Très répandue dans les pays anglo-saxons, la colocation entre jeunes gens gagne régulièrement du terrain en France. Les raisons ? Pénurie de logements, cherté des locations au regard des ressources d’un grand nombre d’étudiants (surtout à Paris et dans les grosses métropoles). La colocation peut également être motivée par le désir de jouir d’un appartement plus spacieux et la volonté de connaître un mode de vie conviviale – ne serait-ce que pour échapper à la solitude. Qu’en est-il de la cohabitation intergénérationnelle ? Se développe-t-elle-en France ?
Ce récent dispositif social et solidaire est souvent perçu comme une solution qui pourrait résoudre les problèmes d’isolement des personnes âgées d’une part et ceux occasionnés par la précarité des étudiants d’autre part. Il bénéficie d’un régime légal depuis octobre 2018.
Cependant, la cohabitation intergénérationnelle est bien loin d’atteindre le régime de croisière escomptée à l’occasion de la dernière concertation nationale du « Grand Age et Autonomie ». Des villes comme Troyes notamment avaient lancé ce genre d’initiative – mais uniquement limitée aux séniors. Au bout d’à peine 4 ou 5 ans, ce fut l’échec : avec l’aide des services sociaux, une demeure avait été mise à la disposition de six couples afin qu’ils partagent une vie au quotidien ponctuée bien sûr par des courses, le ménage, la confection des repas ainsi que les loisirs culturels, associatifs ou sportifs. Chacun des couples jouissait d’un espace particulier, mais partageait avec les autres colocataires de leur âge la cuisine, la salle-à-manger ainsi que les sanitaires. L’expérience a capoté brutalement le jour, où l’animatrice chevronnée et charismatique – sur qui reposait l’orchestration de ces existences partagées – a pris… sa retraite.
Est-ce-à dire qu’un tel fonctionnement dépend des qualités exceptionnelles dont un responsable dument désigné soutient la voûte de ce mini édifice social ? Pour Andrée, pas question de suivre cette voie commune : « J’ai 75 ans et suis en bonne santé, explique-t-elle avec un large sourire. J’adore mon autonomie, je chéris ma liberté, quitte à affronter des moments de solitude parfois difficiles. J’aime évoluer dans mes meubles, regarder mes tableaux, réfléchir dans le silence et même dans une sorte d’ennui. Je suis une lectrice compulsive : une fois fourrée dans un bouquin, inutile de préciser qu’aller au marché puis participer à la confection d’un repas en commun, ça ne me dit rien qui vaille ! De plus, il m’arrive de faire la grasse matinée au-delà du raisonnable ! Je ne me vois pas renoncer à mes autres manies : le goût de la propreté à l’excès, une façon de m’alimenter plutôt spartiate et finalement, au fil des ans, un grand besoin de me retrouver toute seule. Je suis lucide sur mon cas : je suis devenue psycho-rigide et je souffrirais beaucoup de devoir me plier à un rythme qui n’est pas le mien… »
Et ces messieurs, une fois veufs ou divorcés ? Albert : « Pour rien au monde, je ne me vois participer à des courses ou à la conception des repas. Ou encore moins me taper un match à la télé dans un salon, en compagnie d’autres coreligionnaires. J’aime ma tranquillité et j’ai le désir qu’on me fiche la paix ! » Grosso modo, Hervé ne dit pas autre chose, si ce n’est qu’il avoue avec humour : « Si nécessaire, je prendrai un petit deux-pièces dans une maison de retraite ou – et c’est ce qui aurait ma préférence – je tâcherai de me trouver une compagne avant que tout désir de séduction ne me quitte. In fine, pourquoi ne pas passer par un site de rencontre? »
On l’a compris : la coloc, c’est pour les jeunes. Le chez-soi, fût-il minuscule, demeure le pré-carré des séniors. Quant à « matcher » les générations montantes et celles qui affichent au compteur une date de péremption pas vraiment lointaine, c’est là une chimère nourrie par des sociologues hors-sol et qui se veulent « modernes ». Hélas, l’être humain a beau être biodégradable, il n’entend pas recycler sa vieillesse et préfère battre en retraite dès qu’est mentionnée l’éventualité d’une colocation…
Marie-France Poirier