Guy Rebsamen : Ambassadeur de la Bourgogne et du bourgogne

Le destin aime parfois faire des siennes… La voix grave et profonde de Guy Rebsamen s’est éteinte brutalement le vendredi 12 mai dernier dans une rue de Saint-Maximin, dans le Var. Quelques heures seulement avant que l’ancien Premier Ministre Jean Castex élève son frère François au rang d’officier de la Légion d’honneur dans la salle des Etats du palais des Ducs de Bourgogne. Retour sur la vie d’un grand restaurateur au commerce rude et direct qui a dessiné sur son territoire une géographie personnelle complètement dédiée à la Bourgogne, au bourgogne et à la gastronomie.

Rebsamen. Un patronyme pas forcément facile à porter. Guy Rebsamen a réussi une très belle carrière dans la discrétion. Son frère a réussi une très belle carrière sous les feux des projecteurs. Pourtant, que ce soit dans la restauration ou dans la politique, c’est bien la même ambition qui a animé l’un et l’autre. Les Rebsamen ont toujours mis la barre très haute. Pour autant, Guy n’a jamais cherché une quelconque concurrence avec son aîné. Bien au contraire, il aura affiché toute sa vie une admiration discrète et sans limite pour son frère. L’homme discret qu’il était n’a jamais recherché la lumière. Sans la fuir, il s’en accommodait, la supportait, mais la laissait volontiers aux autres.

Né le 28 novembre 1954, à Dijon, après un apprentissage dans le talent, formé à l’école du goût juste, Guy Rebsamen a côtoyé les plus grands noms de la gastronomie avant de prendre la direction du Chapeau Rouge, à Dijon, à une époque où le prestigieux établissement appartenait à la famille Mornand. On le retrouve ensuite à la tête d’un restaurant de la rue Monge avant un périple qui le mènera en France et à l’étranger. Puis, c’est le retour sur ses terres.

D’abord au restaurant « Les vendanges », à Gevrey-Chambertin, le long de la route de Beaune, puis, toujours à Gevrey, « Chez Guy and family » dont les géraniums aux fenêtres de l’établissement évoquaient des traces de rouge à lèvres laissées par des mignonnes sur les joues des vendangeurs. Avec un immense bonheur à la clé, celui de travailler avec ses trois enfants : Yves, en cuisine, Sandrine, en salle, et Natacha, caviste. En créant ce restaurant honoré par le Michelin, Guy Rebsamen a jeté un pavé dans la mare des menus moroses pour ravir l’oeil, enchanter le palais et faire littéralement exploser le terroir local. « Chez Guy and family », ce n’était ni branché, ni pompeux, ni prétentieux… C’était tout simplement parfait.

Les mains dans le charbon et l’intelligence aux aguets, Guy était une sentinelle du goût toujours là, tendu comme un matador avant d’entrer dans l’arène, surveillant les repas avec la baïonnette de sa sévère sollicitude pour obliger à un choix toujours rigoureux dans les aliments et les vins issus d’une cave dont on pouvait dire qu’elle était certainement la plus belle dans son contenu dans toute la région. On le sait : rien ne vaut le regard d’un passionné pour bien comprendre la cuisine. Pédagogue dans l’âme, reconnaissant même sans complexe sa tendance au paternalisme, très impliqué au sein de l’Union des métiers des industries hôtelières (UMIH 21), il prenait volontiers sous son aile les petits nouveaux pour guider leurs premiers pas dans cette profession par essence narcissique, envoûtante, anxiogène et exaltante.

Une grande gueule avec un cœur énorme

Dans la vie de tous les jours, Guy Rebsamen s’exprimait peu, se montrait peu, choisissait ses amis, les fréquentait sans fracas, cultivant l’empathie et le sens de la répartie. Alors oui, c’est indéniable, le regard était plutôt dur, éclairé parfois d’un sourire vif qui s’effaçait brutalement. Un regard qui ne donnait pas forcément envie de se perdre en frivolités ou en banalités. Alors oui, l’allure était austère, presque polaire. Le ton péremptoire. La ferme distance de sa poignée de main délimitait d’emblée le territoire de la rencontre. Alors oui, on pouvait lui reprocher d’être ombrageux, susceptible, impatient… Il était comme ça Guy. Et c’est comme ça qu’on l’aimait car on savait que derrière ce côté atypique, inclassable, parfois contradictoire, il y avait un homme formidablement bon et courageux. Quand il se sentait en confiance, il était irrésistible, charmeur, malicieux. Une grande gueule avec un cœur énorme.

Guy Rebsamen était un socialiste resté socialiste qui a toujours gardé sa foi en ses convictions. Attaché au respect du droit, aux valeurs qui fondent notre société, au respect de l’autre, dans ce que nous avons en commun, comme dans ce que nous avons de divergent. Un républicain viscéral, fier d’appartenir à la patrie des droits de l’Homme, profondément attaché à la laïcité, à l’égalité de tous, à la liberté d’expression. Un homme pour qui la valeur du mot « engagement » est restée intacte, même si elle s’affichait avec une extrême modestie. Un homme avec du tempérament. Il l’avait prouvé dans l’adversité.

Jamais avare de (bons) mots pour remettre quelques pendules à l’heure, il aimait parler mais sans jamais s’épancher, avec l’implacable courtoisie des gens bien élevés. Non seulement, ce qu’il disait était juste, pesé, fin, mais il le disait sur le ton qu’il fallait, avec profondeur, comme le Stentor qui s’illustra dans la guerre de Troie. La langue de bois pathologique, ce n’était pas son truc. Pas du genre à se dissimuler derrière le rideau de fumée des grands mots et des grands principes. Guy Rebsamen était un opposant à la pensée moyenne, un inverseur de tendances, un réactif à l’air du temps, un mousquetaire toujours prêt à brandir l’épée pour la bonne cause.

Épée de Damoclès

Surpris, je l’ai été par la marque de l’intelligence à l’état brut, rapide, en perpétuel mouvement. Une intelligence incarnée, capable d’excès de vitesse et de dérapages contrôlés mais aussi incontrôlés, mais ô combien généreuse, ouvreuse d’horizons, de mondes inconnus et d’espoirs infinis.

Qu’aura donc cherché Guy Rebsamen toute sa vie ? A comprendre, c’est à dire « prendre ensemble » tous les éléments qui font une vie humaine : la volonté, la conscience, l’action, le langage, le récit, la mémoire, l’identité, l’éthique, la morale, le juste, la mort… Son regard était anxieux. Pas seulement parce qu’il savait que l’épée de Damoclès menaçait de tomber sur son cœur fatigué. Guy Rebsamen n’a jamais eu de cesse de prendre le monde au sérieux, et c’est bien pourquoi il n’a cessé de le regarder, de le dépouiller des légendes dorées dont on aime à le parer pour tenter de le rendre acceptable. Pour preuve, tous les services qu’il a pu rendre ici ou là avec une générosité sans égale.

Une rencontre avec toi Guy, c’était toujours un bon moment, une confrontation avec d’autres idées, d’autres façons de penser. Mais toujours dans le respect de l’autre. Aussi, à ce moment, je pense à Malraux et son magnifique Lazare, où il questionne la mort et propose la fraternité comme seule réponse au mal absolu.
Il y a dans la vie des minutes de vérité où l’on ne doit pas rougir de se laisser aller à l’émotion. J’ai une pensée sincère pour tous ceux -notamment Evelyne, son épouse- qu’il aimait et qui l’aimaient. Tous ceux-là ont perdu une boussole. Mais ils garderont le cap en souvenir d’un mari, d’un père, d’un grand-père, d’un homme inoubliable.
Adieu Guy. Adieu mon ami.

Jean-Louis Pierre

 

Réactions

Stéphane Derbord, ancien chef étoilé

« Guy, c’était l’éternel râleur. Mais, sincèrement, j’ai rarement vu un homme aussi généreux, humain, protecteur envers les siens, aux valeurs indéniables. Terriblement exigeant, il aimait le partage. J’ai passé de très grands moments à ses côtés et j’ai toujours loué son sens du partage, son esprit d’équipe. On pouvait s’engueuler, mais ça ne durait pas longtemps. On buvait un canon et on n’en parlait plus. On l’aimait comme il était ».

Jean-Paul Durand, cuisinier, conseiller municipal de Dijon

« C’était mon ami depuis plus de 25 ans. C’était ma famille. Après avoir quitté Beaune, j’ai eu l’honneur et le plaisir de travailler à ses côtés de 2006 à 2008. J’étais son vice-président quand il dirigeait la branche restauration de l’UMIH 21. Il a beaucoup fait pour la profession. Les gens le craignaient. Je le comparais à Jean Gabin. Forte gueule certes, mais hyper-gentil. Par contre, il fallait pas lui faire à l’envers. Il a aidé sans compter beaucoup de monde. Certains ont oublié de lui être reconnaissant. J’ai eu le privilège de travailler avec les trois générations : lui, son fils et son petit-fils ».

Jean-Pierre Billoux, ancien chef étoilé

« On perd un grand professionnel qui a beaucoup apporté à Gevrey-Chambertin et à la région. C’était un organisateur hors pair. Ensemble, nous avons fait de très belles choses. Je pense notamment au banquet de l’élection de Miss France, à Dijon. C’est vrai qu’il était ronchon mais il était tellement sympathique et attachant. Sa mort me bouleverse même si je l’ai souvent entendu dire qu’il était en sursis ».