Fait unique à Chenôve, le débat d’orientation budgétaire et le vote du budget communal 2023 sont repoussés à février et avril prochain. Du jamais vu. Thierry Falconnet, maire de la commune, revient sur cette situation inédite. L’occasion aussi d’évoquer tous les sujets qui mobilisent les élus cheneveliers.
Dijon l’Hebdo : Guerre en Ukraine, explosion des coûts de l’énergie, inflation… Ces derniers mois, les facteurs d’inquiétude se sont multipliés et ne facilitent pas la préparation des budgets locaux. Comment vit-on la situation à Chenôve ?
Thierry Falconnet : « Comme dans toutes les collectivités locales qui sont en train de préparer leur budget. C’est à dire en prenant en compte l’inflation inédite des produits alimentaires qui atteint les 10 %, avec une pluralité de facteurs qui expliquent cette inflation. Dans une ville comme Chenôve, cela se traduit aussi par une précarité accrue. Les 12 produits de première nécessité qui sont pris en compte sur le plan alimentaire pour calculer la hausse des prix, sont impactés. En prenant en compte également le choc énergétique qui pèse sur le prix des produits alimentaires et qui laisse à penser que cette inflation est durable.
A Chenôve particulièrement, nous craignons une explosion de la demande sociale. Et, bien entendu, la ville et son centre communal d’action sociale vont être en première ligne pour faire face à cette situation dans un contexte particulier qui nous a amenés à relocaliser notre CCAS sur l’immeuble d’entreprises Dyonisos suite à l’incendie criminel survenu dans la nuit du 13 au 14 juillet dernier.
Si on prend les problèmes d’inflation, de prix de l’énergie auxquels il faut ajouter l’augmentation du point d’indice de la fonction publique qui, pour un maire de gauche, est une bonne chose en terme de pouvoir d’achat, tout cela, mécaniquement, a des incidences sur la préparation budgétaire. On serait, en effet, sur une augmentation des dépenses de fonctionnement évaluée à 900 000 € alors que les recettes de fonctionnement n’évoluent pas de la même façon ».
DLH : Ce qui est pour le moins inconfortable pour préparer sereinement un budget ?
T. F : « Effectivement. C’est pourquoi nous avons pris la décision, comme d’autres collectivités, de repousser le vote du budget. Habituellement, nous avions le débat d’orientation budgétaire en novembre et nous votions le budget de l’année suivante en décembre. Là, les incertitudes sont telles que nous avons décidé de positionner le débat en février et le vote en avril 2023. C’est une situation inédite. Il faut absorber 500 000 € supplémentaires liés à l’inflation et 400 000 € supplémentaires avec l’augmentation du point d’indice. Nous attendons un certain nombre de décisions du gouvernement. Nous espérons que le congrès des maires permettra de poser les défis et les problèmes auxquels les élus locaux sont aujourd’hui confrontés ».
DLH : La baisse cumulée des dotations qui vient se greffer à la situation particulière que nous vivons est-elle de nature à peser sur le service public que vous assurez au quotidien ?
T. F : « Si on regarde bien les perspectives qui sont élaborées par nos services, il nous faut d’abord faire usage de notre pouvoir d’alerte en direction des pouvoirs publics. Si rien n’est fait, la municipalité pourrait subir un effet ciseaux entre des dépenses en augmentation et des recettes en baisse qui viendraient fragiliser nos équilibres comptables et budgétaires. Cette situation que nous subissons n’est pas exceptionnelle à Chenôve et nous attendons un dialogue constructif entre les élus locaux et leurs associations, les parlementaires et le gouvernement ».
DLH : Ce qui n’est pas forcément évident en ces périodes de 49-3 ?
T. F : « Ce que je regrette. Le gouvernement et les responsables politiques nationaux en place ont préféré le 49-3 au débat. Comme l’a souligné André Laignel, maire d’Issoudun, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et président du Comité des finances locales, nous ressentons une forme de mépris pour les collectivités locales, loin des bonnes intentions affichées par Elisabeth Borne, la Première ministre et un certain nombre de ministres ».
DLH : Est-ce pour cela que cette préoccupation, vous l’avez traduite sous la forme d’un vœu qui a été voté à l’unanimité moins une voix lors du dernier conseil municipal ?
