A l’ANPE, Muriel Hennequin s’occupait des solutions spécialisées, à l’instar, par exemple, du recrutement d’Ikea. Au conseil régional, il a développé le Service public de l’Orientation. Depuis 2011, il pilote Vocalib qui a une approche unique afin que chaque jeune puisse choisir un métier et, ensuite, définir la meilleure orientation possible. Ce grand professionnel répond à nos questions… et, de facto, à nombre d’interrogations que peuvent se poser les parents alors que la fin de l’année scolaire se profile.
Muriel Hennequin : Le 3e trimestre a débuté et beaucoup de parents s’interrogent sur la suite du parcours scolaire de leur enfant…
« Il ne faut pas s’inquiéter de l’orientation qu’à partir de la terminale parce que c’est trop tard. Cependant cela reste tout de même l’état d’esprit ambiant. Et ce, pour une raison majeure : lorsqu’au niveau national, dans les médias, l’on nous parle d’orientation, c’est Parcoursup qui est martelé. Comme si avant il ne se passait rien. C’est totalement faux et il ne faut pas se manquer dès la 3e pour choisir son établissement et dès la seconde pour les spécialités.
Le message important est donc celui-ci : il faut s’occuper de l’orientation le plus tôt possible. En 3e, on prend des décisions, en seconde et en première on prend aussi des décisions. Si l’on a pris les bonnes décisions, on arrive avec tous les éléments qui permettent de réussir l’orientation en terminale. Et Parcoursup n’est alors plus qu’une formalité ! L’élève continuera à se développer, il sera accompagné mais il faut savoir en amont ce vers quoi il veut partir. D’où la définition d’un projet avant toute chose… Si tant est qu’il puisse être mis sur les bons rails, tout se passera bien ».
Vous voulez dire que les élèves doivent choisir en premier lieu le métier qui leur fait envie ?
« Bien évidemment ! J’ai reçu dernièrement une jeune Dijonnaise, brillante au demeurant, qui s’est aperçue que le métier qui l’intéresse la plus est celui d’infirmière. Et elle sait parfaitement argumenter son choix. Seulement elle est en 1re et, l’année dernière, on lui a dit qu’elle devait choisir les langues, la culture, là où elle semblait disposer des connaissances les plus importantes… Je lui ai montré les annales du concours d’école d’infirmière des années précédentes.
Il y avait un sujet sur l’organisation du système de santé en France et un autre sur la réaction à un événement imprévu. Avec les spécialités et le bac en découlant, il lui sera très difficile de répondre à ces interrogations ! Certains peuvent avoir les moyens d’offrir une prépa à leur progéniture mais ce n’est pas toujours le cas… Cela montre que les conseils des professeurs qu’elle a pu recevoir l’ont conduit dans quelque chose qui n’est pas adapté à ce qu’elle veut faire dans l’avenir. Les exemples tels que celui-ci sont légion… »
Ce qui signifie que l’orientation, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, peut conduire à une impasse ?
« Il faut aborder l’orientation en lien avec un projet. Et ce n’est pas ce que l’Éducation nationale incite à faire. Celle-ci pousse les jeunes à aller là où ils semblent avoir le plus de facilité. Pour 50% des jeunes, cela marche. Mais pour les 50% restant, cela ne fonctionne pas. Je rencontre très souvent ces situations-là… »
Avec votre méthode, les jeunes peuvent être amenés à choisir un métier pour lesquels ils ne disposent pas des compétences requises…
« Même pas. Les compétences des élèves vont de pair avec leurs intérêts. Les jeunes sont capables eux-mêmes de se réguler. Ils ne vont pas vouloir devenir astronautes s’ils ne sont pas bons en mathématiques ou dans les matières scientifiques. Mais, même en se régulant, il reste tellement de possibilités qu’ils ont besoin de se poser les bonnes questions, d’y apporter les bonnes réponses… »
Il est coutume de dire que l’avenir des jeunes sera beaucoup moins rose que celui des générations précédentes. Si bien que l’orientation conduisant à des métiers dits en tension semble de mise aujourd’hui…
« Dans la nouvelle feuille de route dévoilée mercredi par la Première ministre, un pan concerne la jeunesse. Que propose le gouvernement en substance ? Le renforcement des formations vers ce qu’il qualifie « les métiers d’avenir ». Mais ce n’est pas ce que demandent les jeunes : on est train de leur apporter une réponse à une question qu’ils ne posent pas. C’est une question de sécurité qui est plus posée par les parents : je veux que mon enfant fasse une formation et qu’à l’issue il soit sûr de trouver du travail. Déjà nous n’avons jamais réussi à démontrer le lien entre des études prospectives et la réalité à terme.
La vérité d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain… Les jeunes doivent avoir envie de se tourner vers telle ou telle formation parce qu’elle les mènera à un projet auquel ils adhèrent. Et une bonne orientation leur évitera avant tout beaucoup de formes d’échec. Si cela ne les intéresse pas, ils perdront pied, ils perdront de la motivation et ils vont se dire : cela serait mieux que j’arrête mes études et que je trouve un petit boulot pour avoir un appart… Il faut donc qu’ils aient la possibilité de découvrir quelque chose qui leur plaît et qui fait qu’ils ont envie tous les matins de se lever ».
Et cela peut permettre d’éviter les échecs scolaires…
« Je le dis depuis longtemps. Nous avons oublié d’apprendre la patience à l’enfant, la société ayant fait en sorte qu’ils puissent consommer tout ce qu’ils veulent à la seconde même. Et nous avons aussi oublié de leur apprendre la frustration. Si bien que lorsqu’ils sont en butte avec la frustration, c’est l’explosion. Ce sont des zappeurs… Ils n’ont pas l’habitude de se dire : cela se passe mal mais je vais attendre un peu parce que cela va peut-être s’arranger.
Lorsqu’on leur donne la possibilité de travailler durant plusieurs heures sur le choix d’un des 220 métiers existant, comme je le fais avec Vocalib, c’est différent. Ils trouvent eux-mêmes ce qu’ils veulent faire, ils savent l’argumenter. A ce moment-là, cela devient leur projet et la question de la frustration n’est plus du tout la même. Ils comprennent bien que pour obtenir ce qu’ils veulent réellement, il va falloir qu’ils franchissent différentes étapes. Ils appréhendent alors réellement la temporalité, ce sur quoi personne ne travaille aujourd’hui… »
Quels conseils donneriez-vous ainsi aux parents ?
« En premier lieu, il faut qu’ils écoutent leur enfant et ne pas lui opposer leurs anciennes représentations. Même si les parents veulent sécuriser les choix de leur enfant, il faut qu’ils sachent que ce n’est pas leur métier. Lorsque l’on essaie de s’opposer au projet d’un jeune, il faut être très pointu. C’est en outre une responsabilité de taille ! En France, nous sommes sujets à une très grande méconnaissance des métiers, y compris chez les professionnels de l’Éducation. Ne pas hésiter non plus à aller à la rencontre des personnes qui exercent le métier que veut faire leur enfant… C’est beaucoup plus efficace que de se rendre à un salon des métiers. Les possibilités de stages volontaires existent, en plus de ceux qui sont prévus dans les cursus.
Cela peut permettre de démystifier, de savoir si leur enfant n’est pas en train de se faire de fausses idées. S’ils font cela, les parents jouent leur rôle de parents. C’est la raison pour laquelle, avec ma structure Vocalib, j’ai souhaité aussi m’occuper des familles. L’orientation, simplement à base de tests sur l’enfant, est une ineptie. Il faut que les parents sachent définir le métier choisi par leur enfant, qu’ils maîtrisent les critères de sélection… Il faut que les familles puissent pleinement prendre leur place dans ce grand travail qu’est l’orientation ! »
Propos recueillis par Camille Gablo
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