Dominique Pitoiset : L’art en partage

Dominique Pitoiset a dirigé plusieurs écoles, enseigné en Allemagne, en Italie, au Portugal… Depuis janvier 2021, il est le directeur général et artistique de l’Opéra, un lieu où il trouve toute la liberté d’action. Rencontre avec ce Dijonnais pur sucre qui vient d’être reconduit pour un mandat de trois ans

La Ville de Dijon vient de réaffirmer son soutien à l’Opéra de Dijon et d’approuver le projet de nouvelle convention pluriannuelle 2023-2026. Qu’est-ce que contient cette convention ?

Plus qu’une convention avec l’Opéra, il s’agit de mon contrat de Directeur Général et Artistique. J’ai été, dans un premier temps, nommé pour un contrat de 3 ans qui court de janvier 2021 à décembre 2023. Il était nécessaire, pour pouvoir programmer les saisons futures, que ma situation soit éclaircie rapidement. Elle l’a donc été. Le Maire de Dijon, François Rebsamen, a confirmé, au vu des résultats et de la dynamique de la maison et des publics qui la fréquentent, mon renouvellement jusqu’à décembre 2026 avec la charge de programmer également la saison 26/27. 

Quel bilan tirez-vous de vos deux premières années à la tête de l’Opéra ? 

J’ai débuté mon mandat dans des conditions particulières liées à la pandémie de Covid. Il a fallu un temps d’adaptation et de remise en route de la machine. Le projet que j’ai rédigé, et soumis, pour la direction de l’Opéra de Dijon débute, et ce n’est pas anodin, par les questions structurelles. Ceci concerne des travaux de remise à niveau d’un certain nombre d’équipements dont notre seconde salle, le Grand Théâtre et la création d’une salle de répétitions à l’Auditorium. Sous l’impulsion de la Ville de Dijon une première phase de travaux est désormais réalisée au Grand Théâtre. Nous fermerons à nouveau en janvier 2024, pour une année cette fois, afin de réaliser une seconde tranche de travaux qui consistera à revoir toute la partie billetterie-grand salon-bar-bureaux en façade pour les personnels d’accueil, les questions sanitaires et les coursives publiques. Une troisième tranche devrait, je l’espère, permettre la rénovation de la salle et de la scène. La salle de répétitions, elle, sera terminée à la rentrée prochaine.

Un mot sur le projet d’établissement, qui est déjà très encadré du fait de son cahier des charges de Théâtre Lyrique d’intérêt national, de ses obligations à l’égard de la ville et de la région ?

N’oublions pas l’Etat, car le statut de Théâtre Lyrique d’Intérêt National est accordé via convention par l’Etat et attribué au mérite car il ne s’agit pas là d’une labellisation mais d’une reconnaissance du travail accompli et du projet de la direction artistique. Ce projet d’établissement, pour une durée de 5 années à compter du 1er janvier 2022, a été ratifié également par la Région et la Ville qui sont nos deux autres tutelles, et il va se prolonger jusqu’à la fin de mon nouveau mandat.

Votre arrivée, en janvier 2021, a été grandement facilitée par le fait que vous connaissez bien Dijon ?

Rien n’est jamais simple et acquis d’avance, et il est vrai que j’avais été pressenti pour d’autres destinations : la direction de la Nouvelle Comédie de Genève et celle  du Théâtre National de Toulouse. Mais la question d’un retour à Dijon s’est posée. J’avoue qu’après avoir pas mal roulé ma bosse en France et à l’étranger, j’ai répondu à un appel du cœur. L’enfant que j’ai été, et qui a grandi ici, m’a soufflé à l’oreille qu’il serait bon de revenir dans ma ville d’origine en inscrivant mon action au sein d’une communauté dont j’apprécie les valeurs. Ici, je me sens bien. J’ai le sentiment de servir à quelque chose dans la mesure où je participe au développement du projet culturel d’une métropole résolument tournée vers un avenir qui me semble plus porteur d’espérances qu’ailleurs. 

Mes conversations avec le Maire de Dijon et ses équipes ont porté sur le fond des choses et moi qui en avais assez d’être un mercenaire au service de causes qui me concernaient peu, je trouve ici un terrain favorable à mon engagement. Je ne cherche pas un marchepied pour ma carrière. Je n’ai pas cette vanité. J’ai d’autres convictions : je souhaite terminer mon parcours là où je pense être à ma place. Le jour où la page se tournera, je n’aurai aucune amertume. 

C’est pour cela que vous plaisez à dire qu’ « on est de l’endroit où nous agissons » ?

Là c’est autre chose. Mais il est vrai qu’avec ma famille, nous avons toujours su « être de l’endroit où nous avons posé nos valises ». Mes enfants sont nés en différents endroits d’Europe et ils ne sont pas dans la nostalgie de leurs lieux de naissance… Ils bénéficient au contraire de la richesse d’être de plusieurs endroits. 

Sur quels critères faites-vous des choix pour la programmation de l’Opéra ?

Au-delà du cahier des charges de Théâtre Lyrique d’Intérêt National axé essentiellement sur la production d’opéras, de concerts symphoniques et de musique baroque ( je rappelle que nous avons la chance de disposer d’un auditorium de grande qualité acoustique), la programmation fait la part belle à la danse, aux musiques du monde, au jazz, aux spectacles à destination des familles et aux nouveaux cirques. Les publics circulent de plus en plus d’une proposition à l’autre car il existe désormais une porosité entre les genres. En affirmant plus de diversité nous concernons simplement plus de monde, sans pour autant manquer d’exigence. La programmation, que j’ai souhaité ouvrir à d’autres domaines artistiques du spectacle vivant, fonctionne. La reconsidération des spectacles présentés sur la scène de notre seconde salle qu’est le Grand Théâtre, cher au cœur des Dijonnais, est également une belle réussite. 

Etes-vous toujours autant inspiré par Shakespeare ?

Je suis effectivement un grand lecteur des classiques, dont Shakespeare. J’aime la puissance épique de ses récits. Quand on est habitué à fréquenter les personnages qui composent les génériques de ses trente neuf pièces, nous apprenons beaucoup sur la nature humaine. Je pourrais dire la même chose de certains opéras dont les livrets nous confrontent, eux aussi, à nos parts d’ombre. Je prépare actuellement la reprise de ma mise en scène du Tour d’écrou de Benjamin Britten d’après la nouvelle de Henry James. Quel vertige ! Quel chef-d’œuvre !

Le principe de monter des partenariats, de provoquer des convergences est-il dans votre ADN ?

Depuis toujours. Depuis mes années aux Beaux-Arts, j’ai appris à travailler collectivement, c’est à dire ensemble. A penser, à agir ensemble. C’est Benno Besson, le grand metteur en scène dont j’ai été l’assistant, qui disait : « Jouer ensemble, c’est le début de la paix ». Il avait raison. La connaissance de l’autre est indispensable à notre compréhension de la richesse du monde et de ses différences culturelles. Que ce soit avec un maillot de foot à courir après un ballon de cuir, comme je l’ai fait à Dijon sous les couleurs du CSLD, ou sur scène, grâce aux jeux du théâtre, cela procède de ce qui fait humanité. C’est une vraie loi de partage. Même dans un monologue, on n’existe pas seul. J’ai vécu ensuite les années de compagnies où on ne comptait pas. Ni notre temps, ni notre argent. De toutes façons nous n’en avions pas. On partageait tout. Et puis après, il y a eu le Festival Théâtre en Mai où toute une génération s’est retrouvée, s’est reconnue. Ensuite, ce fut l’époque des Rencontres internationales de théâtre. Nous sommes plus forts en croisant les initiatives pour le bien commun. La question du partage, c’est la diversité et la générosité. Les narcissiques et les égocentriques me fatiguent et m’irritent. Je suis fils d’ouvrier. Et quand on dit de moi que je suis un ouvrier du spectacle vivant, même si je suis momentanément dans le costume du patron, ça me va bien.

L’Opéra de Dijon est donc conventionné Théâtre Lyrique d’Intérêt National. Est-ce dans votre projet que d’obtenir le label Opéra National ?

On peut toujours vivre dans l’espérance de quelque chose, surtout quand on en connaît peu les contours. Mais si la question se posait un jour prochain nous devrions d’abord nous demander: est-ce bien nécessaire, qu’est-ce que cela nous apporterait de plus ? Un cahier des charges alourdi suppose des moyens plus importants dans un temps où rien n’est garanti. Nous sommes une petite métropole en développement et nous n’avons pas un potentiel public extensible à l’envi. Je trouve qu’on est plutôt bien à notre place. Je serais plutôt favorable aujourd’hui à une convention riche et multiple qu’à un label sans mesures nouvelles conséquentes. Un logo ne fait pas la vie d’un établissement… mais il peut vous la pourrir… 

En janvier 2022, vous écriviez : « On n’habite que le présent. C’est le seul temps où l’on existe. Il peut arriver qu’on s’y sente enfermé, assiégé. Ou qu’on n’y sente simplement que de l’indifférence ». Comment vivez-vous le présent aujourd’hui ?

J’ai dit ça dans un contexte particulier. Celui des années Covid. Je parlais aussi des traces que nous laisserons. Pourquoi s’en préoccuper puisque nous n’en déciderons pas ? Faire carrière, ça ne veut au final pas dire grand chose. Il vaut mieux mesurer le chemin parcouru. L’époque nous invite à mieux profiter de l’instant, se fonder dans l’instant. L’instant lyrique…

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre

 

Crédit photo : Mirco Magliocca