Guerre en Ukraine, inflation, hausse des coûts des énergies et leurs conséquences sur le pouvoir d’achat et le comportement des consommateurs dans les grandes surfaces… Benoît Willot, propriétaire du magasin Super U d’Arc-sur-Tille fait le point.
La guerre en Ukraine a provoqué une hausse généralisée des prix et de fortes tensions entre les distributeurs, les consommateurs et les pouvoirs publics. Où en est-on aujourd’hui ? La hausse des prix montre-t-elle enfin des signes de répit ?
« La guerre en Ukraine est à l’origine de pénuries -déjà constatées pendant la période du Covid- et de hausses des prix sur les produits et denrées alimentaires mais aussi sur l’énergie. Les négociations ont été difficiles avec les fournisseurs et les industriels et on s’est engagé, vis à vis du gouvernement, à absorber toutes les hausses sur les matières premières agricoles, systématiquement acceptées quand elles étaient justifiées. On a même accepté de rouvrir des négociations quand les cours augmentaient, avec l’intégration d’une clause d’indexation obligatoire. Nous avons également subi des impacts climatiques très forts sur certaines productions qui ont fait que le cours des matières premières a flambé.
Les négociations entreprises fin 2022 et début 2023 ont montré des abus de la part des multinationales de l’agroalimentaire car, dans le même temps, les PME de l’agroalimentaire, sur les mêmes marchés, ont demandé des hausses inférieures de 3 à 4 points… Nous sommes bien évidemment dans l’obligation de répercuter ces hausses dans nos prix. Je rappelle, qu’en moyenne, le résultat net de notre profession est de l’ordre de 2,5 %. Une profession qui a du faire face à des hausses d’énergies stratosphériques mais aussi des hausses d’emballage, de main d’œuvre…
Cette nécessaire explication souligne combien la situation est compliquée avec une inflation à deux chiffres sur deux années consécutives. Pour l’instant, il est difficile de parler de répit dans la hausse des prix que subissent les consommateurs. On constate une certaine forme de stabilité. Je reste pessimiste sur le prix du porc. La bonne nouvelle, si je puis dire, c’est la baisse d’un certain nombre de cours de matières premières qui devraient, je l’espère, se traduire dans les prochaines négociations que nous allons mener. J’espère que cette fois la clause d’indexation jouera dans les deux sens ».
Quelle serait la meilleure stratégie à mettre en place pour accélérer la baisse des prix en rayon ?
« Nous sommes certainement le seul pays dans le monde où le gouvernement s’insère aussi fortement dans les négociations entre industriels et distributeurs. C’est regrettable et c’est important de le préciser. Notre négociation, elle est au service du prix de vente au consommateur. S’insérer dans une négociation pour préserver la matière première agricole, ça c’est bien et on en voit les effets puisque le revenu des agriculteurs a largement progressé. Là, ce sont les bienfaits de la loi Egalim. Par contre, la loi Descrozaille, qui vise à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, complètement au profit des multinationales de l’agroalimentaire dessert in fine le consommateur. Les autres pays d’Europe nous regardent avec des yeux ahuris. Je dis simplement à nos gouvernants : laissez nous faire notre métier ».
Quelle serait la meilleure stratégie à mettre en place pour accélérer la baisse des prix en rayon ?
« La première remarque, c’est que le consommateur n’a pas attendu pour faire évoluer son comportement. Il s’est, en priorité, tourné vers la marque distributeur, la marque U, au détriment des grandes marques.
Dans la mesure où il nous faut préserver nos résultats pour payer nos salariés, notre énergie, il a fallu bien évidemment répercuter les hausses. C’est pour cela que nous avons mis en place des campagnes pour essayer de rendre le pouvoir d’achat des Français plus confortable. Avant que le gouvernement demande quoi que ce soit, nous avons été les premiers à sortir la liste des 150 produits U du quotidien, de première nécessité, à prix coûtant. C’est à dire que nous prenons zéro de marge.
