Quelque 25 millions d’euros après…

L’histoire de l’aéroport de Dijon ressemble à l’un de ces mauvais films où à l’heure des comptes on peine à retrouver les scénaristes, les producteurs et les acteurs. Pschitt, ils se sont évaporés de nos mémoires défaillantes… Pourtant, nous en avons entendu de ces belles envolées lyriques! : « Dijon DOIT avoir son aéroport », ou bien « Il FAUT un aéroport à Dijon », ou encore « L’avenir de Dijon passe par son aéroport »…
Toutes ces affirmations proclamées et martelées ad infinitum ont fini par transformer celles-ci en une obligation de réalisation et, scrogneugneu, on allait voir ce qu’on allait voir. Eh bien, justement, on voit que le résultat est tout sauf glorieux. Evidemment, dans un projet comme « Renaissance » (pourquoi pas « Résurrection » pendant qu’on y était ?), il y a des histoires de gros sous. Comme l’affaire était complexe et l’enveloppe globale importante, plutôt que de nommer un seul scénariste-producteur, on décida d’en nommer quatre, charge à eux de réaliser un bon film sans pour autant briguer une quelconque Palme à Cannes. Les nominés furent le conseil régional, le conseil général, la CCI et le Grand Dijon. Montée des marches, accolades, longues poignées de mains devant les photographes, les flashes ont bien crépité, les photos étaient jolies, fermez le ban, il fallait passer aux choses sérieuses.
Une étude sans doute onéreuse, pondue par on ne sait trop qui, faisait état d’un potentiel de 250 000 passagers à l’horizon 2013. Tous comptes faits, il semble que la mariée n’était pas aussi séduisante qu’on voulait bien nous la présenter puisque le nombre de passagers culmina au mieux à 42 167 en 2012 et s’établit péniblement à 25 000 en 2013. Effectuer des prévisions est un art difficile, j’en conviens, mais ce « plantage » de 90 % (excusez du peu !) me dit qu’au royaume des incompétents il y a encore de la place pour quelques hurluberlus dont le principal talent est d’afficher le plus souverain mépris pour l’argent public.
Face à cette Bérézina financière -nous en sommes désormais à un coût cumulé d’environ 25 millions d’euros- le sauve-qui-peut s’organise et nos élus locaux de se lancer dans un vibrant et inattendu plaidoyer en faveur d’une saine gestion de l’argent du contribuable, lequel assiste médusé à des numéros de haute voltige par ceux-là mêmes qui s’étaient jetés tête baissée dans un projet d’aéroport on ne peut plus mal ficelé dès le départ. J’observe que le président du conseil régional s’oriente vers une solution sans doute empreinte de bon sens en suggérant enfin un aéroport commun du genre Dijon-Dole. On aurait peut-être pu y penser avant, plutôt que de financer à fonds perdus des querelles de clocher et de cocoricos provinciaux. Mais ne chipotons pas, mieux vaut tard que jamais. La CCI, fort intelligemment, remet un peu d’argent au pot histoire de laisser passer les vacances d’été et d’honorer les vols déjà réservés et ce jusqu’au 1er septembre mais « sous condition de soutien par les collectivités territoriales », soutien qui a été acté le 19 mai dernier. Bref, personne n’a envie de dire que c’est fini…
A ce stade, je m’interroge : serions-nous donc condamnés à ne financer que des projets qui tournent aux fiascos financiers ? J’en veux pour illustration le bilan 2012 (source societe.com) de la SAS Pagny Terminal, société d’économie mixte plus connue sous le nom de Plate-forme multi-modale de Pagny, qui affiche un (tout petit) chiffre d’affaires de 147 100 € HT (en recul de 55 % par rapport à 2011) et un résultat net de – 155 000 € (en recul de 714 % ! par rapport à 2011), le tout pour un actif immobilisé de 805 000 € et des dettes financières de 514 400 € (contre 0 € de dette en 2011). Sans connaître encore le bilan 2013, il est évident qu’une fois de plus ce sera un joli gâchis de nos deniers…
Il en est de même pour ce serpent non pas de mer mais d’eau douce qu’est le projet, sans cesse repoussé, du canal à grand gabarit Rhin-Rhône dont le coût était estimé par Voies Navigables de France (VNF) entre 7,6 et 10 milliards d’euros hors taxes, financement entièrement à la charge du contribuable (Etat, VNF, collectivités locales). Officiellement, ce canal ne serait pas totalement abandonné mais seulement reporté à l’horizon 2050, ce qui souligne bien son urgente nécessité ! (Rapport de Mr. Duron du 27/06/2013, président de la commission « Mobilité 21, pour un schéma national de mobilité durable »). L’avenir nous dira s’il s’agit d’un enterrement de première classe ou d’une énième folie financière.
Ces réflexions à caractère local ne sont évidemment que roupie de sansonnet à coté de la commande nationale des nouveaux TER qui n’ont pas été calibrés correctement et qui vont nous coûter quelques dizaines (ou centaines) de millions d’euros en réfection de quais. Avouez qu’il y a des coups de pied dans l’arrière train qui se perdent ! Finalement, ces histoires d’investissements hasardeux ne sont que la résultante d’une mauvaise « salade » composée d’études foireuses, de structures étatiques devenues erratiques, de coûts systématiquement et volontairement sous-estimés, de glorioles personnelles, de groupes de pression, d’écologie à très courte vue, le tout assaisonné d’une vinaigrette à base d’impôts et de taxes en tous genres.
Vous savez quoi ? Quand le bon sens le plus élémentaire est absent, la moutarde me monte au nez !