Charles Coutant : « Il faut dépister le cancer »

Dès le début du mois de mai, Charles Coutant, directeur général du Centre Georges-François Leclerc, s’inquiétait du retard pris sur le dépistage et le traitement des cancers. C’est cette fois-ci à deux voix – avec Aurélie Bertaut, médecin de santé publique, responsable de la cellule prévention et dépistage du CGFL – que le professeur Coutant tire à nouveau la sonnette d’alarme. Alors que débute Octobre Rose, destiné à lutter contre le cancer du sein, ces professionnels de santé se mobilisent fortement pour que cette année 2020 ne soit pas… noire. A destination des seniors, la population la plus impactée par ce fléau, ils rappellent que le dépistage – organisé ou individuel – est capital. Et ils insistent sur le fait qu’il ne faut pas avoir peur de se rendre au CGFL, où la sécurité sanitaire bat son plein. A l’aube de la 2e vague de la Covid-19… ce message fort ne doit pas passer inaperçu !

Dijon l’Hebdo : Quelles conséquences majeures génère la crise de la Covid-19 sur le dépistage et le traitement des cancers ?

Charles Coutant : « Avec cette histoire de la Covid, il y a eu une énorme pause dans le dépistage. C’est vrai dans le dépistage organisé mais c’est aussi vrai, par exemple, pour les patientes qui sentaient une boule dans leur sein mais qui ne sont pas allées consulter leur médecin. A l’heure actuelle, cela apparaît de façon criante : nous diagnostiquons des cancers à des stades plus évolués. Aussi est-il urgent, avec la deuxième vague de la Covid qui se profile, d’inciter les patientes et les patients à faire un dépistage, à aller voir leur médecin s’ils ont une anomalie et à se rendre à l’hôpital lorsque cette anomalie doit être analysée. Et je tiens à les rassurer : dans notre établissement, par exemple, tout a été mis en place pour prendre en charge les patients avec un niveau de sécurité maximal. Ce n’est pas parce qu’ils vont venir à l’hôpital qu’ils vont attraper la Covid. Tous nos salariés ont des masques, des désinfections sont effectuées en permanence… Tout est évidement mis en place pour protéger les patients. Il faut aller à l’hôpital parce que c’est plus délétère de rester chez soi avec sa boule que d’aller se faire dépister et, si besoin, se faire traiter. Le cancer, lui, ne se confine pas ! »

DLH : Qu’en est-il du cancer chez les seniors ? Est-ce la population la plus touchée par ce fléau ?

Aurélie Berthaut : « Le cancer est une maladie également liée au vieillissement. Plus on avance en âge, plus on a de risque de cancer ! 60% des cancers et trois quarts des décès par cancer surviennent chez les plus de 65 ans. 80% des cancers du sein interviennent par exemple après 50 ans. Près de 50% des cancers du sein sont en effet diagnostiqués entre 50 et 69 ans et environ 28% après 69 ans, si bien que l’âge moyen au diagnostic est de 63 ans. D’autres chiffres sont également parlants : chez les hommes de plus de 65 ans, le cancer est responsable de 30% des morts, les maladies cardio-vasculaires de 25%. Chez leurs homologues féminines, les maladies cardio-vasculaires sont en tête (à hauteur de 28%), mais suivies de près par le cancer (22%) ».

DLH : Quels conseils donneriez-vous ainsi aux femmes et aux hommes qui sont dans cette tranche d’âge ?

Aurélie Berthaut : « Avant toute chose, il existe pour les 50 à 74 ans des campagnes de dépistage gratuites organisées. Pour le cancer du sein, une mammographie s’effectue tous les deux ans. Sachez aussi que la qualité de prise en charge est au rendez-vous, avec une double lecture des mammographies. Pour le cancer colorectal, il existe également un dépistage organisé tous les deux ans avec les tests hemoccult. En ce qui concerne le cancer du col de l’utérus, depuis 2019, la stratégie est également au dépistage organisé. Historiquement le dépistage du cancer du col reposait sur la réalisation d’un frottis cervico utérin tous les 3 ans de 25 à 65 ans. Très récemment, les recommandations ont changé pour intégrer les tests HPV. Ces tests détectent le virus à l’origine du cancer, ce qui permet d’espacer les dépistages. Car le virus, s’il persiste dans l’organisme, va développer des lésions précancéreuses sur un délai relativement lent. Le frottis, quant à lui, décèle ces lésions précancéreuses. Toute la phase de latence est dorénavant englobée. Pour la prostate, c’est un dépistage qui peut être individuel à discuter avec son médecin traitant (dosage du PSA). Pour les femmes, après 74 ans, le dépistage reste possible et recommandé mais il n’y a plus d’invitation de l’assurance maladie (dépistage individuel). En ce qui concerne les mélanomes, une visite chez les dermatologues est conseillée chaque année… »

Charles Coutant : « Lorsque les patients vont voir leur médecin généraliste, dans le cadre par exemple d’une inquiétude liée à la peau, ceux-ci peuvent transmettre les images au CGFL où nous disposons d’une onco-dermatologue qui peut les visualiser et voir s’il faut surveiller ou enlever la lésion. C’est le développement de la télémédecine adapté au dépistage ».

