Roubais, une Lumière film noir français dirigé par Arnaud Desplechin avec Roschdy Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier et Antoine Reinartz
À Roubaix, un soir de Noël, Daoud (Roschdy Zem, impérial), le chef de la police locale, et Louis (Antoine Reinartz, une des révélations de 120 Battements), fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes…
Arnaud Desplechin, réalisateur césarisé du très beau Trois souvenirs de ma jeunesse, avait été marqué par une plongée en immersion de Mosco Boucault, diffusée sur France 3 voilà plus de dix ans. L’action se déroulait dans un des postes de police de sa ville natale : Roubaix, commissariat central, affaires courantes. On y voyait notamment deux jeunes femmes, qui passaient du statut de victimes à suspectes. C’est ce documentaire que Desplechin a choisi de transposer dans sa nouvelle fiction, s’emparant de dialogues réels pour les faire rejouer par deux comédiennes, habituées au cinéma naturaliste d’Abdellatif Kechiche, Sara Forestier révélée par L’Esquive et Léa Seydoux.
Roubais, une Lumière commence par un incendie, la nuit de Noël, dans l’ancienne capitale du textile au taux de chômage aujourd’hui record. D’emblée, Desplechin joue franc jeu et annonce la couleur. L’image est éclatante. En effet, malgré la saison hivernale, la chef opératrice Irina Lubtchansky choisit des tons chauds propagés singulièrement par les lumières des lampadaires.
La première partie de Roubais, une Lumière dépeint de manière inachevée des affaires pesantes et douloureuses (agression, disparition, viol) dirigées par l’imperturbable commissaire Daoud et sa nouvelle recrue, le capitaine Louis Coterelle. Peu à peu, l’étau lumineux se resserre sur les deux personnages féminins, campées magnifiquement et tragiquement par nos deux jeunes actrices, terriblement humaines.
A l’image d’un de ses maîtres à filmer, Sidney Lumet dans Un après-midi de chien, Arnaud Desplechin réussit à créer du suspense avec un motif sociétal, transcendant un simple fait divers en matériau de cinéma. Il dirige Roschdy Zem, comédien impeccable et magnétique, charismatique et imperturbable, attentif et protecteur, calme à la voix posée.
Un personnage sans visage
L’acteur aura été à l’affiche de deux polars cet été, genre qu’il affectionne particulièrement : ce formidable Roubaix réaliste mais néanmoins stylisé, et Persona non grata, thriller plus commun, son cinquième long-métrage en tant que réalisateur.
Comme nous sommes vraiment au cinéma chez Desplechin, et qu’il est un très grand réalisateur, il sera beaucoup question de (jeux de) regards dans son film. Daoud demande à une jeune fugueuse de regarder son oncle « comme un prince ou de baisser le regard », alors que le propre neveu emprisonné du commissaire refuse de le voir, voire même de le regarder. Les coups d’œil et coups d’éclat dans la seconde partie sont particulièrement poignants, donnant à Roubais, une Lumière une intensité inattendue.
Même la musique du compositeur Grégoire Hetzel est vraiment un personnage sans visage : « La musique de film est sous les dialogues, derrière les visages. Le cinéma, c’est d’abord des images avant d’être du son. C’est une fonction très humble de faire de la musique de film. Et la musique est beaucoup plus minimaliste que d’habitude, moins romanesque, plus tenue, plus post moderne. »
Grâce à cette musique si distinctive, le film bascule dans un autre univers, assumant sa différence avec la réalité. Arnaud Desplechin n’est ni Raymond Depardon, ni les frères Dardenne. Son cinéma est à la fois nocturne et lumineux, mystique et mystérieux, esthétique et réaliste. Roubais, une Lumière est un grand film noir, révélateur de l’être humain jusque dans ses aspects les plus sombres.