Voilà le genre d’interview qui peut surprendre. Des questions qui sortent de l’ordinaire, parfois impertinentes mais toujours souriantes… qui provoquent des réponses « cash » et… pertinentes. Pierre Cléon, expert-comptable, commissaire aux comptes, associé gérant chez Cléon-Martin-Broichot, a accepté de se prêter à un exercice sans filet.
Votre autoportrait en trois mots…
« Créatif, curieux, enthousiaste ».
Votre principale qualité ?
« La créativité. Elle fait partie de ma vie. Professionnellement, contrairement à l’image véhiculée, l’expert-comptable doit être un créatif pour accompagner ses clients et les aider à grandir. Le choix d’un schéma juridique ou fiscal, la construction d’un patrimoine, une stratégie de croissance, tout cela impose de la créativité, c’est ce qui fait l’intérêt de notre métier, du moins comme je l’exerce. Dans le privé, j’aime créer, je suis curieux de tout et ai soif de création ».
Votre principal défaut ?
« L’impatience. Elle m’aide à entreprendre, à être toujours dans l’action, de toujours mener plusieurs projets de front… mais parfois elle me fait sûrement aller trop vite et ne pas aller assez aussi loin que je le devrais ».
Les meilleurs moments de votre vie en trois dates ?
« Je m’efforce à ce que ma vie soit faite de petits bonheurs quotidiens, mes « meilleurs moments de vie », des moments simples. Vous donner trois dates est donc difficile.
La semaine dernière, un client qui, au seuil de vendre son entreprise, m’a remercié en me disant que j’avais « toujours été là, à ses côtés, comme un grand frère ». Cela fait chaud au cœur.
Dimanche dernier, une randonnée dans les Hautes-Côtes, un froid sec sous un beau soleil d’hiver, un sandwich en pleine nature dans nos beaux paysages bourguignons…
Le week-end suivant, quand Marie-Jean et moi nous retrouvons nos trois enfants et leurs chéris ».
Si vous aviez dû faire un autre métier ?
« Architecte, un métier qui mêle création, dessin, technique et management. Bien moins éloigné qu’il n’y parait de l’expertise-comptable. Mais qui a l’avantage de semer des bâtiments qui restent dans le temps et qui peuvent rendre la vie encore plus belle ».
Votre chiffre préféré ?
« Le 1. Pour ne pas aller plus loin, signe de mon impatience. Synonyme de premier. Peut-être aussi lié à mon goût pour une certaine solitude. Pour le produit unique, le produit ou le service de belle qualité réalisé uniquement pour celui à qui il est destiné ».
Que vous inspire cette citation : « Le malheur de l’homme est qu’il a une âme de comptable » ?
« Je la partage. Trop souvent, l’homme manque de hauteur de vue. C’est ce qui me passionne dans mon métier, la comptabilité n’est qu’un outil. Il faut savoir l’exploiter et en tirer toute la richesse pour comprendre le passé, l’analyser, anticiper l’avenir. C’est le rôle de l’expert-comptable d’aider le chef d’entreprise à faire son bilan, pas seulement celui financier de son entreprise mais aussi de là où il est professionnellement et personnellement et l’aider à définir sa stratégie, là où il veut aller. Nous sommes dans l’intimité des chefs d’entreprises, leur accompagnant de l’ombre, leur aiguillon, et parfois leur soutien. Voilà pourquoi je fais avec passion ce métier, pas avec une âme de comptable ».
Si vous disposiez de la merveilleuse lampe d’Aladin, quels seraient les trois vœux que vous formuleriez ?
« M’offrir un château du XVIIe, le restaurer avec ma chérie et lui redonner vie.
Posséder un hélicoptère pour me déplacer vite et en toute liberté.
Pouvoir dormir 3 heures de moins chaque nuit pour encore plus profiter de la vie ».
Le mot de la langue française que vous aimez le plus ?
« Liberté. Dans un monde contraignant, je m’efforce en permanence de conserver la mienne, pour profiter des instants qui me sont chers, même ceux les plus simples mais qui, pour moi, sont le sel de la vie ».
La valeur essentielle à défendre ?
