Cancer : Des raisons d’espérer

Directeur général du centre Georges-François-Leclerc (CGFL), le Professeur Charles Coutant a été renouvelé dans ses fonctions pour cinq ans. L'occasion de faire le point sur les traitements contre le cancer et d'évoquer les principaux points de sa feuille de route.

Quelles sont les avancées significatives qui ont pu être constatées l'année dernière dans la recherche contre le cancer ?

Il faut se réjouir des progrès qui s'expliquent par les avancées technologiques et la meilleure connaissance de la maladie notamment par tout ce qu'on fait en terme de biologie moléculaire et de génomique. Dans les nouvelles modalités thérapeutiques, il y a, par exemple, la radiothérapie interne vectorisée qui est cette radiothérapie intraveineuse que le CGFL a été le premier en Bourgogne – Franche-Comté à mettre en place suite aux résultats très prometteurs dans les cancers de prostate très avancés. Il a fallu créer in extenso, en très peu de temps, un hôpital de jour de médecine nucléaire pour prendre en charge les patients. Nous avons été très réactifs car l'étude positive a été communiquée en juin 2021et nous avons traité notre premier patient à l'automne 2021.
Il faut évoquer aussi les nouveaux traitements médicaux. Il y a eu l'ère des thérapies ciblées, de l'immunothérapie et, maintenant, nous sommes à l'ère des anticorps drogue-conjugués. Il s'agit d'une molécule qui va reconnaître un récepteur sur les cellules tumorales. Elle va embarquer en elle une molécule de chimiothérapie qui sera délivrée directement à l'intérieur de la cellule cancéreuse avec une efficacité absolument exceptionnelle à tel point que les autorités de santé ont mis en place des systèmes d'accès très précoces. C'est un concept de chimiothérapie ciblée.

Dépistage, prise en charge, nouvelles thérapies... les chances de guérison progressent-elles vraiment de jour en jour ?

Les chances de guérison progressent. C'est incontestable. Quand on a un cancer de stade non métastatique, on appelle ça précoce, le but, c'est de guérir les patients. Mais un certain nombre d'entre eux vont développer des métastases et basculer dans une maladie qui ne sera plus réellement curable. Aujourd'hui, ce qu'on sait, c'est que nos nouveaux traitements permettent d'augmenter les chances de guérison en situation précoce. Pour les situations métastatiques, deux choses importantes : on rend la maladie chronique le plus longtemps possible et on allonge la survie de façon très significative. Il faut imaginer que, demain, certains cancers métastatiques seront guéris. Certaines situations nous le laissent espérer. Malheureusement, les progrès ne sont pas équivalents dans tous les cancers. Je pense aux tumeurs cérébrales primitives, les glioblastomes, les cancers du pancréas sur lesquels les nouveaux traitements ne semblent pas très efficaces. Mais les recherches se poursuivent.

La recherche avance vers une médecine toujours plus précise et personnalisée. Pourrait-on un jour imaginer de supprimer le triptyque chirurgie-chimiothérapie-radiothérapie au profit de nouvelles « armes » thérapeutiques ?

Avec ce triptyque, on se place en situation précoce. On peut avoir un cancer avancé mais précoce. En situation métastatique, il n'y a pas du tout ce triptyque. Qu'entend-on par chimiothérapie ? Si, dans votre esprit, c'est synonyme de traitement systémique, nous allons avoir des thérapies ciblées, des cachets, l'hormonothérapie... Par contre, la chimiothérapie, c'est le produit cytotoxique par les veines qui fait perdre les cheveux et qui détruit les cellules. Et là, il faut savoir qu'on désescalade nos indications de chimiothérapie de façon importante.
Pour le cancer du sein, par exemple, c'est ce triptyque que vous évoquez. Toutefois, l'ordre est en train de changer avec une chimiothérapie qui va d'abord être entamée dans un certain nombre de cas pour identifier les patientes qui réagissent bien au traitement. Et dans ce cas précis, nous allons pouvoir désescalader. Pour les autres, nous allons rajouter un médicament dans le cadre d'une stratégie d'optimisation thérapeutique. Il faut y voir là une des grandes avancées de la prise en charge.

Qu'est-ce que vous entendez par désescalade ?

