J’habitais dans un grenier. Poussiéreux, tendu de toiles d’araignée, sombre comme tous les greniers. A côté de moi, s’entassaient des malles anciennes, pleines de souvenirs. Les unes accumulant des vêtements aimés, des robes d’enfant, de mariée, que l’on n’avait pas voulu éliminer. Les autres des livres de toutes sortes, livres d’école, livres de poésie, de géographie que les enfants de la maison, quand ils venaient en vacances dans la maison, aimaient ressortir. D’autres encore abritant des services à café, des plats immenses, des verres précieux dont on ne se servait plus. Et puis il y avait les malles à jouets, mes préférées où dormaient les poupées oubliées, souvent froides du chagrin de n’être plus aimées.
Je leur parlais à travers le bois et le cuir. Je leur disais qu’un jour peut-être, non, sans doute, une petite fille viendrait qui les ferait revivre. La dernière arrivée, la plus petite, avait de longues anglaises dorées, des yeux de faïence bleus, une robe de velours rose festonnée de dentelle et de petites bottines à lacets.
Elle se désolait, toute seule dans son chagrin. Les autres poupées, habituées à leur isolement, tentaient vainement de l’apprivoiser :
– « Regarde, nous ne sommes pas si mal que cela ! Nous n’avons plus à être manipulées dans tous les sens, ni traînées à bout de bras. Nous sommes tranquilles, nous pouvons discuter entre nous, dans cette malle confortable, tapissée de tissu. »
Certaines avaient même de jolis petits édredons de soie sur lesquels elles étaient assises. Elles ne voyaient pas le temps passer. Dans leur petites têtes de poupées, la vie d’ « avant » n’était plus qu’un lointain souvenir, une sorte de parenthèse dans leur vie d’objet.
« Mais, je ne suis pas un objet, protestait la petite. J’avais une maison, des habits, des amis en peluche et surtout une petite fille qui m’aimait. Elle me prenait dans ses bras, m’habillait, jouait avec moi et m’emmenait même dans une poussette pour me promener. J’avais un chat aussi. Enfin, il était à elle mais il aimait dormir contre moi et ronronnait doucement. Il s’appelait…
– « Arrête de te souvenir ! C’est notre destin de poupée » mais la petite refusait le destin et son ami, le cheval à bascule, essayait en vain de la consoler :
– « Ne pleure pas, Poucette, un jour peut-être, on viendra te chercher. Il faut espérer. Moi aussi, j’ai peur parfois, mais tu sais, il y a aussi une autre vie que celle de jouet. Surtout maintenant ! Les enfants ne jouent presque plus avec nous. Ils ont tous des jeux sur d’étranges ardoises magiques, des tablettes, disent-ils et c’est avec celles-là qu’ils jouent. »
Et les jours, les mois, les années passaient dans le grenier où les saisons ne se mesuraient qu’à la chaleur ou au froid. Parfois, les malles étaient ouvertes, exhalant un parfum suranné. Une femme regardait les poupées avec tendresse, ces poupées aves lesquelles elle avait joué quand elle était petite.
– « Dormez, mes jolies. Dans quelques années vous vous réveillerez »
Et ce fut vrai. Le cheval à bascule fut de la partie. Il fut joliment repeint et les poupées furent aussi ressorties, leurs cheveux coiffées, leurs robes défripées. Deux petits enfants les attendaient pour jouer avec eux comme leur maman l’avait fait. Malgré les tablettes, ils existaient.
Ce furent des années joyeuses dans la maison. Puis ils furent de nouveau relégués au grenier. Imperturbable, le cheval disait qu’il suffisait d’attendre. Ils ressortiraient quand une autre génération d’enfants viendrait.
Mais ce ne fut pas le cas. Un jour, il y eut des visiteurs dans le grenier. Ils ouvrirent toutes les malles, mesurèrent aussi le grenier et puis, un autre jour, il vint des hommes qui emmenèrent les malles dans un grand camion. Puis un autre homme reprit le cheval et les poupées, qui se retrouvèrent dans un magasin.
Rassurant, le cheval leur dit : « Nous allons être vendus et nous aurons de nouveau un foyer. Ne pleurez pas ! »
– « Oui, mais nous serons dispersés ! Nous n’allons plus être ensemble » se lamentait la petite. Et rien ne pouvait arrêter son chagrin.
C’est alors qu’eut lieu un miracle. Peu avant Noël. Nous dirons même à Noël parce que c’est plus joli pour le conte…
Un homme vint qui les examina tous et toutes avec soin et qui décida d’emmener le cheval et la poupée. Ce n’était pas pour aller dans une maison mais dans un musée des jouets. Désormais le cheval à bascule caracole dans une jolie chambre. La petite poupée est assise au pied du lit dans une petite chaise. Autour d’eux, il y a de nouveaux compagnons, des ours en peluche, d’autres jouets, tout ce qui rend l’atmosphère d’une chambre d’enfant.
Le cheval et la poupée aiment surtout les dimanches : il y a plein de familles qui viennent les admirer et des petites filles qui les regardent, émerveillées. Il y en a même une, la fille du gardien , qui vient toutes les semaines, qui a le droit de pénétrer dans la chambre et qui effleure la joue de la petite et caresse le cheval. C’est comme une jeune maîtresse et la petite a retrouvé le sourire…
Marie-Claude Pascal
Légende photo : lespoupeesdautrefois.com
Marie-Claude, conteuse des Noëls dijonnais
Marie-Claude Pascal s’en est allée cet été. Mais elle sera plus que jamais présente dans notre mémoire à Noël, lorsque sonnera à minuit l’heure du conte. Marie-Claude s’était plu à dérouler, à l’époque des fêtes de fin d’année, l’histoire du fier sonneur de cloches de l’église Notre-Dame de Dijon et de Jacquemart, le chef d’une famille métallisée composée de sa femme Jacqueline et de leurs deux enfants dont le Jacquelinet. Conteuse dans l’âme, Marie-Claude avait fait de ce dernier le personnage central de l’une de ses fables, qu’aujourd’hui Mulot et Petitjean réédite en pain d’épices.
En grande amoureuse de Dijon, Marie-Claude aimait également prêter une âme au bestiaire du sculpteur Pompon. En témoigne l’un de ses derniers contes de Noël, « Le Soupir de l’Ours » que Dijon l’Hebdo publie à nouveau afin de perpétuer ses récits féeriques. Bonnes gens, oyez tout autant « le Rêve de Poupée » né des greniers imaginaires de Marie-Claude « avec les malles à jouets (…) où dormaient les poupées oubliées, souvent froides du chagrin de n’être plus aimées », écrivait-elle – merveilleux conte à lire dans les pages qui suivent. Et à qui un Noël extraordinaire apporta une nouvelle raison d’être choyées … Minute Père Noël, l’heure du conte de Marie-Claude te vole la vedette, juste le temps de se glisser dans nos petits souliers!
M-F. P