« La liberté, tant bafouée dans notre société actuelle. Liberté de faire, liberté de dire, liberté de regarder, liberté de vivre… Je suis excédé par le carcan qui nous entoure et par l’absence de réaction générale. J’ai le sentiment que chaque jour notre espace de liberté se rétrécit sans que bien peu le dénonce. J’ai la nostalgie des films des années 70 où l’on fumait, roulait vite et sans ceinture, draguait, jugeait, critiquait, moquait, entreprenait sans contrainte, sans être mis sur le ban de touche et regardé comme un paria ».
Qu’est ce qui ne vous fait pas rire du tout ?
« Cette soi-disant bien-pensance qui veut aujourd’hui nous imposer des idées portées par des minorités bruyantes et organisées pour museler. Luttons pour que l’on ne nous impose pas un monde dont nous ne voulons pas ».
La question qu’on ne vous a jamais posée et que vous aimeriez que je vous pose ?
« Et votre femme dans tout cela ? »
Et si je vous la pose ?
« Elle est essentielle dans ma vie. L’amour n’est plus à la mode, tant pis, je n’ai jamais couru après la mode, trop épris de liberté. Marie-Jean et moi sommes fusionnels, nous avons le même goût d’entreprendre, de construire, le goût des belles choses, de découvrir, d’apprendre… Elle m’aide à avancer, elle me soutient, elle m’oblige à l’exigence, elle est toujours à mes côtés. J’ai besoin d’elle et je pense qu’elle a besoin de moi ».
L’homme qui vous inspire le plus dans l’histoire de France ?
« Napoléon. Il a su reconstruire la France au lendemain de la Révolution, rebâtir un pays détruit, réconcilier un peuple qui venait de se déchirer, construire pour l’avenir, redonner une grandeur à la France. Et aussi en révolte aux critiques entendues ces temps derniers à son égard : comment peut on juger sans discernement des évènements d’il y a deux siècles avec notre simple regard actuel, sans remettre dans le contexte ? Je m’oppose fermement à ceux qui veulent nier l’Histoire de notre France ».
Et la femme ?
« Simone Veil, pour son combat politique, son courage, sa grande classe et pour le fait qu’elle a su rebondir après les terribles épreuves subies dans sa jeunesse. Je suis réellement admiratif ».
Si vous aviez dû vivre dans un autre siècle… Lequel choisiriez-vous et pourquoi ?
« Le XVIIIe, pour sa créativité, son esthétique, son esprit des libertés… même si le XXIe offre bien des avantages ! »
Quels posters aviez-vous dans votre chambre d’adolescent ?
« Pas vraiment de poster, mes passions sont nées plus tard… »
Le dernier livre que vous avez lu ?
« Belle Greene d’Alexandra Lapierre. L’histoire vraie de cette Américaine, blanche de peau mais qui avait le défaut de posséder du sang noir. De ce fait, au début du XXe, la société américaine lui interdisait l’accès à certains endroits, à certaines professions…. Elle a changé de nom, camouflé son passé, renoncé à se marier et à engendrer pour vivre en toute liberté. Grâce à sa culture, à sa pugnacité, à son sens de l’esthétisme, elle a créé pour JP Morgan l’une des plus belles collections de livres rares du monde, à une époque ou les femmes avaient tant de mal à s’imposer. Comment l’homme en est-il arrivé à rejeter son semblable parce qu’il possède une goutte de sang noir ? Un livre bouleversant. Et qui met en valeur le monde de l’art, des ventes aux enchères, de la recherche du bel objet rare… et j’aime cela ».
Votre série télé préférée ?
« Mon inculture est totale en série TV, peut être par crainte de devenir accro à des créations dont l’intérêt me parait limité. Parlez moi de cinéma, alors là oui, j’y vais très régulièrement. Surtout le cinéma français. Le dernier en date : Un autre monde, un film de Stéphane Brizé dans lequel Vincent Lindon joue magnifiquement le rôle d’un chef d’entreprise, broyé par les décisions de ses actionnaires, le capitalisme porté à l’excès. Un film qui dénonce les excès de la finance qui dirige le monde. J’aime m’évader au cinéma. Dans une salle de ciné, vous plongez littéralement dans le film, vous oubliez tout. L’évasion est totale. Si elle est partagée, c’est encore mieux ».
Une appli indispensable ?
« Google Map, guère plus. Je ne suis pas un grand consommateur d’appli sauf pour un usage strictement professionnel ».
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre