Il avait été une fois et il sera une fois le soupir de l’ours…

    Venu de sa lointaine banquise, il s’était installé là, dans ce jardin de ville, heureux de trouver des couleurs, des parfums, de voir du monde. Heureux dans cette ville où un certain Pompon avait pignon sur musée, avec tous ses animaux célébrés dans le bronze ou la pierre.

    Et pourtant un jour, l’ours soupira. Nostalgique de ses nuits polaires, du silence de la glace, des éclats de lumière sur les icebergs. Nostalgique de ses cieux noirs et immenses où brillaient des millions d’étoiles.

    Et l’ours soupirait. Tant et si bien que tout là-haut, dans le firmament, les constellations s’émurent. et tout particulièrement, bien sûr, la grande Ourse et la petite Ourse qui abrite l’étoile polaire.

    C’était en février .Elles consultèrent autour d’elles ces habitantes du ciel : Orion, Altair, Véga de la Lyre et Deneb, les belles de l’été, le Dragon, le Bouvier et bien d’autres encore, selon leur apparition dans l’espace et le temps, qui semblaient se dilater étrangement au fur et mesure des saisons.

    Et l’ours soupirait.

    C’était une nuit froide de décembre, quelque part vers la fin du mois, quand les humains se font de multiples cadeaux et désertent les rues pour des soirées chaleureuses autour d’un arbre de Noël enguirlandé.

    Et l’ours, seul dans son jardin, avait soupiré encore plus et fermé les yeux pour rêver d’une enfance lointaine , lorsque, blotti entre les pattes de sa maman, il regardait le firmament constellé d’étoiles dans le froid de la nuit polaire.

    Alors les étoiles se décidèrent toutes. Il fallait un Noël insolite pour l’ours en mal de pays. Ce fut une sorte de big-bang facétieux : elles brouillèrent les ondes, détournèrent aussi quelques satellites et firent s’éteindre toutes les lumières de la terre brusquement…Ce fut aussi une belle pagaille sur tous les réseaux sociaux et ces inventions connectées par lesquels les humains communiquaient désormais plus qu’en paroles.

    Seules les étoiles brillaient, toutes rassemblées pour le temps d’un rêve.

    L’ours somnolait. Mais il sentit quelque chose de bizarre dans l’air… Quelque chose d’étrange se passait. Il ouvrit les yeux :

    la ville avait disparu! C’était le noir absolu autour de lui, le silence, la nuit, redevenue immense. Pas une nuit de ville, mais une nuit d’immensité… Une nuit de Noël arctique.

    Seules les étoiles brillaient et elles avaient accroché des éclats de lumière sur le sol verglacé. Elles avaient mis des reflets d’argent sur les nappes d’eau de la fontaine .Elles avaient glissé des poussières de mica dans l’air. On aurait cru une nuit polaire, comme quand l’ours était petit, blotti au creux de la chaude fourrure maternelle.

    Et l’ours ne soupirait plus. Heureux, rêveur, il était reparti en rêve pour une nuit sur sa banquise…

    Le lendemain, la Terre n’en revenait pas. « Etrange panne de lumière sur la terre », « Un phénomène incompréhensible » titraient les quotidiens en mille langues.

    Seul le Petit Prince d’une autre histoire, du bord de sa planète mystérieuse, avait compris et souriait. « Tu vois, disait-il, à la fleur, et aussi au mouton qu’on lui avait dessiné, un autre jour, quand l’ours soupirera, de nouveau, la Terre s’effacera…

    Marie-Claude Pascal

     

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