T. F : « Ce vœu est la reprise d’une motion proposée par l’Association des maires de France. Quatre inquiétudes y sont affichées. Premier sujet : l’indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation galopante. Deuxième sujet : la suppression de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises qui ne nous concerne pas directement certes dans la mesure où la CVAE est perçue par la Métropole, mais la capacité financière de cette dernière -qui redistribue aux communes- pourrait être affectée. Il y a aussi de fortes interrogations sur le fameux fonds vert de 500 millions pris sur la CVAE. Nous craignons fort un déshabillage de l’un pour habiller l’autre.
Troisième sujet : la contribution au redressement des finances publiques. Ce n’est pas une situation nouvelle. Nous l’avons connue sous le quinquennat de François Hollande, et c’est un maire socialiste qui le rappelle. 17 milliards annoncé dans un contexte d’inflation, c’est un manque de confiance à l’égard des collectivités territoriales.
Quatrième sujet : l’absence de bouclier tarifaire pour les collectivités contraintes de renouveler leurs contrats au prix du marché avec des augmentations qui vont de 200 à 700 % ».
DLH : Et quel est l’impact pour la ville de Chenôve ?
T. F : « Pour ne prendre que l’exemple de Chenôve, entre 2021 et 2022, à mesure de températures égales et comportements identiques, nous serions sur une augmentation évaluée entre 350 000 et 400 000 € simplement pour le budget énergie ».
DLH : Vous êtes très inquiet ?
T. F : « Inquiet, je le suis forcément. Nous subissons à la fois différentes crises -économique, environnementale, sanitaire dont nous ne sommes pas encore sortis complètement, sans oublier ses conséquences… et une crise de confiance chez nos concitoyens. La confiance dans la parole publique est fortement entamée. Nous constatons aussi une forme de repli et de dérive sectaire qui a été pointé par la Miviludes. On sent bien que le terreau n’est pas bon et on pourrait craindre voire pousser toutes les mauvaises herbes qui engendrent de mauvais comportements. L’échelon communal est en première ligne et si l’on réduit son pouvoir comme le craint l’AMF, on va encore aggraver les symptômes de la crise et surtout réduire la capacité des élus locaux pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens ».
DLH : En terme d’économies d’énergie, quelles sont les mesures d’urgence que vous avez prises dans votre commune ?
T. F : « Les communes qui composent la Métropole ont pris des mesures de sobriété énergétique mais aussi pour faire face aux enjeux de transition écologique. A Chenôve, sur les questions énergétiques, nous avons déjà engagé un travail de rénovation des bâtiments. On est là dans des mesures structurelles. Sur un plan conjoncturel, nous avons baissé les températures dans les gymnases, dans les bureaux, à la piscine, décalé de 30 minutes la remise en chauffe des locaux… Tout cela répond évidemment à l’impératif de réduction de nos dépenses énergétiques. Je précise que cela ne concerne aucunement les bâtiments qui accueillent des publics fragiles, c’est à dire les aînés, la petite enfance et les écoles.
Il est aussi important de mettre en avant le travail de sensibilisation qui a été engagé en direction de nos agents sur l’éclairage, la consommation des appareils informatiques, sur le fait de ne pas utiliser de chauffage d’appoint dans les bureaux, d’éteindre les lumières en sortant… Sans oublier les usagers : je viens de réunir les représentants des 140 associations de Chenôve pour les inciter à s’inscrire dans notre démarche d’économies. Chacun doit être acteur de cette baisse des dépenses d’énergie et plus largement de transition écologique.
Je voudrais aussi préciser que cette dimension d’économie d’énergie, d’éco-responsabilité, est prise en compte, dès le départ, dans l’élaboration de nos projets. Nous appliquons une démarche vertueuse dans nos quatre grands projets d’équipements publics : le nouveau gymnase du Mail qui ouvrira prochainement ses portes, le futur centre de loisirs reconstitué sur le Plateau, l’extension – restructuration de la bibliothèque médiathèque François Mitterrand et la déconstruction – reconstruction de l’école des Violettes qui est aujourd’hui un bâtiment totalement obsolète sur le plan de l’isolation. Nous sommes sur un bâtiment de type Pailleron où il fait très froid l’hiver et trop chaud l’été. Pour rappel, nous avons été contraints cet été de le fermer en raison des températures beaucoup trop élevées ».
