Pourquoi les retraités font-ils leurs courses aux heures les plus encombrées ?

    Scénario classique : vous êtes pressée, entre la sortie du travail, les enfants à récupérer chez la voisine, le dîner à prévoir et bien sûr, vous avez oublié le lait. Retour au supermarché sur le coup de chaud vers 18 heures. Une demi-heure d’attente au minimum, des queues à toutes les caisses. Et là, horreur, une fois défilés ces clients, devant vous ne reste qu’une petite « mamie » toute mignonne qui n’en finit pas de ranger ses affaires, redemande le prix, puis entreprend une fouille archéologique dans son porte-monnaie pour trouver la monnaie adéquate, sans oublier de discuter avec la caissière…

    Mais pourquoi donc cette dame au demeurant sympathique ne vient–elle pas aux heures creuses puisqu’elle ne travaille plus ? Et c’est là que mon cerveau commence à entrer en ébullition tout en mettant mes affaires sur le tapis roulant, puis en réglant avant de repartir comme une dératée pour arriver à jongler avec la suite de mon programme.
    Je comprends alors qu’elle vient justement exprès aux heures d’affluence, pour affronter la foule, et attendre dans la file, tout en bavardant ou en écoutant bruits et paroles : un bain de foule ! « Ma » mamy voulait un bain de foule.

    Imaginez : vous êtes à la retraite. Apparemment situation idyllique : vous allez enfin pouvoir vivre à votre rythme, relire vos classiques, aller au cinéma l’après-midi, aller aux expositions et j’en passe. Une vie à l’envers de ce que vous avez connue. Mais les habitudes des jours rythmées par le travail, les réunions, les tâches familiales vous ont façonnée et justement au lendemain de la retraite, vous vous retrouvée perdue.

    Et c’est là où « ma mamie » a grippé : devant le vide des journées ; elle a dû se retrouver un rythme… en reprenant ses habitudes et retrouver son bain de foule pour se sentir à l’unisson des autres. Rien ni personne, à part le chat, ne l’attend. Alors faire les courses vers 15 heures, aller dîner tôt ou très tard, se mettre à lire à 20 h 30, se lever à 10 heures, tout cela, peu à peu, la rend toute mélancolique.

    D’évidence, il faut retrouver « son » rythme, c’est-à-dire… celui de tout le monde ! A elle, les cabines d’essayage où l’on attend son tour, à elle le bourdonnement des autres aux caisses alimentaires, les commentaires sur les achats, le temps qu’il fait, à elle la proximité retrouvée avec les autres, tous ces autres, les étudiants, les pères et mères de famille chargés de progénitures endiablées, à elle les potins de la file, à elle de retrouver ce découpage du temps qui en fait structure la journée et les activités, à elle le mouvement rassurant de la foule, la densité des autres, le contact…

    En fait, on croit que le temps libre de la retraite va libérer. Mais non ! Restent ce besoin de présence, de sociabilité, le besoin d’être dans les découpages de la journée, comme les autres, entourée et bercée par ces habitudes. La liberté des heures, le choix des « plages » horaires tranquilles masquent en fait ce besoin d’être avec, et bien comme les autres, de faire des activités le matin, l’après-midi, la soirée en coupant avec les repas pris aux mêmes heures que tous les autres. Seul au monde, vous avez dit ? Libre ?

    Et notre retraitée écluse les caisses, vaillamment et le sourire aux lèvres, part faire ses courses, comme les autres aux heures chaudes !

    M-C. P