Sauvetages en mer et filières de passeurs : Partie visible et invisible de l’iceberg

S’il est un des problèmes des plus fondamentaux et des plus complexes à traiter, c’est bien celui posé par le flux croissant de personnes qui – pour des raisons très diverses – quittent leur pays dans l’espoir d’un avenir meilleur ailleurs. La polémique fait rage  depuis que Gérald Darmanin a autorisé l’Ocean Viking – le navire humanitaire affrété par SOS Méditerrané – à débarquer à Toulon. Est-ce là véritablement la fin d’un périple éprouvant pour les 230 migrants qui avaient fui d’Afrique, dont 57 enfants ? Si le droit d’asile leur est accordé, la France accueillera un tiers des rescapés ; les autres seront pris en charge par des pays européens – ce qui est loin d’être réglé.

« C’est un grand soulagement » a déclaré, sans doute un peu trop à la légère, Sophie Beau, directrice générale de l’association SOS Méditerranée. Car se pose désormais une multiplicité d’interrogations essentielles. Interrogations dont certaines semblent sans issue : comment et qui donnera à ces réfugiés les modes d’emploi d’une intégration satisfaisante, tant pour eux-mêmes que pour les pays qui leur offriront asile ? Deuxio, qui sera en capacité de vérifier ceux qui sont guidés par le souci légitime de trouver un travail ou, à l’inverse, ceux qui sont ceux mus par des motifs inavouables – tels que créer ou alimenter des filières du narco-terrorisme ? Tertio, il est urgentissime de se demander si l’Ocean Viking et ses semblables sont des bateaux humanitaires ou des navires se satisfaisant de battre pavillon politico/idéologique. En effet les staffs de direction de pas mal de ces associations de sauvetage en mer ne se sentent responsables d’aucun suivi, ni d’aucun « service-après débarquement » (1). Aux différentes structures des états, aux municipalités -mises la plupart du temps au pied du mur, aux établissements scolaires démunis de se débrouiller ! Actuellement, l’une des plus graves problématiques que rencontrent les maires consiste à faire accepter les nouveaux arrivés à des populations de plus en plus réticentes !

Entendons-nous : ces êtres en déshérence laissent tout derrière eux : familles, cultures, coutumes, modes de vie ancestraux ; ils s’entassent à destination des rivages européens sur des radeaux ou des rafiots pourris, au péril de leur vie. Faute de papiers, de passeports, de visas, ils ont recours aux filières des passeurs principalement africains ou albanais (2). Un passage peut coûter de 2 000 à 5000 $, voire 7 000 $. On imagine qu’il s’agit, là, de sommes empruntées, qu’ils auront à rembourser dans des conditions aboutissant à un quasi esclavage, comme l’ont démontré des journalistes d’investigation ou des enquêteurs.

L’obligation de sauver les vies humaines en mer est intangible – c’est un principe auquel ni la morale, ni les droits internationaux ne devraient jamais se soustraire. Les filières de passeurs comptent là-dessus, non seulement pour abandonner leurs embarcations bien loin des côtes, afin d’éviter que leurs équipages réduits à un « capitaine » ainsi qu’à quelques gardes chiourmes ne se fassent prendre par les autorités maritimes. Leurs commanditaires ou bailleurs de fonds n’éprouvent bien sûr pas le moindre scrupule à livrer les passagers à un sort souvent dramatique. En réalité, ils comptent sur les associations humanitaires pour prendre la suite… Or, plus ces dernières interviennent dans des opérations de sauvetage, plus cela permet aux filières de multiplier leur trafic d’êtres humains. Voilà pourquoi les états de l’UE, le Canada et autres, tout comme les autorités maritimes internationales se trouvent confrontés à l’insoluble quadrature du cercle…

Marie-France Poirier

  1. SOS Méditerranée compte à son actif environ 340 missions de sauvetage. L’association se donne également pour objectif de documenter les opérations, puis de sensibiliser sur le sujet par l’organisation de festivals et de conférences notamment en milieu scolaire. Les fonds de SOS Méditerranée proviennent de dons de particuliers ainsi que de financements d’entreprises, de mécènes ou de métropoles situées en France et en Europe.
  2. Les bailleurs de fonds, les commanditaires de ces filières de passeurs sont rodés au monde clandestin des affaires et se protègent de tout contrôle en créant en Europe (notamment en Scandinavie) des sociétés écrans qui ont pignon sur rue. Pour ce faire, ils mettent des hommes de paille à leur tête, dont la mission se résume au blanchissement d’argent!