Durant mes vacances, j’ai écouté avec attention, puis avec sidération, les propos de ce lointain cousin, agriculteur de son état, qui a voulu diversifier son activité et générer de la croissance. Son histoire est malheureusement le reflet d’une certaine forme de sclérose qui sévit désormais au doux pays de France…
Mon brave cousin a mis au point un nouveau procédé de fabrication industrielle d’engrais 100 % naturel, issu de composts 100 % végétaux et utilise des brevets déposés en Suisse afin de garantir les futurs droits à l’exploitation et à la commercialisation. Des analyses en laboratoire ont démontré qu’à partir de ce biotope naturel, utilisé comme engrais fertilisant, on pouvait augmenter la production de 30 % (je vous fais grâce des détails techniques du procédé).
Il a fait construire un bâtiment dédié, a embauché en CDI un salarié qualifié et depuis plus de deux ans, après avoir investi près de 300 000 €, il se heurte à des armées de fonctionnaires qui n’arrivent pas à décider dans quelle classe ils pourraient bien mettre son nouveau produit. L’inconvénient de la nouveauté c’est précisément d’être nouvelle (!) et de ne pas répondre aux normes existantes, Monsieur de La Palisse n’aurait pas dit mieux.
Mon cousin n’est pas ignare et connaît sur le bout du doigt toutes les normes en vigueur pour qu’un bâtiment réponde aux normes environnementales. De même, il est incollable sur les avalanches de lois, normes, réglementations, circulaires, directives, tant françaises qu’européennes, qui régissent les engrais et autres composts naturels.
Il a aussi, évidemment, besoin de déposer sa marque pour commercialiser son produit. A cet effet, entre autres administrations, il a contacté la DREAL (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) qui dépend du ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. Là, malgré une débauche d’appels téléphoniques, il lui a quand même fallu un peu plus de 5 mois pour réussir à joindre la personne habilitée à lui dire si son type d’exploitation rentre dans le cadre des exploitations classées. On croit rêver, n’est-ce pas ? D’autant plus qu’il attend toujours une réponse, quelle qu’elle soit !
A ce jour, une lueur d’espoir apparaît après une réunion avec le Sous-Préfet de son département, lequel, n’en doutez pas, devra certainement en référer au Préfet, etc. etc. Avec un peu d’humour, je lui ai conseillé d’aller voir directement Ségolène Royal et Stéphane Le Foll, histoire de gagner du temps. Pendant que la France administrative avance à pas lents (euphémisme), une autre société, allemande celle-ci, exploite un brevet légèrement différend, commercialise un produit sensiblement identique, se développe à vitesse grand V et emploie en France 19 personnes dont 6 commerciaux. Aux USA, pays où les normes ne sont quand même pas totalement absentes, en moins de 3 mois une société similaire fut créée qui emploie désormais 40 personnes.
Car des normes, nous en sommes submergés ! Le 18 février 2013, le journal « Les Echos » titrait : « La France, le pays aux 400 000 normes » ! Oui, oui vous avez bien lu… Ce véritable tsunami de réglementations n’est pas nouveau puisque déjà en 1991 le Conseil d’Etat tirait la sonnette d’alarme face à « la prolifération des textes, l’instabilité croissante des règles et la dégradation manifeste de la norme juridique ».
A titre d’illustration, face à nos concurrents mondiaux, en 2012 le World Economic Forum classait la France au 126e rang sur 144 pays en matière de complexité administrative. Triste position, n’est-ce pas ? Les différents commissaires nommés, tels Alain Lambert, auteur d’un rapport sur « l’inflation normative », ont évidemment produit moult études et recommandations pour endiguer ces torrents de nouvelles normes qui, chaque année, viennent se superposer à celles déjà existantes, avec hélas des résultats quasi nuls.
Dans le seul secteur industriel, l’AFNOR recense 35 000 normes et, tous les 5 ans, elles sont passées en revue pour décider de celles qui sont soit obsolètes, soit qui doivent évoluer. En 2010, 2 250 d’entre elles ont été supprimées contre 1 900 qui ont été créées, soit un « gain » de 350 qui ne représente donc que 1 % du total. A ce rythme, nous ne sommes pas prêts de voir se concrétiser le fameux « choc de simplification ».
Au fait, savez-vous de combien de lois notre pays peut s’enorgueillir ? En 2012, on avait recensé près de 10 500 lois et plus de 127 000 décrets, sans parler des 17 000 textes communautaires ! Et la tendance n’est pas à la baisse. Positivement effarant…
Pendant ce temps, mon cousin ronge son frein, se débat dans des échanges de courriers avec des administrations qui se renvoient la balle et il n’est pas loin d’abandonner son beau projet qui, lui aussi, pourrait pourtant créer 19 emplois. Cet univers kafkaïen est le théâtre d’une mauvaise pièce où des bureaucrates minent le terrain du développement économique, attendant tranquillement l’heure de la retraite, tandis que des forces vives se battent contre ces moulins à vent. Ne vous étonnez pas si ça coince !