Michel Couqueberg : une nouvelle théorie de l’évolution

    Il y a des dates qui deviennent en quelque sorte des marque-pages dans le grand registre du temps, signalant la fin d’un chapitre et le commencement d’un autre. Dans le grand livre de la sculpture française, l’année 1979 correspond à une rencontre intérieure, celle d’un homme et d’un artiste en devenir, deux êtres qui, tout de suite, s’écoutent et se répondent, se témoignent une totale affection. Ces deux-là ont l’habitude d’être ensemble et seuls, à se parler sans dire mot.

    C’est cette année-là que Michel Couqueberg décide d’acquérir cette liberté qui exige l’entière indépendance de l’esprit. Il sait que son bonheur sera au terme de son action portée par une passion qui l’envahit complètement, dans l’accomplissement d’une œuvre suscitant la collaboration, le partage et l’échange. 1979, c’est le moment de l’autonomie comme un équilibre entre la reconnaissance des autres et la solitude de l’artiste. 1979, le tournant d’une vie, le choix d’une vie, c’est à dire révéler l’être que l’on est, être fidèle à ses certitudes. Plotin ne dit-il pas qu’il convient de se dépouiller de ce qui obscurcit, d’enlever le superflu, de sculpter sa propre statue pour n’être plus encombré de rien. C’est un peu le « Deviens ce que tu es » de Pindare repris par Nietzsche… à une époque où commencent à fleurir dans bien des domaines, la démesure, la désharmonie, voire même l’incompréhension.

    Pour Michel Couqueberg, sculpter, c’est dialoguer pour rejoindre, au-delà du langage, des concepts et de la logique, la réalité essentielle des choses et des êtres, la réalité colorée et diverse du vivant. Sculpter est un voyage au plus profond du cœur, un voyage intérieur au cours duquel les idées qui l’animent se rectifient progressivement et perpétuellement dans la recherche du vrai et du juste. Lorsque la sculpture est inspirée à ce point elle ouvre sur quelque lieu au-delà d’elle-même, elle ouvre sur l’union silencieuse et apaisée de l’Origine et de la Finitude. Elle ouvre sur le silence et la liberté d’une quête.

    Au fil du temps, son bestiaire évolue, ouvre des horizons pour prendre des ondulations improbables et douces, paradoxalement, surprenantes de réalisme, alliées avec la modernité la plus avancée. Loin des habitudes feutrées du sérail, il impose son style. Sur le fond comme sur la forme. Chaque ligne est calculée, chaque dessin longuement mûri. Le hasard n’a pas sa place ici où tout est symbole, ésotérisme, allégorie. Comme le disait Brancusi, celui qu’il considère comme son maître : plus la ligne est simple, plus il y a de force et de beauté.

    Observez son bestiaire. Observez le attentivement. Observer ces teintes rougeâtres, bleutées, brunes, noires, vertes, dorées… Eléphant, ours, sanglier, rhinocéros, cochon, chat, méduse, raie, grenouille, papillons, hibou, albatros, cormoran, libellule… C’est une nouvelle théorie de l’évolution qui n’aurait pas déplu à Darwin ! Telles les deux lionnes de la porte de la cité antique de Mycènes, toutes les œuvres de Michel Couqueberg sont en quelque sorte les gardiennes d’un hymne à la terre, à la vie et à ses pulsions les plus secrètes, capables de vous entraîner dans un univers fantastique. Observez son taureau dans la gravité de son arrêt. Faites en le tour comme un matador dans l’arène. La sculpture bronze en argenture dégradée vous laisse imaginer sa force, sa course rapide, ses colères, ses emportements amoureux… Laissez vous porter, transporter, saisir chaque fois par tant de profondeur pour mieux comprendre que l’homme ne vaut que par les forces qui le sollicitent ; ne communique qu’à travers les idéaux qu’il conçoit et partage avec les autres ; ne peut connaître la joie que par une création où il « s’échange » ; ne peut mourir heureux que s’il se sait survivre dans une œuvre accomplie.

    Alors Michel Couqueberg est-il le digne héritier de François Pompon ? Assurément. Mais il est surtout l’héritier de cette civilisation qui l’a éduqué, instruit, moralisé, humanisé en lui donnant accès à l’héritage des générations passées. Il serait même plutôt l’héritier de l’antiquité grecque et latine dont les œuvres n’ont eu de cesse de transporter les hommes dans un univers imaginaire.

    Jean-Louis Pierre

    Le dernier livre présentant les œuvres de Michel Couqueberg est disponible à l’Atelier du Moulin, 3 B chemin du Breuil. 21490 Orgeux.

    On peut visiter l’artiste et ses œuvres tout l’été, du lundi au dimanche. 03 80 47 51 68