Nous sommes également la seule enseigne à avoir dit que nous continuerions jusqu’à la fin de l’année. Nous avons constaté une hausse de 35 % de la vente de ces produits. C’est bien la preuve que les clients ont besoin d’un repère prix. Depuis 2021, nous avons également 4 fruits et légumes de saison à prix coûtant toutes les semaines dans nos magasins ».
Quels sont les rayons en difficulté ?
« Il y a des rayons qui souffrent. La boucherie traditionnelle, par exemple. Les clients achètent moins de viande rouge au profit de la volaille. Le poisson chute également fortement en volume au profit du poisson frais emballé. Très dur aussi pour le fromage à la coupe ».
Ne serait-il pas plus simple de vous tourner vers les marchés locaux et d’instituer les circuits courts comme règle essentielle de vos achats ?
« Chez U, elle l’est depuis toujours. Le local, l’ultra local, on n’a pas attendu qu’il devienne à la mode : il est dans notre ADN. Malheureusement, on ne le fait peut-être pas assez savoir. Qui sait, par exemple, que les Salaisons dijonnaises fabriquent pour la marque U le jambon persillé pour toute la France ? Il en est de même avec l’Epoisses de Berthaut. Dans nos magasins, gérés par des indépendants, il n’y a aucune obligation d’achat à la coopérative. Tous les magasins ont des producteurs locaux avec lesquels ils travaillent depuis toujours. Les magasins implantés dans des territoires bovins n’achètent pas leur bœuf à la centrale. Ils l’achètent en direct à un éleveur local.
C’est une vraie vocation de notre enseigne que de pousser, de promouvoir le local. On le voit bien dans nos rayons où tout est balisé. System U célèbrera du 16 au 18 juin les journées nationales de l’agriculture avec la présence dans nos magasins de tous nos producteurs locaux ».
Le président des centres E.Leclerc veut casser le taux d’inflation au second semestre 2023 mais prévient qu’« on ne reviendra jamais au prix d’avant… ». Partagez-vous son point de vue ?
« Oui, complètement. Casser le taux d’inflation, c’est à dire stopper, enrayer le taux d’inflation, c’est notre rôle. Mais il est certain qu’on ne reviendra jamais au niveau d’avant. Comment pourrait-il en être autrement après 20 % de hausse sur deux ans ? Toutes les charges ont augmenté dans le même temps. Peut-être qu’en 2024, avec les négociations qui vont s’ouvrir, on aura une légère déflation à 0,1 ou 0,2. Je n’y crois beaucoup… ».
Quels sont les grands enjeux qui attendent demain la grande distribution ?
« Je pense qu’on a montré notre résilience pendant le Covid, pendant les crises. On a montré que notre modèle était adaptable. Demain, il va falloir répondre à la demande digitale, continuer de développer les produits locaux, nous inscrire dans des démarches encore plus écoresponsables dans la consommation des ménages. Nos magasins sont déjà tous équipés de photovoltaïque sur les toits. On est tous en récupération de chaleur. Nos points de vente ne polluent pas. Nous avons fixé des échéances pour le zéro emballage plastique. On va vers un engagement de décarbonation de notre enseigne. Il faudra aussi continuer à investir sur les rayons traditionnels car nous sommes très attachés aux métiers de bouche qu’il faut défendre. Sans oublier d’être dans le match des prix ».
Et plus particulièrement au sein de votre magasin d’Arc-sur-Tille ?
« Le magasin d’Arc-sur-Tille sort d’une grosse période de rénovation et d’agrandissement. Je l’ai racheté en 2005. La surface de vente était de 1 400 m². Je l’ai portée à 3 150 m². Nous avons fait des investissements très durables : photovoltaïque sur 500 m², nous avons réduit notre consommation de gaz quasiment à zéro grâce à la récupération de chaleur sur le groupe froid, on a passé l’intégralité du parking et des bureaux en éclairage LED, on est passé dans une production de froid en tout CO2… Demain, nous continuerons à apporter les meilleurs produits à nos clients, à développer notre drive… Le prochain investissement, qui sera peut-être le dernier pour mois, sera la couverture de notre parking d’ombrières photovoltaïques ».
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre