sa robe noire avec laquelle il plaidait encore un mois plus tôt contre une mitraillette ». L’ensemble de la marchandise est le soir même en sécurité à Lviv, qui subira, rappelons-le, des bombardements 4 jours plus tard.
C’est après avoir livré leurs cartons humanitaires qu’ils rejoignent un camp de transit à Przmysl. Car le second objectif de leur voyage est d’aider des réfugiés à rejoindre la France, la région parisienne plus exactement, où trois familles sont prêtes à les accueillir. Et c’est dans ce camp, après avoir fait ce qu’ils ont pu dans « le calvaire de Medyka » où résonnaient les notes de John Lennon, que Christophe Garcia devra prononcer le « non » le plus terrible de son existence. « Nous avions aussi un cahier des charges extrêmement précis des familles franciliennes qui, eu égard à la typicité de leurs logements, ne pouvaient accueillir que des mères avec des enfants ou des adolescents. A Przmysl, les responsables nous présentent une famille ukrainienne de 5 personnes prêtes à partir : une grand-mère, deux femmes de mon âge et deux adolescents. Nous n’avions pas le choix, ce fut terrible mais j’ai dû leur dire non… », se remémore-t-il, avec une émotion qui n’est pas prête de le quitter.
En sécurité en Pologne
Depuis, les familles franciliennes ont, toutes les trois, ouvert leur porte à des réfugiés. Parmi celles-ci figurent la famille de son ami Rolland, avec qui il a effectué ce périple, qui compte désormais à son domicile une ancienne capitaine de police et ses deux enfants, son mari se battant actuellement comme capitaine dans l’armée ukrainienne.
Quant au petit garçon de Medyka dont il conserve précieusement la photo floue dans son téléphone, il en est sécurité en Pologne. Avec sa maman qui échange avec lui par mail : « Elle m’a écrit pour prendre de mes nouvelles, c’est un comble. Depuis, on s’écrit tous les jours… »
Christophe Garcia est revenu avec des images (dures) plein les yeux. Nous aurions pu aussi citer « l’absence d’ONG, de représentants des États occidentaux ou de l’Église pour accompagner le flot continu de réfugiés ».
Mais une autre image restera aussi gravée sur la rétine de ses souvenirs : « J’ai vu des centaines de jeunes, de l’âge de nos enfants, de 20 à 30 ans, originaires du Brésil, d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, de Corée, du Japon, des États-Unis, du Canada, d’Europe… Tous ces volontaires, portant des gilets jaunes ou rouges, me font dire que le monde est bon et qu’il a encore de l’avenir ». Des jeunes, qui, comme le chantait si bien John Lennon dans le film La Déchirure « imagine tous les gens, vivant leur vie en paix ». Seulement, la guerre se poursuit !
Camille Gablo