A l’occasion de la sortie de son livre : « Uppercut & 12 rounds de vie », Achille Roger revient sur son incroyable parcours. Ex-champion du monde de boxe française en 1993 et champion d’Europe de kickboxing en 1996 et 1998, Achille Roger est un de ces battants qui se démènent face à la vie comme sur un ring de boxe. Du Tchad à la France en passant par le Cameroun, l’athlète aura constamment changé d’environnement et fait la rencontre de personnalités et d’amis qui constituent autant de témoignages qui parsèment son récit. Dans ce livre, pas de chapitres, mais des rounds qui retracent différents moments-clés et thèmes chers à ce boxeur au grand cœur.
Dijon L’Hebdo : Pour ceux qui ne vous connaissent pas, quel est votre parcours de vie en quelques mots ?
Achille Roger : « Je suis né au Tchad où j’ai été adopté par un Français. Cela m’a permis d’échapper à la guerre civile qui a éclaté dans mon pays de naissance puis de vivre entre le Tchad, la France et le Cameroun. Par la suite, je suis venu en France faire des études de maths et de physique, puis j’ai fait des sports de haut niveau. J’ai monté une entreprise dans les services de sécurité puis j’ai connu une faillite globale qui m’a jeté à la rue. J’ai finalement pu me reconstruire pas à pas et me projeter sur d’autre objectifs pour enfin faire le deuil de mon passé ».
DLH : Le 7 mars 1979 à 11 heures, c’est le jour d’un bouleversement dans votre vie ; vous quittez le Tchad pour échapper à la guerre civile alors que vous êtes encore jeune enfant. Comment l’avez-vous vécu ?
A. R : « C’est quelque chose d’encore assez traumatique dans mon inconscient et même dans ma conscience. Car c’est vrai que quand on est enfant, on n’est pas concerné par les enjeux politiques, les conflits, les guerres… surtout dans le cas d’une guerre civile où ce sont des gens qui ont la même couleur de peau qui se battent pour des raisons religieuses. L’évacuation a été assez brutale, on ne s’imagine pas être enlevé comme ça du jour au lendemain, même si c’était pour nous sauver. On a été emmené, mis dans l’avion et envoyé en France tout ça en l’espace de quelques heures en emportant l’essentiel : des vêtements et quelques souvenirs. J’ai eu la chance d’échapper à la mort même si après il y a toujours une forme de mauvaise conscience d’avoir laissé mes amis, d’imaginer le mal qui a pu leur arriver. Donc, il y aussi cette souffrance de l’abandon, d’avoir laissé mes potes. J’étais quelqu’un de très « pote » alors cela a été un déchirement. Quand j’entends aujourd’hui les enlèvements d’enfants et leur utilisation malveillante par Boko Haram, cela ravive des souvenirs douloureux. Il a fallu s’adapter et cicatriser même si ce n’est pas évident. 40 ans après, cela reste toujours une douleur ».
DLH : Vos parents étaient très attachés à ce que vous receviez une bonne éducation et vous rappelaient souvent l’importance des études générales avant tout pour réussir dans la vie. Qu’est ce que vous en dites aujourd’hui ?
A. R : « Vous savez, les parents veulent toujours que les enfants fassent des études parce que pour eux, c’est la voie qui permet d’avoir une situation stable et une sécurité financière et professionnelle. Après, c’est vrai que c’est une pression qui peut être pesante voire carrément chiante. Car naturellement, un enfant ne sait pas pourquoi il travaille, il va à l’école parce qu’on le lui demande mais fondamentalement il ne sait pas où il va. Toutefois, c’est primordial pour une certaine forme d’épanouissement, de culture intellectuelle aussi. On se rend compte très longtemps après que l’école, c’est très important. Et nous à la limite on était les bourgeois qui râlaient au Tchad, il y avait beaucoup d’enfants qui n’aimaient pas aller à l’école tandis que d’autres écoutaient les cours par les fenêtres et révisaient sous les lumières des lampadaires de la ville. Donc ça nous faisait nous dire qu’on avait des bonnes conditions et qu’il ne fallait pas trop la ramener, qu’il fallait avancer. Je n’étais pas forcément attiré par une matière précise : je voulais découvrir le monde et surtout je voulais un métier qui me permette de voyager. Pour moi, l’école c’était l’occasion d’avoir un bon boulot, de voyager, de rencontrer les potes… Je bénis l’école et l’éducation aujourd’hui qui peut permettre à un homme de s’intégrer partout dans le monde. L’école, c’est un passeport d’intégration internationale dont j’ai tiré profit ! Donc allez à l’école ! (rires) ».
DLH : « Vous dites vous-même que votre histoire aurait fait un excellent film d’action, tout comme les films de Bruce Lee dont vous avez été bercé plus petit. Quelle influence réelle ces films ont-ils eu dans votre développement physique et sportif ? »
A. R : « Vous savez, nous quand on était petit, on chahutait beaucoup, et en Afrique il n’y avait pas de goudron par terre. Quand on tombait, on ne se blessait pas comme en France sur les trottoirs. On s’agrippait, on roulait sur le sol. Et quand on voyait Bruce Lee se battre avec plusieurs mecs à la fois, on voulait tous lui ressembler. On n’avait pas de professeur à nos côtés, donc on se contentait de l’imiter, et puis on faisait des défis, des spectacles entre nous, tout comme on l’avait vu faire. Franchement, ça m’a beaucoup apporté ! Quand vous voyez aujourd’hui certains jeunes qui font des acrobaties, des saltos, des double saltos le tout sans professeur et à même le sol, c’est impressionnant ! Même au foot ils se la jouent à la Bruce Lee avec des retournés en l’air. Et ça, c’est une vélocité qui vient d’un talent naturel auquel je crois beaucoup et qui se développe aussi par l’imitation. Moi, ça m’a vraiment donné une aisance dans l’espace qui m’a ensuite servi quand j’ai commencé les sports de combat. J’étais ce qu’on appelle un boxeur aérien : je n’hésitais pas à sauter, car pour moi c’était naturel.
Quand il y a plusieurs individus à combattre, on a alors un œil qui devient périphérique. Cela m’a beaucoup aidé quand on j’ai eu deux, voire trois mecs face à moi : et ça jouait, et ça volait (PAW ! PIAW ! PIUW !). Ces simulations qu’on faisait entre potes m’ont beaucoup servi. Alors c’est sûr, les mecs en face ne s’attendaient jamais à ça, car les voyous ne font pas de sport de combat. Ceux qui avaient des katanas japonais comme je le raconte, ont dû faire un peu d’arts martiaux mais ce n’étaient pas des maîtres shaolins (rires) ! Et quand ils sont tombés sur un type comme moi qui bougeait partout, ça les a perturbés et ça m’a servi pour prendre l’avantage. Ça m’a sauvé ! »
DLH : Dans votre expérience du combat, vous avez toujours eu la volonté de vous battre à main nue et vous avez une vraie répulsion des armes létales. Vous prenez parfois l’initiative de frapper le premier, est-ce toujours pour éviter les plus grands drames qui dégénèrent ?
A. R : « C’est vrai que quand les gens sont pris de pulsions ou de colère, ils peuvent faire n’importe quoi car ils ne mesurent pas à quel point les coups peuvent blesser voire tuer. L’adrénaline fait que des gens peuvent vous faire très mal quand ils sont débordés par les nerfs. Alors que moi, j’ai la maîtrise de ma force, ce qui fait que je peux l’emporter sans détruire. C’est là ma force de pratiquant. C’est comme quelqu’un qui coupe au sabre et qui connaît la mesure pour couper complètement, entailler, couper à moitié. Pas besoin d’insister ou de taper le mec par terre. Aller au-delà, c’est échouer. Même dans une agression, on peut toujours limiter la casse mais pour cela il faut être super entrainé. Je disais à mes gars : « entraînez-vous » ou « soyez sereins et n’utilisez pas de coups de poing américains ou d’armes en tout genre ». C’est aussi un aspect du combat qui force le respect ».
DLH : Vous êtes aussi parfois un peu ce super-héros qui après avoir corrigé des malfaiteurs, amène ces derniers à s’intégrer dans la société comme pizzaiolo, caissier… c’est là quelque chose d’amusant qui s’intègre à votre éthique du combat. Comment l’expliquez-vous ?
A. R : « Vous savez dans la vie il y a des gens qui sont parfois embarqués malgré eux parce que le groupe, le gang, leur apporte une protection et une certaine force. Il faut alors qu’ils fassent mieux que le chef. Si certains en prennent conscience et se reconvertissent, tant mieux ! On peut gagner sa vie honnêtement et s’intégrer sans racket ni intimidation. Malheureusement, on vit dans une époque où on a l’impression que les groupes malsains peuvent proposer un meilleur avenir pour certains jeunes que les voies conventionnelles. Souvent d’ailleurs, ces gars-là ont le déclic avec la rencontre d’une nana : ce sont souvent les femmes qui entrent en jeu. Les parents ont beau faire, mais quelquefois c’est l’amour et cette nécessité de sécurité financière qui fait revenir dans le droit chemin. Les gamins ne sont jamais perdus quand on les rattrape à temps et qu’ils n’ont pas commis des crimes de sang ».
DLH : Votre livre est parsemé de témoignages de personnes que vous avez rencontrées et d’adversaires, comment tout cela a-t-il été rassemblé et en quoi l’écriture a été un dernier round important pour vous ?
A. R : « Cela vient du fait que quand on était petit, on avait tous un cahier de souvenirs. On le donnait aux copains en leur disant de marquer un petit mot… et j’ai toujours ce cahier avec moi encore aujourd’hui ! Quand j’ai voulu écrire cette autobiographie, il y a des choses dont je ne me souvenais plus, car la mémoire est comme un mille-feuille. Il y a des choses dont je n’avais pas les précisions et c’est pourquoi j’ai commencé à demander quelques témoignages. Après, j’ai trouvé ça intéressant car cela m’a rappelé énormément de choses ; en fait ma vision et celle des gens étaient très complémentaires. Tous ces témoignages qui m’ont servi à faire le livre méritent d’y être car ils m’ont apporté des choses que j’ai oubliées, d’une part, mais le fait que ce ne soit pas des écrivains mais des gens que j’ai rencontrés qui prennent part à mon livre, c’est aussi leur rendre hommage, à eux et à leurs écrits. Chacun y écrit dans son langage et parfois avec ses fautes et je trouvais ça bien vis-à-vis de leur soutien sans-faille de leur dire : « Allez, je vous mets dans mon livre ! » Moi, je suis un gars qui a toujours voulu ramener ses copains partout avec lui. Je les mets dans mon livre car je veux les ramener dans cette aventure. Je veux que les gens lisent directement ces témoignages intégrés au récit sans que je les retranscrive. J’ai ainsi fait quelque chose qui me correspondait, avec mes potes, des images… La dernière édition officielle comprend des cartes postales, plus d’images d’oiseaux et d’animaux de la brousse et de la couleur surtout ! Pour moi, on a toujours une âme d’enfant et j’ai fait un livre qui sera le seul de ma vie, loin de romans classiques. J’ajoute que cette nouvelle édition est en librairie à Dijon. Mon idéal de distribution est qu’il soit imprimé et distribué localement. Sans jeter la pierre à Amazon, je préfère qu’il soit imprimé en Bourgogne et distribué via des librairies mais aussi des associations étudiantes ou des associations sportives et caritatives. C’est mon vœu, que cela profite aux locaux.
Aussi, j’ai essayé de limiter les fautes au maximum, c’était pour moi un grand combat : cela m’a amené jusqu’au niveau scolaire de CM2 et ça m’a fait un bien fou ! Aujourd’hui, avec les SMS, on perd de cela et on ne sait plus écrire. Moi, cela m’a amené à faire un vrai effort psychologique. Il doit rester quelques fautes mais c’est aussi une fierté de ne pas rendre un livre plein de coquilles comme un cancre de CM1. Franchement c’est une très bonne remise à niveau globale et qui m’a été extrêmement profitable. C’est comme l’exercice de la dictée que tout le monde a fait dès son plus jeune âge. C’est stressant une dictée hein ? Bah moi c’est 500 pages de dictée que j’ai fait là (rires) ! ».
DLH : Un passeport d’intégration autre que celui qui vient de votre parcours scolaire, c’est votre humour, ce langage universel et votre vocabulaire argotique qu’on retrouve tout au long de votre ouvrage et qui fait l’objet, à la toute fin du livre, d’un dictionnaire comprenant vos propres définitions ainsi que des exemples de phrase. Quelle importance ont ces mots que vous utilisez ?
A. R : « L’humour est la clé, que ce soit envers soi ou envers les autres tout en restant respectueux. Quand on échange avec les gens, les ¾ des échanges sont basés sur des choses de la vie qui ne sont pas forcément joyeuses. D’où la nécessité de tourner en dérision, de rendre le tout plus léger. L’humour lève aussi beaucoup de pression et la dérision reste un anti-dépresseur très puissant ! Quand on était petit, on n’avait pas la télévision donc on puisait cela dans les bandes dessinées : Boule et Bill, Astérix et Obélix… tous ces scénarios étaient bourrés d’humour en permanence. Donc ça nous a forgé à ce type de communication : rigoler, échanger, tourner les choses à l’humour et à la moquerie de manière bon enfant. Tout cela demandait aussi des efforts intellectuels et de l’esprit, mais sans jamais rien de mesquin derrière.
Pour ce qui est de l’argot, c’est vrai que quand on est à l’école il faut avoir des bonnes notes partout et surtout il faut bien écrire. Certes, mais une fois dans la cour d’école, on se lâche et on sort des gros mots, des mots d’argot, des fions, des vannes potaches et c’est vrai que je trouvais que par rapport à ma propre histoire, prendre un style académique de français pur et dur, ça ne collait pas. Moi, j’ai grandi dans la brousse, et puis à la campagne nos échanges étaient teintés de ce vocabulaire paysan. Et, aujourd’hui, je l’assume. La langue française est formidable de diversité autour d’un thème ou d’un mot, et quand nous étions jeunes, se balancer des vannes et se chambrer, c’était naturel. Quand j’ai commencé à écrire ce roman, j’ai d’abord voulu m’inspirer des grands auteurs. J’ai donc acheté des prix Goncourt pour lire leur style, voir comment c’était écrit. Et puis je me suis dit en fait que par rapport à ma propre culture, les gens que j’ai fréquenté et le milieu dans lequel j’ai évolué, ça ferait trop pédant et trop péteux. S’il faut avoir un dictionnaire à côté de soi pour comprendre ce que je dis, ça le fait pas ! Je lâche les mots tel que je les sens dans le contexte et on verra bien ce que ça donne. Quand j’ai eu mes problèmes de faillite et que j’ai dû être hébergé dans des foyers d’urgence ou des foyers Emmaüs, les gens ne comprenaient pas tout. Dès que je basculais dans le mot d’argot, les gens parfois ne comprenaient pas. Ils étaient coupés de nous, et je trouvais ça dommage. Pour s’intégrer, ces gens-là aussi étaient prêts à maîtriser l’argot. C’est donc pour ça que j’ai fait un dictionnaire en annexe, pour que les gens puissent comprendre les variants. Et d’ailleurs je vais sortir dans quelques mois un dictionnaire plus global sur lequel je suis en train de travailler et qui lui comprendra 10 000 mots, 40 000 synonymes et 20 000 phrases. Ce dictionnaire n’aura pas pour vocation d’être qu’un passeport francophone, loin de là. Moi mon livre, je l’ai écrit pour qu’il soit lu en Bourgogne mais mon ambition c’est qu’il fasse le tour du monde francophone, qu’il soit lu aussi bien au Sénégal, au Congo, à Madagascar… partout où l’on parle le français. Quand vous parlez avec des gens à l’étranger et que vous essayez de trouver des mots qu’ils comprennent, ce n’est pas évident. « C’est quoi, une gonz, un branquignole… ? » Je veux que mon livre aille au Tchad, par exemple, mais il n’y a pas là-bas l’environnement linguistique que nous avons en France. Grâce à ces mots-là et leur définition, le Tchadien de base pourra mieux comprendre. Mon ambition est de faire de l’argot traduit. Chez nous on dit une meuf, une gonzesse pour une femme. Mais en tchadien c’est quoi l’équivalent ? Tout cela permet de fonder une plus grande diversité. Au Cameroun on dit un gow et on parle pour rigoler avant tout. C’est le commun des hommes de déblatérer, de râler, gueuler… ».
DLH : Vous avez une expression favorite parmi les multiples de votre dictionnaire ?
A. R : « Bah… putain de merde ! (rires) Non je dirais que c’est toujours par rapport au contexte : j’essaie toujours de trouver la meilleure vanne et le meilleur mot et c’est très divers ! C’est ça qui est bien dans les mots d’argot, c’est qu’ils forment comme un arc-en-ciel : les mots qui sont gentils, moyennement gentils et les mots qui sont méchants. Chez les gens, il y a des tempéraments qui aspirent à certains mots car cela dépend du comportement. Pour moi, tous les mots sont beaux à partir du moment où ils sont donnés comme justes. Parce qu’il y a des mots doux, aigres, d’autres décapants ! Si vous en usez alors que ça n’a pas lieu d’être, ça peut déraper. Pour moi un mot est intéressant à partir du moment où il est mis dans le contexte qu’il faut. On vous écoute quand les mots sont justes, sinon cela crée de l’incompréhension et des fâcheries. Un mot, c’est comme une note de musique : quand vous jouez de la musique, vous faites des bonnes notes et quand vous commercez avec les gens, il faut mettre les mots justes ».
Propos recueillis par Victor-Louis Barrot
« Uppercut & 12 rounds de vie » par Achille Roger. En vente dans les librairies dijonnaises.