DLH : Pourquoi les dépistages organisés s’arrêtent-ils à 74 ans ?

Aurélie Berthaut : « D’un point de vue de santé publique, c’est le meilleur compromis qui a été trouvé à l’époque. Après 74 ans, les gens sont en moins bonne santé et peuvent présenter des co-morbidités. Mais, à partir de cet âge-là, il faut continuer les dépistages, il faut continuer d’en parler avec son généraliste. Il faut le faire. A l’époque où cet âge a été arrêté au niveau de la santé publique, les cancers ne pouvaient pas traités de la même façon qu’aujourd’hui… »

DLH : Comment prévenir au mieux ces maladies ?

Aurélie Berthaut : « Face à ces pathologies, le mode de vie peut avoir un rôle dans la prévention : il est nécessaire de maintenir une activité physique régulière et adaptée à l’âge, une alimentation équilibrée (fruits, fruits secs, légumes, légumineuses, poissons gras, limiter le sel, la viande rouge, les produits transformés), pas de tabac. Et l’alcool est à consommer avec modération… A noter que l’activité physique et l’alimentation ont un rôle protecteur mais ils sont également associés à un meilleur pronostic des cancers ».

 

Le CGFL fait partie des premiers établissements français de lutte contre le cancer. Pour preuve, vous intervenez régulièrement au congrès de l’American Society of clinical oncology de Chicago qui représente le rendez-vous incontournable pour les chercheurs du monde entier luttant contre cette maladie. Une équipe de l’Université du Queensland (Australie) aurait mis au point une nouvelle arme thérapeutique puissante contre le cancer du sein à base d’une protéine extraite du venin d’une araignée appelée « Southern Copperhead ». Qu’en pensez-vous ?

Charles Coutant : « Cela a été mis en évidence dès 2010. Elle fige les cellules, les empêche de se développer plutôt que les tuer. Le venin lutterait contre le développement des vaisseaux sanguins autour des cellules cancéreuses et donc limiterait la nourriture de la tumeur. Le but est, en fait, d’affamer le cancer. Pour l’instant, ce n’est que sur la souris et cela doit bien sûr faire ses preuves sur des études humaines mais des molécules majeures provenant de la nature, que l’on utilise tous les jours, ont déjà prouvé leur efficacité : l’éribuline est extraite des algues; les taxanes, qui représentent des chimiothérapie vraiment efficaces, proviennent de l’arbre if; je n’oublie pas non plus tous les alcaloïdes produits à partir de la Pervenche (ndlr : plante herbacée) de Madagascar. Pour l’araignée australienne, pourquoi pas mais il faudra attendre la phase 1, la phase 2 et la phase 3 des tests… Mais ce qui est antiangiogénique – le principe d’affamer la tumeur en empêchant la croissance des vaisseaux – est quelque chose d’assez dépassé par de nouvelles thérapies qui stimulent notamment le système immunitaire ».

DLH : Vous aviez déjà tiré la sonnette d’alarme durant le confinement en expliquant que « la Covid-19 avait relégué le cancer au second plan et qu’il fallait redresser la barre très vite, sinon un drame allait intervenir à l’automne ». Et l’automne débute…

Charles Coutant : « Nous sommes en plein dedans. Les tumeurs sont plus grosses, plus agressives. C’est inhérent à un retard au diagnostic et à la prise en charge. Cela signifie aussi quelque part que le pronostic sera un peu moins bon. C’est un message qu’il faut marteler : le cancer va payer un lourd tribut au confinement et à la Covid ! C’est certain… Et il ne faudrait pas reproduire cette erreur-là dans les mois qui viennent, car nous savons maintenant que la Covid ne va pas disparaître par enchantement. Même une femme qui n’aurait pas de boule mais qui a une mammographie de prévue, il faut qu’elle aille la faire car elle peut très bien avoir un cancer sans le sentir. Plus il est pris en charge tôt, plus on le soignera et avec le moins de séquelles derrière. Il ne faut pas différer… »

Propos recueillis par Camille Gablo