La rationalité des espaces publics en lieu et place du charme discret des jardins de poche de nos quartiers pavillonnaires est la marque du siècle. Savoir lire les vieux murs - pierre par pierre, décrypter les façades des hôtels particuliers ou les fresques statuaires que déroulent nos rues, c’est la raison de vivre de Fred Augelon.
Fred Augelon est historien, professeur d’italien, conférencier au Musée Magnin et guide indépendant. Comme nul autre pareil, il sait faire entendre, à travers ses ouvrages, les voix multiples des architectures anciennes de Dijon, de Chalon-sur-Saône ainsi que de Beaune.
Quel est le grand talent de Fred Augelon ? Radioscoper, réinventer, ré-enchanter une rue, un passage, une sculpture que nous négligeons de regarder - hébétés que nous sommes par le quotidien, la routine de la vie. Ses quatre opuscules, dont « Les Maisons surprenantes » de Dijon et Chalon avec la complicité de la dessinatrice Christine Deschamps sont émaillés de croquis et de courtes annotations. Voilà de quoi séduire un large public de Bourguignons et de touristes, d’amateurs d’art également grâce à un esthétisme hérité des carnets de voyage des grands peintres orientalistes du 19ème.
Pour parfaire cette attache spirituelle, deux de ses tout nouveaux ouvrages (qu’il a lui-même illustrés) épousent la forme de dépliants que l’on étirerait, à la manière d’un bandonéon (1). Comme l’a fait Astor Piazzolla dans sa Sinfonia Buenos Aires dédiée aux rumeurs citadines de la ville, au chant de l’histoire souterraine. Attention ! Fred Augelon est un éclaireur, un inventeur, un authentique investigateur qui propose - mieux que quiconque - une interprétation passionnante de l’un des lieux les plus majestueux, les plus chargés symboliquement du vieux Dijon : la Place de la Liberté. Avec une faconde héritée d’un père italien, il nous y conduit avec alacrité, nous ramenant trois siècles en arrière : « Conçue en forme d'hémicycle, elle s'ouvre devant le Palais des Ducs et des États de Bourgogne. Elle a été pensée comme un écrin pour la statue équestre en bronze de Louis XIV érigée alors en son centre (2). Voilà une architecture qui parle ! Car, il s’agit là d’une architecture typiquement politique : la statue regarde, domine de tout son haut le Palais des Ducs - symbole de la dynastie d’origine. On comprend bien tous les axiomes de cette époque-là, où tout tournait autour du monarque et de la majesté de son pouvoir. L’architecture est orchestrée telle une dramaturgie. Quant à la rue de la Liberté, les façades de ses hôtels ou de ses demeures sont lisses, uniformes, comme au garde-à-vous devant ce roi tout-puissant que ses maîtres d’œuvre se plaisaient à imaginer venir depuis l’arc de triomphe – aujourd’hui Porte Guillaume ! »
Fred Augelon évoque ainsi une épopée qui, désormais, nous concerne de plus près et incite à réfléchir sur la « capture politique » que l’on devrait exercer sur toute architecture … Ah ! Encore un mot à propos de ce guide et conteur dijonnais à l’imaginaire buissonnier : sa « lecture » est le fruit d’un esprit pétri d’érudition, à la recherche de sensations inédites, qu’il s’agisse de peintres, de sculpteurs, d’architectes, de mécènes. De surcroit, il doit à ses origines italiennes une conscience drolatique, raffinée ainsi que sa quête sans fin – c’est sa marotte ! - du splendide tableau de « Suzanne et les deux vieillards » d'Alessandro Allori (1535-1607), l’un des fleurons du Musée Magnin.
Marie-France Poirier
- Depuis mai, ses deux nouveaux carnets de Dijon et Beaune, conçus à la façon de fresques en carton que l’on consulte en dépliant, sont en vente dans toutes les librairies ainsi que dans des boutiques du centre historique des deux cités.
- Cette statue équestre fut détruite le 15 août 1792. En raison de son poids de 26 tonnes et du mauvais état des routes, son acheminement, commencé en 1692, dut être interrompu. Entreposée à Auxerre pendant vingt-sept ans, elle fut installée à Dijon en septembre 1720.