Série d’animation en six épisodes d’Amélie Harrault, d’après le roman fleuve Le temps des bohèmes de Dan Franck.
Que vous recommander à quelques jours de la réouverture des salles de cinéma, théâtres et musées, date tant attendue qui sera pour nous l’occasion de faire un état des lieux des sorties et ressorties prévues ? Les Aventuriers de l’Art Moderne sont alors apparus comme une évidence, avec cette envie de revenir sur une série révolutionnaire essentielle, avant de nous plonger à nouveau dans les délices de la fiction, ou de nous perdre dans des lieux de culture moins virtuels que les plateformes de streaming. La série se paie le luxe de célébrer la vie de bohème et la joie des cafés en terrasse, bonheur inestimable en cette première quinzaine du mois de mai 2021 !
Adaptée de la trilogie de Dan Franck Bohèmes (1998), Libertad! (2004), Minuit (2010), publiée ensuite chez Grasset sous le titre Le Temps des bohèmes (2015), Les Aventuriers de l’Art Moderne nous plonge dans la vie artistique et littéraire à Paris au début du XXe siècle, qui a vu naître le fauvisme, le cubisme, le dadaïsme et le surréalisme. En utilisant les codes de la fiction et à travers des illustrations, de l’animation et des documents d’époque, les six épisodes retracent les scandales et les célébrations, les tragédies et les triomphes qui ont constitué cette incroyable période de l’art moderne, des sous-sols du Bateau-Lavoir aux derniers fracas de la Seconde Guerre mondiale.
Une merveille d’intelligence poétique
La série est un choc visuel, sonore et esthétique, une merveille d’intelligence poétique où le fond est en accord avec la forme, une série d’aventures humaines et artistiques, mêlant archives, films, dessins, peintures et photographies, et célébrant l’émergence des avant-gardes. Elle est le fruit de la rencontre de deux talents. D’un côté, la multi facette Amélie Harrault, artiste virtuose remarquée par le court-métrage Mademoiselle Kiki et les Montparnos : un César, vingt-cinq prix et plus de cent sélections en festivals à travers le monde ; de l’autre l’écrivain et scénariste Dan Franck : Golden Globe pour Carlos (2010) d’Olivier Assayas, et premier français à avoir écrit une série pour Netflix, le si décrié Marseille (2015) qui lui donnera l’occasion de publier Scénario chez Grasset trois ans plus tard.
Dans Les Aventuriers de l’Art Moderne, les héros ne sont pas des mercenaires opportunistes de la révolution ou de la politique. Ils sont artistes, écrivains, poètes, muses, mécènes, marchands d’art et ont eux aussi des destins hors du commun. Ils s’appellent Max Jacob, Pablo Picasso, Guillaume Apollinaire, Gertrude Stein, Kiki de Montparnasse, Chaïm Soutine, Man Ray, André Gide, Louis Aragon, André Malraux, Jean-Paul Sartre, Robert Capa ou Desnos… Des hommes et des femmes venus du monde entier à Paris, alors capitale du monde.
« À Montmartre, au début du siècle dernier, écrit Dan Franck, ils sont d’admirables trublions. La gloire venant, ils s’achètent des voitures rapides et découvrent la mer et le soleil. La Révolution russe les attire jusqu’aux premières marches du stalinisme, la guerre d’Espagne les unit souvent, l’Occupation les divise à tout jamais. Ils aiment, ils perdent, ils se jalousent ou se congratulent, certains ne cessent pas de conquérir tandis que d’autres meurent d’ivresses ou de chagrins. »
Des cafés enfumés aux terrasses de Montparnasse
La saga nous plonge dans la vie artistique et littéraire de Paris, du début du vingtième siècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mêlant documents d’archive et techniques d’animation variées : peinture sur verre, papiers découpés, encre, gouache. Cette réalisation intelligente, innovante et imaginative donne naissance à un style unique. Amélie Harrault a en effet inventé un code graphique et des couleurs propres à chaque univers artistique, nous délivrant ne invitation à un voyage de près de cinquante ans, sublimé par la voix grave de la surprenante Amira Casar et par un incomparable travail de montage des coréalisatrices Pauline Gaillard et Valérie Loiseleux.
Le spectateur, grâce à cette fresque romanesque et biographique, traverse les cafés enfumés de la Butte, s’assied aux terrasses de Montparnasse, s’attable au Flore avec Gide et Malraux, goûte au bonheur et aux peines de la vie de bohème, partage les tragédies et les triomphes qui ont façonné cette incroyable période de l’art moderne. Une petite musique si précieuse, que le compositeur Pierre Adenot, arrangeur et orchestrateur incontournable du cinéma français vient ciseler.
Les Aventuriers de l’Art Moderne est une œuvre exceptionnelle, qui abolit les frontières entre le roman et les vies éparpillées des peintres, poètes, sculpteurs, écrivains, musiciens et cinéastes. Ces petites histoires, bousculées par la Grande, vont créer un style et une époque. À quelques jours d’une vie plus sociale, ne vous privez pas de les vivre avec ces aventuriers de génie !
Raphaël Moretto
Les Aventuriers de l’art moderne d’Amélie Harrault, en VOD sur Amazon Prime.
Le temps des bohèmes de Dan Franck, aux éditions Grasset, 1216 pages, 29 €.