DLH : Pourquoi n’avez-vous pas suivi l’exemple d’autres communes qui ont réduit l’éclairage public ?
T. F : « Certains maires ont décidé de le couper à partir d’une certaine heure, pas moi. Gouverner, c’est choisir. Pour des questions relatives à la tranquillité et à la sécurité publiques, j’ai fait le choix de maintenir l’éclairage public, en accord avec la Métropole qui gère cet aspect des choses.
Certains quartiers de Chenôve sont trop souvent l’objet d’actes délictueux pour que je prenne la lourde responsabilité de plonger la ville dans le noir. Je n’oublie pas que nous avons dans notre population des personnes qui prennent leur travail tôt le matin et d’autres qui finissent tard le soir. Des personnes qui utilisent plus massivement qu’ailleurs les transports en commun ».
DLH : L’extension des horaires de la police municipale s’inscrit-elle dans cette préoccupation ?
T. F : « Bien évidemment. La promesse de campagne que nous avions prise lors des élections municipales de 2020, liée à l’extension des horaires de la police municipale, est tenue. Grâce à un effectif renforcé, depuis le 12 novembre, nos fonctionnaires travailleront également le samedi de 11 h 30 à 17 heures. Un peu plus tard, nous mettrons à l’ordre du jour des instances sociales de la collectivité l’extension de ces horaires jusqu’à 21 heures. En lien et en accord, bien sûr, avec la direction départementale de la sécurité publique pour agir en complémentarité avec la Police Nationale. Sachez que, depuis deux ans, cette extension a concerné aussi les horaires de soirée qui vont jusqu’à 19 heures. Nous sommes passés de 7 policiers municipaux à 10, et bientôt 12. Un effectif qui s’est rajeuni et féminisé. Ce qui nous a amené à faire un effort substantiel en matière d’équipements. Je rappelle que nous avons décidé d’armer notre police municipale. Nous avons également renforcé les moyens collectifs de défense pour nos policiers.
Suite au troisième incendie criminel de cet été, nous allons très fortement accentuer la vidéo-protection sur la ville. Sur deux exercices budgétaires, nous allons installé une quinzaine de caméras supplémentaires pour couvrir d’abord l’ensemble des bâtiments publics et, ensuite, les points sensibles d’entrée et de sortie de ville pour mieux observer les comportements, de jour comme de nuit. Nous étudions avec Dijon Métropole un avenant au contrat qui nous lie sur la question de la vidéo-protection pour avoir un opérateur qui soit spécifiquement, le soir et la nuit, en veille sur les caméras de Chenôve ».
DLH : Vous avez mis en place un comité Consultatif sur la Tranquillité Publique ? Concrètement, à quoi sert-il ?
T. F : « Tout d’abord, je souhaiterais que toutes les questions de tranquillité et de sécurité publiques soient dépolitisées. C’est à dire qu’elles ne soient pas systématiquement l’objet de polémiques entre la majorité et l’opposition, quelles que soient d’ailleurs cette majorité et cette opposition. Ce que je constate, dans les discussions que j’ai pu avoir au sein de l’association Ville et Banlieue et, plus largement, au sein de la commission sécurité de France Urbaine au sein de laquelle siège notre collègue Nathalie Koenders, dans les échanges informels avec des maires ruraux, périurbains, des collègues maires de plus grandes villes… c’est que les préoccupations en matière de tranquillité et de sécurité publiques, ne sont l’apanage ni de la droite ni de la gauche. J’ai la conviction qu’il y a besoin d’aborder ces questions en dehors de tout esprit partisan, dans un esprit partagé de responsabilité.
Ce comité consultatif sur la tranquillité publique que je souhaiterais réunir au moins trois fois par an, dans sa constitution, représente l’ensemble des forces politiques du conseil municipal, majorité comme opposition. J’ai voulu associer mes collègues de l’opposition à la réflexion collective. Mon souhait, c’est d’obtenir un consensus sur ce terrain ou, au moins, d’être dans le partage des constats et des diagnostics. Et, éventuellement, cela dépend bien sûr de la bonne volonté des uns et des autres, d’être dans la construction de solutions partagées. Toutes les idées en la matière sont bonnes à prendre. Des idées qui doivent se situer évidemment dans un cadre démocratique et d’équilibre entre la prévention primaire, la prévention spécialisée, la nécessaire sanction, la question de la réparation en direction des victimes… Il est impérieux de rassembler les contributions, les énergies, les bonnes volontés d’où qu’elles viennent autour de ces questions.
