Le concept de libre circulation des personnes a été défini à la signature de l’accord de Schengen en 1985, puis lors de la convention de Schengen en 1990, qui a instauré la suppression des contrôles aux frontières entre les pays participants. Depuis le 16 décembre 1996, une directive européenne autorise des employeurs à « détacher » des salariés pour aller travailler dans un autre pays européen, théoriquement en les rémunérant selon les conditions du droit social en vigueur dans ce pays et en payant les charges sociales dans le pays d’origine.
Voici donc ce que prévoient les textes européens qui, pour n’en être pas nouveaux, semblent soudain agacer prodigieusement Messieurs Hollande et Sapin qui, tout énarques qu’ils sont, découvrent apparemment ce problème… Prenez, par exemple, un grand centre commercial de Dijon (ou d’ailleurs) qui serait en retard sur le planning d’avancement des travaux ; via des cascades de sociétés de type « intérim », des travailleurs bulgares ou roumains, ou de quelque nationalité que ce soit, peuvent être embauchés par des groupes de BTP ou par leurs sous-traitants pour une mission de type CDD et être payés au SMIC horaire français, les charges sociales étant payées selon le barème bulgare ou roumain.
Pas besoin de vous faire un dessin : c’est tout bénéfice par rapport aux travailleurs français et certaines entreprises ont évidemment trouvé ce « bon » (?) moyen pour remporter des appels d’offres. A en croire le ministère du Travail, cela concernerait 300 000 personnes, essentiellement de la main-d’œuvre employée par le Bâtiment, l’Industrie et l’Intérim. Ces dérives ont récemment été mises en lumière dans la saga des abattoirs bretons GAD où, en toute légalité, une centaine de roumains travaillent pour 600 € par mois tandis que l’abattoir de Lampaul perd plus de 800 emplois de travailleurs français.
En Belgique, un député, David Clarinval, a pu démontrer que le coût d’un salarié d’Europe de l’Est est inférieur de moitié à celui d’un travailleur belge. Il n’hésite pas à dénoncer une concurrence déloyale et la mise au chômage de travailleurs belges au bénéfice du personnel « importé » (Journal Le Soir du 3 juillet 2013). En Europe, ils seraient un million à être « détachés », dont plus de 250 000 personnes dans le secteur de la construction (source Commission Européenne). Bref, bataille de chiffres à l’horizon sans que cela n’éclaircisse le dossier…
L’administration se trouve empêtrée dans des monceaux de textes nationaux ou européens et fait ce qu’elle peut avec ses moyens ; c’est ainsi que dans le dossier de l’EPR à Flamanville, on a découvert en juillet 2011 plus de 200 sociétés employant 3 300 salariés venant d’une trentaine de nationalités (majoritairement des Polonais, des Roumains et des Portugais) qui travaillaient pour Bouygues et sa filiale d’intérim Atlanco, laquelle – sans doute pour faire simple – était basée en Irlande mais avec des bureaux à Chypre et des contrats de travail rédigés en langue anglaise ! A ce jour, Bouygues s’est défait de sa filiale et le dossier est toujours à l’étude …
Pour savoir ce qu’on en pense en Côte d’Or, j’ai interrogé un président d’une entreprise de construction bien implantée en Bourgogne. Que dit-il ? Qu’il s’agit là d’un phénomène nouveau, qu’il lui arrive même désormais de recevoir des propositions venant de sociétés d’intérim basées le plus souvent à l’étranger et qui proposent de la main-d’œuvre à des tarifs défiant toute concurrence. Il mentionne un nombre important de travailleurs polonais sur le chantier de la Toison d’Or. Il ajoute que des grands groupes parisiens – qui ont a priori des frais de structures bien plus lourdes que celles des PME locales – viennent rafler des marchés locaux et qu’il y a lieu de s’interroger sur les éléments qui leur permettent d’être aussi agressifs en termes de prix. Il a constaté que sur un chantier face au Grand Dijon des salariés polonais étaient bien nombreux, chantier obtenu par une entreprise stéphanoise etc…
Il dénonce les cas de sociétés qui payent effectivement au SMIC français mais où les heures supplémentaires ne sont pas payées, pas plus que les samedis et dimanches travaillés ; c’est illégal certes, et les contrôles de l’administration ne sont pas assez réactifs surtout quand il s’agit de chantiers de quelques semaines.Il rappelle que sous l’impulsion de la CGPME un « small business act » avait été signé avec les pouvoirs publics locaux et que si le discours des politiques est en faveur du tissu économique local quand il s’agit de le concrétiser c’est beaucoup plus difficile au niveau des différents services. Il déplore également que dans le dossier de la construction de la CARSAT à Valmy ce soit Eiffage qui ait pu emporter le marché sans qu’il y ait eu la moindre mise en concurrence par le biais d’appel d’offre. Ce n’est pas encore tout à fait le far-west mais ça en prend le chemin. Cette concurrence est clairement légale et illégale à la fois ! En conclusion j’ai une interrogation : « Dites, vous n’en n’auriez pas un peu assez de cette Europe où la dérégulation tous azimuts revient à niveler encore et toujours vers le bas, vers le moins disant, vers le plus misérable ? ». Moi, si !