On fait des traitements de chirurgie, des traitements médicaux moins lourds. Et de la radiothérapie moins lourde avec de l'hypo-fractionnement, c'est à dire moins de séances. Dans les cancers du sein, on faisait 25 séances de rayons plus 8 séances supplémentaires quand on avait une surimpression sur le lit tumoral. Désormais, on va faire 15 séances au lieu de 25 et, dans certains cas, on peut encore faire moins. Mais, à l'inverse, nous allons intensifier par des traitements plus lourds dans une situation où nous avons identifié un sous-groupe de plus mauvais pronostic. Avant, on faisait pareil pour tout le monde. Aujourd'hui, on arrive à sélectionner de façon très fine ces groupes pronostics.

Le CGFL dispose-t-il aujourd'hui de toutes les modalités thérapeutiques pour faire face aux mécanismes spécifiques des tumeurs que vous traitez  ?

Oui. Ce qui est important en cancérologie, c'est de permettre aux patients de disposer des nouvelles innovations thérapeutiques. Et l'accès à l'innovation est en enjeu absolument stratégique. Par exemple, les anticorps drogue-conjugués que je viens d'évoquer : l'étude qui a validé l'efficacité de cette molécule a été ouverte au CGFL et a permis à la moitié des patients inclus dans cette étude de bénéficier précocement de ce nouveau traitement. Je suis fier aujourd'hui de dire que le CGFL est le premier centre de lutte contre le cancer en France en terme d'inclusion de patients dans un essai clinique. 33 % de nos patients ont bénéficié, à un moment donné, à l'accès directe à l'innovation thérapeutique.
Il faut aussi souligner la grande complémentarité, les synergies extrêmement fortes, sur certains parcours de soins -l'urologie, l'ORL, les tumeurs cérébrales- avec le CHU Dijon-Bourgogne avec lequel nous travaillons en grande intelligence.

Vous venez d'être renouvelé dans vos fonctions de directeur général du CGFL. Quelle est la feuille de route que vous avez dressée pour les 5 prochaines années ?

Conforter le rayonnement du CGFL et son positionnement de centre de référence. Continuer notre politique d'ancrage territorial et de soutien aux établissements de la région de façon à aller encore plus loin dans la réduction des inégalités sociales et de l'accès aux soins. Poursuivre le développement des prises en charge de précision et promouvoir l'accès à l'innovation thérapeutique pour tous sans reste à charge et sans dépassement d'honoraires.
Il faut évidemment investir de façon importante dans les nouvelles technologies et le plateau technique. On va changer nos accélérateurs de particules, nos scanners de simulation en radiothérapie, acquérir deux appareils plus modernes et plus efficaces de radiothérapie, un robot chirurgical...
Accentuer le rayonnement scientifique avec la poursuite du développement de nos activités de recherche.
Dans ce deuxième mandat, je souhaite mettre des moyens importants sur la prévention et le dépistage au stade le plus précoce possible. C'est un objectif de santé publique que d'éviter d'abord et avant tout l'apparition de cette maladie. Près de la moitié des cancers sont évitables. C'est pourquoi je voudrais, demain, faire un authentique centre de prévention en direction des établissements scolaires.

Et l'après cancer ?

Je veux absolument développer cette question là en créant un centre de l'après cancer. Un endroit probablement déconnecté du CGFL pour insister sur le fait qu'on est entré dans l'étape d'après. Ce n'est pas parce qu'on est guéri, en rémission complète, qu'on n'a plus de traitements actifs contre la maladie qu'on va retrouver sa vie d'avant. Il y a des séquelles physiques et psychologiques de tous niveaux sur lesquelles il faut agir. Dans un centre après cancer, il y a aussi la question de la surveillance capable de mettre en évidence une récidive assez précocement quand elle survient.

Et comment cette surveillance peut-elle s'exercer ?

Il y a des études qui arrivent à grande vitesse. Elles vont permettre de rechercher l'ADN circulant dans le sang. C'est un nouveau concept. On va prendre la tumeur initiale du patient, on va l'envoyer aux Etats-Unis ou en Angleterre pour faire des sondes. Ainsi, en situation de surveillance, grâce à cette sonde créée pour le patient et pour lui seul, grâce à des prises de sang régulières, il sera possible de détecter des signaux qui pourraient nous alerter. Nous avons deux essais majeurs au CGFL sur cette stratégie. Vous le voyez, les paradigmes sautent les uns après les autres.

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre