« Le vivre ensemble » est-ce simplement un slogan ?

 

La France est-elle rabougrie? A la demande de la Fondation du judaïsme français, l’Institut Ipsos a réalisé une enquête de fond sur le « vivre ensemble ». On a donné la parole à toutes les communautés qui coexistent dans notre pays. Trois dominantes ressortent de cette étude qui a duré un an : la montée de l’antisémitisme, le rejet de plus en plus marqué à l’encontre des musulmans, une méfiance générale qui se propage dans toute la société française : 66% des personnes interrogées estiment que « dans la vie on ne peut pas faire confiance à la plupart des gens ».

Dijon l’Hebdo pose la Question à Pierre Laffitte, chef d’établissement et directeur général du Groupe Saint-Bénigne : « Le vivre ensemble » est-ce un slogan ? Une coquille vide, consensuelle et qui n’engage personne ? »

Pierre Laffitte : « Un slogan, ça se décrète. En revanche, une règle de vie, ça se travaille. En effet, chaque individu a tendance à se cantonner dans un cercle restreint : famille, amis, collègues. Bref, là où il se sent en sécurité, avec des valeurs partagées. Pour côtoyer d’autres milieux, il faut apprendre d’autres codes, aller vers d’autres rivages… L’école, le lycée peuvent être le lieu d’excellence à cet apprentissage des autres. A condition bien sûr, que l’établissement scolaire en question n’appartienne pas à un secteur scolaire homogène – du fait d’une population favorisée ou au contraire, défavorisée. A Saint-Bénigne, nous accueillons les enfants, les adolescents de tout milieu, de toute confession, du moment qu’ils aient le niveau scolaire requis… Là, on se heurte à certains préjugés tenaces. Quant à nous, nous nous fondons sur le postulat suivant : aller à la rencontre de l’autre, découvrir d’autres codes et modes de vie. Débat et partage constituent une richesse, même si on n’est pas d’accord sur tout. Encore faut-il ne pas faire montre d’une tolérance molle !

Comment vit-on à Saint-Bénigne ? Aujourd’hui, nos activités englobent une école, un collège, un lycée, l’enseignement supérieur ainsi qu’un centre de formation. Soit au total 2 500 élèves. Nous n’avons pas oublié qu’éduquer signifie étymologiquement « accompagner ». Notre « manière de faire » est inspirée directement de l’anthropologie chrétienne et du projet Vincentien (1). Voilà qui nous amène à nous intéresser non pas à un individu, mais à une personne : l’individu est seul et isolé, la personne est un être en relation. Notre tâche est donc de nous comporter vis-à-vis des adolescents, en « véritables » adultes, c’est-à-dire en responsables, expliquant avec bienveillance les règlements, demandant le respect à la charte de conduite morale et pédagogique de notre établissement. Parfois, un rappel à ce cadre de vie est nécessaire et… toujours salutaire. Sans cet aspect-là, voire sans conflit, il n’y a pas de progrès possible.

Le terme « élève » est issu du verbe latin qui signifie élever – en somme, amener un être vivant à son complet développement. Ce que nous essayons de faire au sein du Groupe Saint Bénigne. Cela implique de suivre des modalités diverses, car les besoins de chacun sont différents. Chaque être a ses « pauvretés » – qui ne sont pas forcément économiques : il doit apprendre à les surmonter pour réussir. Nous devons faire autorité, ce qui est à l’opposé d’être dans l’autorité. Le tout est de se montrer attentif, de s’engager vis-à-vis de nos élèves, de régler leurs manques, leurs petits conflits, leurs incivilités au quotidien sur le champ! Sinon, on court le risque d’être submergé.

Nos enseignants ont bien en tête cette mission de ne laisser quiconque au bord de la route, ni d’exclure… La réussite scolaire d’un enfant, « sa » réussite à lui, ne s’inscrit pas forcément dans un temps standard. Et, c’est à respecter !

Je vais vous citer un exemple concret : chez nous, les élèves -en situation de handicap léger ou profond comme en fauteuil- ont l’opportunité de participer à des activités sportives sécurisées et adaptées, tous les vendredis. Bien évidemment, ils s’en trouvent fortifiés dans leur autonomie comme dans l’estime de soi. Ils se sentent « comme » leurs autres camarades.

Je voudrais conclure mon propos sur les deux devises qui sont les nôtres depuis 25 ans : « Zéro laissé pour compte, pour réussir tous ensemble » ; « Valoriser l’Homme et son potentiel ». Leur mise en œuvre est exigeante et engageante, pour tous. Le fait qu’elles soient intangibles démontre leur pertinence.

(1) : Saint-Vincent de Paul fut une figure marquante du renouveau spirituel et apostolique du XVIIᵉ siècle : prêtre, fondateur de congrégations, il œuvra tout au long de sa vie pour soulager la misère matérielle et morale.

Marie France Poirier