Notre société hyper-connectée partage avec bien des civilisations antiques (gréco-romaine, celte, égyptienne, inca) le culte du soleil. Mais de nos jours, plus de sacrifices sanglants ou de rites solsticiaux aux dieux Râ, Zeus ou Lug ; ce sont nos peaux dont nous faisons offrande à l’astre solaire.
Et pour cause, nous sommes des millions à nous adonner religieusement au bronzage, qui est l’activité principale de millions d’estivants. Car dans notre société, être bronzé est synonyme de santé et de séduction, un teint hâlé constituant même un signe de distinction.
Le corps est toujours travaillé par l’air du temps. Les mannequins publicitaires et autres stars, omniprésents dans les médias, sont inégaux en talents et beauté, mais tous sont minces et bronzés. Les blafards ont rarement voix au chapitre. On les plaint ou on les moque, comme les étourdi(e)s ayant attrapé un coup de soleil, en voulant aller trop vite. Car bronzer est un passe-temps requérant patience et méthode.
Pourtant, il y a quelques décennies, le nec plus ultra, c’était d’avoir le teint clair et même la peau blanche, puisque ce sont les ouvriers qui subissaient, dehors, les ardeurs du soleil. Ils étaient tannés par la force des choses. Mais le corps est devenu l’objet d’une vénération, et dans notre société de loisir, être bronzé, cela signifie que l’on a pu s’offrir des vacances au soleil. Être halé, c’est tout à la fois avoir du temps, des loisirs, un jardin ; ou déjà une terrasse bien orientée. Pour donner le change et être cuivrés coûte que coûte, nous sommes nombreux à bronzer en cabine, à nous enduire d’auto-bronzant ou à ingurgiter des pilules à la carotène. Quant aux crèmes de protection, de préparation et d’accélération, elles sont une manne considérable, trustant les têtes de gondoles estivales. Bronzer en boîte et en tube ? Qu’importe le rayon pourvu qu’on exhibe une mine dorée, en revenant de congés.
Car si au retour de vos vacances, vous exhibez une peau blanche, on s’épanchera d’abord sur votre manque de chance, quelles que soient les merveilles que vous avez pu visiter. Par contre, un teint cuivré sera la preuve cutanée de congés réussis, un supplément d’âme pas si superficiel que ça. Le soleil rembourse de tous les désagréments exotiques, il rachète toutes les déceptions touristiques. « L’hôtel n’était pas top, les visites quelconques, les buffets style cafet’, mais bon, on a eu du super beau temps, et le soleil tout le temps », et tout est dit… Et votre mine ambrée fait la différence, en faisant des envieux ou des jaloux.
Les grandes transhumances estivales vers le sud sont une course vers le soleil, et ce Graal qu’est le bronzage. La plage est le sanctuaire de ce culte-ci, où allongés dénudés, nous nous adonnons sans réserve à ce rite collectif, pour encore quelques semaines. La grisaille automnale reviendra bien assez tôt.
Et au fait, point n’est besoin de la plage pour hâler. On trouve le soleil partout notre belle Bourgogne est clairsemée de sites qui permettent de se découvrir audacieusement pour avoir le soleil à fleur de peau. Profitons en !
Pascal Lardellier
1936 : le tournant
Avez-vous vu la belle exposition de la Mode au 18ème siècle au Musée des Beaux-Arts ? Courez-y vite ! Vous y découvrirez que bonheur n’est pas du tout dans le pré : celui ou celle qui avait le teint hâlé signifiait « travail aux champs », donc personne de petite condition… On était à une époque où, avoir un teint de rose et posséder un teint languissant était la marque des gens bien-nés (les aristos et les Bobos de la haute-finance en langue vernaculaire de 2022). Notre roman national, comme disent les historiens d’aujourd‘hui, ne manque pas d’humour : c’est 1936 qui a marqué un tournant dans la société française avec la mise en œuvre des congés payés et… du billet populaire de congés annuel. Les grandes vacances venaient d’être créées, avec ses avantages collatéraux que sont plage et bronzage. Hourrah ! « Tout nu et tout bronzé », dit la chanson. Mieux encore, si vous faisiez partie des « Bronzés font du ski » : ce fut là jusque dans les années 2015 synonyme de compte-en-banque bien garni. On connaît la suite ; les dermatos ont dénoncé les méfaits d’une exposition non-stop au soleil, et ont préconisé de garder un teint d’hiver, même au plus fort de l’été. Désormais, la France est séparée en deux blocs : les Insoumis de la bronzette et les LRD – Les Ralliés aux Dermatos. Voilà pourquoi, en se baladant sur la plage de Royan, on voit des mouflets s’amuser à construire non pas des châteaux, mais des isoloirs et des urnes de sable que l’océan effacera. Méditons-méditons…
M-F. P