Quand le procureur de la République de Dijon ouvre son courrier du matin le lundi 30 avril 1928, il y trouve une bien étrange lettre signée d’un certain M. Bourret, demeurant à Echenon. Sans détour, l’homme accuse l’abbé François-Georges Parot, vicaire de la paroisse de Saint-Jean-de-Losne d’avoir « tripoté » (sic) sa belle-fille âgée de seulement 11 ans…
Les faits se seraient produits dans la sacristie de l’église après le cours de catéchisme. L’abbé aurait demandé à la jeune Gilberte de rester un moment. Il l’aurait fait asseoir sur ses genoux tout en s’approchant pour l’embrasser. Surprise, la gamine a un mouvement de recul mais le prêtre la serre tout contre lui et entreprend de l’embrasser à nouveau. L’enfant arrive toutefois à se dégager de l’étreinte et prend ses jambes à son cou. Arrivée chez elle en pleurs, elle raconte tout à sa mère…
Le soir même, son beau-père pousse la porte de la gendarmerie pour porter plainte mais les pandores refusent d’enregistrer sa déclaration objectant qu’il s’agit probablement là de « bizarreries d’enfant ». A cette époque, on ne s’oppose guère à l’autorité et le pauvre homme rentre chez lui dépité.
Le lendemain, l’abbé Parot sonne à leur porte. Il vient s’excuser de sa conduite et les exhorter à ne pas porter plainte. L’enfant se sera mépris sur son geste d’amitié, voilà tout. L’abbé convient que son comportement était probablement inadapté mais témoigne de son entière sincérité et… de son affection pour la jeune Gilberte. Tout prêts d’être convaincus de la bonne foi de leur curé, les parents semblent disposer à oublier l’incident.
C’est la démarche, le soir même, de l’abbé doyen de la paroisse qui va les agacer. Insistant sur le côté fantasque des petites filles « toujours disposées à raconter des histoires » selon son expression, il demande aux parents « de ne pas créer le scandale ». Cette incursion culpabilisante va les convaincre de s’adresser à la justice. C’est le sens de la lettre adressée au procureur, laquelle dénonce « l’acte ignoble » (sic) de l’abbé Parot et demande « que la justice fasse le nécessaire »… Ce qu’elle va faire en saisissant la Sûreté dijonnaise.
Année scolaire 1925/1926
Le 2 mai, la jeune Gilberte est entendue par les inspecteurs en présence de sa mère. Elle confirme en tous points ce qu’elle lui a raconté : « L’abbé m’a fait entrer dans la sacristie et m’a saisi par le bras et fait asseoir sur ses genoux en me demandant pour quelles raisons je n’apprenais pas mes leçons de catéchisme ? …/… Je pleurais, c’est alors qu’il m’a embrassé sur la joue près de ma bouche ». Alors que les policiers embarrassés cherchent néanmoins à en savoir plus, la mère, Jeanne Bourret,50 ans, aubergiste à Echenon, coupe net l’entretien en affirmant qu’elle est persuadée qu’il ne s’est rien passé d’autre. « J’ai questionné ma fille, si cela avait été, elle me l’aurait dit, c’est certain car elle n’est pas menteuse ! ».
Les choses auraient donc pu s’arrêter là mais les policiers restent dubitatifs. La maman ne minimise-t-elle pas ce qui se serait réellement passé ne souhaitant pas « le scandale » comme le lui avait suggéré le doyen ? La police poursuit donc ses investigations pour apprendre que l’abbé Parot, outre son ministère, dirige aussi la société de patronage « Les jeunes de la Belle Défense ». Ils auditionnent donc certains garçons la fréquentant et ce qu’ils vont découvrir n’a pas fini de les surprendre.
Le premier à être entendu se nomme Paul D. Il a 14 ans et raconte qu’à plusieurs reprises, l’abbé l’avait appelé dans son bureau en lui posant de bien étranges questions… assez éloignées dans leur sujet de la catéchèse : « Aimes-tu voir des femmes nues et qu’est-ce que ça te fait quand tu les regardes ? ». Une autre fois, il eut droit à un cours d’anatomie sur le modus operandi de la procréation chez les humains, illustrations en prime ! Une démarche louable de pédagogie active.
Plus difficile pour l’abbé, quand viendra son tour d’être auditionné, de justifier la main fébrile qui cherchait la brayette du gamin pour des explorations indécentes. Les faits remontaient – selon lui- à l’année scolaire 1925/1926 alors que le garçon était âgé de 12/13 ans et ce n’était pas moins de deux à trois fois par semaine qu’il était « convoqué » chez l’abbé. Tout comme la jeune Gilberte, il avait lui aussi tout raconté à sa mère. Il n’était au reste pas le seul auquel l’abbé dispensait ses enseignements d’histoire naturelle. Paul D donnera aux inspecteurs les noms de cinq camarades eux aussi régulièrement « convoqués ».
Parmi eux, Fernand T qui, chaque jeudi, suit des cours de trompette dispensés par l’abbé Parot, musicien à ses heures. Il évoque, à son tour, des séances allant « jusqu’à la branlette » (sic) mais ajoute-t-il « l’abbé ne m’a jamais demandé de toucher ses parties ». Ce que confirmera pourtant le jeune Pierre V qui déclare : « L’abbé m’obligeait à caresser son sexe au travers de sa soutane ». Pressé de faire les mêmes gestes, Roland B, 14 ans, lui, se rebiffe et menace « de tout raconter à monsieur le Doyen et aux gendarmes ». Suite à cette rebuffade, il n’aurait plus jamais été prié de monter chez l’abbé.
Le doyen, est aussi entendu par les enquêteurs. D’emblée, il minimise les faits : « l’abbé n’avait aucune intention malsaine… Il me l’a dit …/… Il est exact que je me suis rendu chez les parents de l’enfant. J’y ai rencontré le chef de famille (en fait le beau-père de Gilberte), lequel m’a dit que l’affaire n’était pas bien grave et qu’il était très ennuyé de la tournure qu’elle avait prise, que tout cela risquait fort de nuire à ses affaires. Jamais – conclura-t-il – depuis sa sortie du séminaire il y a trois ans, il est sous mon autorité, l’abbé n’a fait l’objet de suspicions encore moins d’accusations de cette nature ».
Réfugié à Nuits-Saint-Georges
Abattu par cette histoire et le tohu-bohu qu’elle a suscité dans la région, l’abbé Parot a été mis en congé par ses supérieurs pour aller se réfugier dans sa famille à Nuits-Saint-Georges. Monsieur le doyen n’ayant pas pu (ou voulu) donner l’adresse aux policiers, l’abbé ne peut donc être convoqué par la police ce que regrettera le commissaire Gros dans un courrier adressé au procureur de la république. Il faudra attendre le 12 mai pour qu’il se présente au commissariat.
Face aux inspecteurs, l’abbé a décidé de la « jouer fine », déclarant réserver ses déclarations au seul juge d’instruction, attitude pour le moins curieuse à un moment où il n’est pas inculpé. Avec un certain culot, il ajoute se tenir à la disposition de la justice et que, contre toute attente, il ira faire retraite à l’abbaye de Cîteaux. Il aura bientôt satisfaction en comparaissant le 1er juin 1928 devant le juge d’instruction Marius Gagneur.
Sentant probablement que la partie va être serrée, l’abbé décide d’emblée d’inverser les rôles. Les garçons qui le mettent en cause, c’est lui qui les a surpris dans le bûcher à se livrer « à des pratiques exhibitionnistes et masturbatoires » (sic). Il reconnaît les avoir convoqué et chercher à savoir quelles étaient précisément leurs connaissances « sur les choses sexuelles …/… « Pour mieux leur expliquer comment la reproduction se faisait chez les humains, j’ai dû approcher la main de leur pantalon pour désigner le sexe de l’homme …/… Ils se seront mépris sur l’intentionnalité du geste ».
Quant aux mains sur les cuisses ? « Une petite tape amicale quand nous jouions aux cartes ou au nain jaune, rien de plus ». Confronté aux garçons et notamment à Paul D, les événements semblent pourtant moins évidents. Face aux questions du juge, l’abbé perd pied et finit par reconnaître que oui, « (il) était traversé par des troubles qui le renvoyaient à sa propre adolescence ». Mais il est formel, Paul D a été renvoyé du patronage parce qu’il avait été insolent avec un moniteur. Il se serait alors répandu en récriminations au sujet de l’abbé pour se venger.
« Une seule incartade »
Face aux enquêteurs, Pierre V finira par reconnaître qu’il en a peut-être « rajouté un peu lors de (ses) premières déclarations » mais confirme néanmoins que l’abbé lui a bien caressé les parties intimes. Les jeunes Fernand T et Roland B maintiennent, eux, toutes leurs déclarations. Invité par le magistrat à en dire un peu plus sur ce qu’il nomme « ses passions », l’abbé Parot reconnait qu’après son entrée au séminaire, il n’a pas su juguler ses pulsions et les transcender dans l’amour unique du Christ. C’est le contact de ces adolescents qui a réveillé ses sens. S’il affirme ne pas fréquenter « des lieux de plaisir », il reconnaît toutefois « une seule incartade », une visite à une prostituée de la rue Hernoux.
Maintenant, le sort judicaire du religieux semble scellé. Le Procureur général signe l’acte d’accusation estimant « qu’il y a bien eu attentat à la pudeur consommé ou tenté de l’être sur mineurs de 15 ans : Pierre V, Fernand T, Paul D et Roland B, avec la circonstance aggravante que l’abbé Parot était alors ministre du culte ». Renvoyé devant la cour d’assises le 29 novembre 1928, l’abbé fait profil bas. Les jurés (tous des hommes à cette époque) admirent que la chair était faible et répondirent « non » à toutes les questions posées refusant même de délibérer sur la qualité de « ministre du culte » comme circonstance aggravante. L’abbé Parot fût donc acquitté. A charge dorénavant pour lui de s’en expliquer le jour du jugement dernier auprès de son Créateur…
Jean-Michel Armand