Le Brio

« Dramedy » française d’Yvan Attal avec le pygmalion Daniel Auteuil, la militante Camelia Jordana et l’entiché Yasin Houicha.

Neïla Salah a grandi à Créteil et rêve de devenir avocate. Inscrite à la grande université parisienne d’Assas, elle se confronte dès le premier jour à Pierre Mazard, professeur connu pour ses provocations et ses dérapages. Pour se racheter une conduite, ce dernier accepte de préparer Neïla au prestigieux concours d’éloquence. A la fois cynique et exigeant, Pierre pourrait devenir le mentor dont elle a besoin… Encore faut-il qu’ils parviennent tous les deux à dépasser leurs préjugés.

Il faut impérativement aller voir Le Brio, film remarquablement écrit à plusieurs mains, passionnément interprété par des acteurs en état de grâce et intelligemment mis en scène par le réalisateur inégal et attachant de Ma femme est une actrice : le sympathique et ingénieux Yvan Attal.

Son film commence dès le générique par un hommage à des artistes majeurs du siècle dernier, maîtres des mots, de l’éloquence et de la provocation : Romain Gary, Serge Gainsbourg et Jacques Brel. Le ton est donné …

Pendant une heure et demie, cette fable cinématographique et sociale – qui scrute notre société avec sincérité, précision et humour – avance grâce à de pertinentes péripéties et des scènes touchantes ou inattendues. La banlieue est mise en scène de façon originale, loin des lieux communs qui envahissent souvent notre cinéma. Nous suivons l’itinéraire d’une jeune femme Neïla, refusant les clichés pour mieux avancer dans la vie. « Ton rêve, c’était d’être footballeur à 12 ans, rappeur à 14 ans et aujourd’hui c’est d’être chauffeur Uber … » n’hésite-t-elle pas à balancer à son petit ami Mounir, un peu perdu le soir au pied de son immeuble. Neïla, au contraire, est habitée par la grandeur du patrimoine d’une Culture française qui traverse le temps. Elle est animée également par la force d’une langue qui peut devenir une arme redoutable pour se défendre et disculper ceux qui en ont besoin. C’est le thème central du film, lui donnant son nom : de l’italien, « brio » c’est-à-dire « vivacité ».

De vivacité, les deux protagonistes magnifiquement incarnés n’en manquent pas ! Camélia Jordana a déjà interprété deux Leïla et une Neïla au cours de sa jeune carrière, et l’artiste toulonnaise crève ici littéralement l’écran, face à un Daniel Auteuil qui avait tendance ces dix dernières années, à alterner avec parcimonie le bon et le moins bon.

Les scènes de famille ou entre amis sont d’une grande justesse. Le Brio joue sur l’opposition entre deux milieux, jusque dans les moments les plus intimes. On ne sait pas grand-chose de ce grand universitaire provocateur et misanthrope. Deux scènes désopilantes vont tout de même dessiner un peu plus le portrait de Pierre Mazard, énigmatique orateur bourru : une première avec une bourgeoise (Claude Perron) ramassant les déjections canines de son toutou, une seconde avec une vieille dame au langage fleuri dans une maison de retraite.

La caméra d’Yvan Attal et de son chef opérateur Rémy Chevrin sait rendre graphique chaque moment et chaque lieu : le quartier latin la nuit, l’université d’Assas éclairée par les écrans des Mac, les cours en amphithéâtre bondés et même les longues séquences oratoires. Le discours politique est loin d’être anodin ou convenu, l’important ici n’est pas de participer mais de gagner : « L’éloquence, la rhétorique, c’est précisément ça que je veux vous apprendre. Avoir raison, la vérité on s’en fout » affirmera haut et fort Mazard à sa jeune élève.

La musique du canadien Michael Brook participe également à la réussite totale du cinquième long-métrage d’Yvan Attal. Brook s’est fait connaître du grand public en ouverture du morceau de U2 « With or Without You » sur l’album The Joshua Tree. Il est l’inventeur de l’ « infinite guitar », création d’une note avec la capacité d’en maintenir le son après l’avoir jouée : le saint Graal du guitariste moderne. Ce fameux effet musical va amplifier les émotions des spectateurs, prêts à sentir pendant la B.O. les booms et les bangs des cœurs qui s’agitent pour les beaux yeux de la rebelle Neïla. Le tout bien entendu avec brio !

Raphaël Moretto