Yves Cottin : « L’impact de la pollution est à prendre en compte »

C'est un passionné, intarissable sur son métier de cardiologue et sur tout ce qui l'entoure. Le professeur Yves Cottin, entré au CHU en 1986, porte un regard optimiste sur les prochaines années. Il l'exprime autour de 5 thématiques qu'il développe dans cette interview.

La qualité

« C'est l'un des grands enjeux de la cardiologie mais aussi de l'ensemble des pathologies médicales avec le maintien d'un haut niveau de qualité. Tout simplement parce qu'il nous faut faire face au nombre de maladies chroniques cardio-vasculaires qui augmentent, aux déserts médicaux. La première cause de mortalité chez les femmes aujourd'hui, ce n'est plus le cancer du sein, ce sont les maladies cardio-vasculaires tout âge confondu.

Dans la qualité, il y a, pour moi, trois axes majeurs. Les soins au quotidien, à proximité. Les soins de recours au CHU de Dijon pour les pathologies les plus sévères en direction des plateaux techniques les plus performants. Par exemple, pour la Bourgogne, la chirurgie cardiaque ne se pratique qu'au CHU de Dijon. Qualité aussi de la recherche. Nous avons toujours été extrêmement bien classés en cardiologie ces dernières années. Il faut être innovant sur des sujets très ciblés comme ces nouvelles formes d'hypercholestérolémie, ces nouvelles prises en charge du diabète qui vont avoir un impact majeur sur le nombre et la gravité de nouvelles maladies cardiovasculaires.

Dernier point, la formation. Il n'y a pas que la formation médicale des cardiologues, des médecins, des internes, des étudiants en médecine, il y a de nouveaux axes dans le cadre du parcours de soin avec les infirmières en pratique avancée. Il y en a deux actuellement dans le service de cardiologie du CHU de Dijon et une autre au centre hospitalier de Semur-en-Auxois. Et il faudra, dans nos organisations futures, planifier cette formation.

Nous avons un projet majeur qui a été financé par des fonds européens (FEDER), la région, l'ARS et le CHU sur l'extraction de données. C'est la récupération de toutes les données d'un patient à partir du moment où il a donné son consentement  : sa dernière ordonnance, sa dernière prise de sang... Et avec les antécédents qu'il a, on va noter, par exemple, que son taux de cholestérol n'est pas dans les objectifs et on pourra changer son traitement pour optimiser son contrôle du cholestérol. Nous sommes ainsi à la pointe sur l'intelligence artificielle et la récupération des données de santé ».

L'excellence

« Qualité et excellence sont deux choses complètement différentes. Tout a changé dans la cardiologie depuis mon arrivée en 1986 au CHU de Dijon. Grâce aux nouvelles technologies, nous avons des approches structurelles complètement différentes. Il y a quelques années, on opérait en sternotomie les valves cardiaques. Maintenant, elles sont remplacées, pour une grande part, par les voies naturelles. Comme on faisait des pontages, maintenant, on met des stents. Il était important que le CHU de Dijon s'équipe. Nous avons deux salles multimodales qui viennent d'ouvrir.

Pour les coronaires, jusqu'à maintenant, on mettait des stents. Aujourd'hui, on sait que chez certains patients, on peut proposer du rotavator, c'est à dire des fraises qui vont retirer le calcaire ou l'athérome. Il y a aussi la possibilité d'envoyer des ultra sons dans les coronaires pour détruire des plaques de cholestérol très calcifiés.

On a fait des progrès spectaculaires en imagerie. Il est important que chacun comprenne qu'un scanner cardiaque fait aussi bien qu'une coronarographie en terme de diagnostic, que l'IRM cardiaque permet d'évaluer de façon extrêmement précise certaines pathologies comme les myocardites. Et là encore on voit que dans le cadre de la répartition de l'activité dans le territoire, le centre hospitalier de Semur-en-Auxois propose à tous les patients, avec des médecins du CHU, de réaliser, sur place, les scanners et les IRM cardiaques.

On aura aussi des progrès très importants dans la génétique. En effet, on sait que 5 % de la population de Bourgogne a une hyper cholestérolémie familiale, avec des formes très particulières de cholestérol qui vont imposer des traitements spécifiques. On vient de publier sur cette problématique avec des patients qui font des infarctus beaucoup plus jeunes, parfois même dans leur enfance. Grâce à ces analyses génétiques, ces patients seront éligibles à certaines thérapeutiques.

Dans le cadre de l'excellence, nous avons réussi à être un des rares centres – il y en a seulement trois en France – qui a l'autorisation des injections des cellules souches. Comment cela se passe-t-il ? Un patient qui a une grosse séquelle d'infarctus du myocarde, on va lui récupérer ses propres cellules qui vont être mises en culture avant de les réinjecter dans le myocarde pour qu'il puisse se régénérer. Cela concerne des patients qui étaient dans l'attente d'une greffe. On peut remplacer cette opération par l'injection de cellules souches. Cela ne veut pas dire, évidemment, qu'on va stopper les greffes ».

Le territoire

« L'enjeu territorial est un enjeu majeur pour organiser au mieux les parcours de soins. La cardiologie, comme les autres disciplines, ne pourra pas survivre si on ne maille pas notre territoire, si on n'organise pas une cardiologie de proximité. Le GHT (1) oui, mais pas que. Comme le souhaite l'ARS, il faut identifier les populations à risque au sein des territoires pour les amener à consulter. On doit se rapprocher du modèle suisse qui fait que chaque médecin hospitalier ou du territoire doit donner un peu de son temps pour une répartition la plus homogène possible de la prise en charge des patients. Sinon, nous verrons arriver des patients avec des pathologies extrêmement avancées. Et la cardiologie, c'est d'abord faire de la prévention. Quand je vois ce qui se passe à Langres, Chaumont ou encore Semur, je suis optimiste. L'enjeu territorial rentre dans les têtes ».

Les nouvelles pathologies

« Tout le monde doit intégrer le fait que nous voyons apparaître de nouvelles pathologies cardiaques et de nouveaux profils de patients. Jusqu'à maintenant, on disait que l'infarctus du myocarde touchait des adultes qui ont profité de la vie, qui ont fumé... On voit désormais émerger des pathologies chez des femmes très jeunes. L'impact de la pollution est à prendre en considération. On sait que le Covid a augmenté l'obésité chez les enfants. Ce sont de vraies alertes pour les années qui viennent. La durée de présence devant les écrans est un autre indicateur qui souligne le reflet de la sédentarité. Et là encore, tous les indicateurs sont au rouge chez les adolescents, voire aussi les enfants.

Dans les maladies cardio-vasculaires, on commence à connaître les liens entre des organes. La rétine, par exemple, permet de voir l'état artériel et veineux. On peut imaginer que les ophtalmos de demain ou les centres qui analysent les rétines vont nous alerter sur les risques qui pèsent sur les patients. Il est nécessaire de s'appuyer sur toutes les forces des territoires. On en a les moyens avec l'intelligence artificielle, les infirmières, les pharmaciens -qu'on sous-estime-, les médecins généralistes, mais aussi toutes ces associations pleines de bonne volonté qui vont proposer des activités sportives aux personnes qui ont eu des problèmes cardio-vasculaires ».

Les projets

« Je crois beaucoup au caritatif. Cette année, on a eu un beau soutien de la fédération de cyclotourisme qui a organisé un événement sur Saint-Julien pour aider la prise en charge des maladies cardio-vasculaires. L'occasion m'est donnée de renouveler mes remerciements à M. Pierre Lescure.

Par ailleurs, la Fondation Cœur et Recherche propose avec « Femmes et vin de Bourgogne » un dîner caritatif, présidé par Alexandra Lamy, le 14 décembre 2023, au clos de Vougeot. Les fonds seront collectés pour la santé des femmes mais aussi « Les maisons de femmes » dans les hôpitaux avec un projet sur Beaune et sur Dijon ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre

(1) Groupement hospitalier de territoire