Le comité associe aussi des habitants. Il y a un représentant de chacun des conseils citoyens et participatifs – 4 personnes – et six administrés volontaires ayant fait acte de candidature -3 femmes et 3 hommes- avec des tranches définies : 2 chez les 16 – 29 ans, 2 chez les 30 – 59 ans et 2 chez les plus de 60 ans. Nous adjoindrons, si besoin, des personnalités qualifiées comme le procureur de la République, le directeur départemental de la sécurité publique, le directeur de cabinet du préfet… ».
DLH : La dimension festive de Noël sera-t-elle préservée cette année ?
T. F : « Pas question de toucher aux fêtes de fin d’année. Depuis 2016, elles sont l’occasion de rappeler le caractère solidaire de la ville. Nous lancerons les illuminations le 3 décembre, de la salle des fêtes à l’esplanade de la République. En cette période de grisaille et d’anxiété, il est important de renforcer le caractère festif. Nous avons bâti un programme copieux pour l’édition 2022 de notre « Noël solidaire » qu’on peut consulter sur le site de la ville ».
Quelles sont les principales dépenses que vous souhaitez préserver en 2023 ?
T. F : « Il est essentiel de préserver les dépenses de solidarité. Nous avons, à Chenôve, une population qui s’est précarisée, encore appauvrie. La ville, c’est le premier échelon de solidarité. Il est hors de question de tailler dans les dépenses sociales. Nous préserverons les dépenses liées à l’éducation car on touche là à la prévention primaire. Les jeunes de Chenôve ont besoin d’être accompagnés et soutenus, notamment celles et ceux issus des familles les plus modestes. Nous ne souhaitons pas, non plus, réduire notre soutien au monde associatif. Nous avons besoin, dans le contexte que nous vivons, de recréer du lien social, de maintenir et de renforcer les relations entre les différentes catégories de population.
Là où nous devons faire des efforts, c’est sur notre fonctionnement interne. Nous sommes très attentifs au renouvellement du personnel. C’est sur la masse salariale et sur le fonctionnement des services que nous allons porter notre effort pour faire sinon mieux, au moins aussi bien, avec moins de moyens. Mais ce genre d’exercice, on le sait, a des limites… Et il pourrait nous amener à revoir notre calendrier de projets ».
DLH : 2023 aura quand même son lot de bonnes nouvelles ?
T. F : « Oui, bien entendu. Nous poursuivons nos projets de ville. 2023 verra se poursuivre le projet de parc végétalisé à l’emplacement de l’ancien centre commercial Saint-Exupéry. C’est un projet de 5,5 millions d’euros d’investissement, financé bien évidemment par la ville de Chenôve mais aussi par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine et Dijon Métropole. Ce sont 400 arbres qui vont y être plantés, 25 000 plantes, 742 espèces végétales, de nouvelles places de stationnement.
J’espère que la tranquillité publique sera encore améliorée en 2023. Année qui verra une réduction de la vitesse avec une extension de la zone 30 et des aménagements particuliers sur l’axe Maxime Guillot – Marsannay qui étaient demandés depuis très longtemps par les riverains de ces deux rues particulièrement irrités par les usages déviants. Nous allons poursuivre la phase d’étude de l’installation du centre de loisirs sur le Plateau, la réflexion sur l’extension de la bibliothèque.
2023 sera aussi l’année de l’inauguration du nouveau gymnase du Mail, un très bel écrin éco-responsable, auto-suffisant en consommation électrique. Nous aurons également la livraison de nouveaux logements, commerces et services de proximité en cœur de ville. Je ne voudrais pas oublier, non plus, le travail avec la Métropole sur la requalification de l’avenue Roland Carraz qui est aujourd’hui l’axe majeur du développement du sud dijonnais. On peut aussi, et je m’en félicite, souligner l’attractivité de notre commune auprès des aménageurs et des promoteurs immobiliers qui souhaitent travailler avec nous sur cet axe sud et dans toute la ville ».
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre