Comme toutes les entreprises et les citoyens au demeurant, les collectivités subissent de plein fouet des hausses énergétiques record. Si bien que nombre de maires ou de présidents d’intercommunalité tirent la sonnette d’alarme. Et, dans le même temps, les collectivités se doivent de réussir la transition écologique. Une équation compliquée… Le président de l’Association des maires de la Côte-d’Or, Ludovic Rochette, explique comment « franchir ce mur… »
Dijon l’Hebdo : Après le Covid où les communes ont été en première ligne, d’aucuns auraient pu penser que la période pouvait être plus « douce » pour les élus. Il n’en est rien, la hausse des dépenses énergétiques noircissant leur quotidien…
Ludovic Rochette : « Nous avons dû faire face à la pandémie et nous avons eu derrière une deuxième période qui était celle de la relance, où, là encore, les communes et les intercommunalités ont répondu présentes. Nous sommes sur une troisième phase qui est également très compliquée. Nous sommes à la fois confrontés à l’inflation – nous parlons beaucoup du surcoût énergétique mais il ne faut pas oublier non plus l’augmentation des marchés publics – et nous avons aussi cette nécessité de continuer la commande publique afin que l’économie fonctionne, car les collectivités locales représentent près des deux tiers de l’investissement public. Nous allons avoir des préparations budgétaires assez compliquées. Nous nous devons d’avoir une vision pluriannuelle de l’investissement sans que la vision de nos ressources ne le soit. Nous avons bien sûr des systèmes d’aides et notamment le bouclier énergétique pour un très grand nombre de communes. Néanmoins, ce sont des aides ponctuelles alors que nous sommes sur des enjeux qui sont fondamentaux à long terme. Et c’est pour cela que notre système actuel ne tiendra pas sur la durée. Il est nécessaire que nous ayons cette réflexion de nouvelle relation entre l’État et les collectivités ».
DLH : Vers quelles formes de nouvelle relation souhaiteriez-vous aller ?
L. R : « Cela passe par une refonte des systèmes de compétences accompagnée par une refonte de la fiscalité locale. Le président de l’AMF, David Lisnard, vient encore d’évoquer cette nécessité. Et cela passe aussi par la péréquation, c’est à dire la solidarité avec l’État mais aussi entre les collectivités elles-mêmes. Nous constatons, notamment, que, dans le domaine énergétique, nous avons bien sûr, de très fortes dépenses en terme de fonctionnement et, dans le même temps, des investissements conséquents à réaliser. Mais ces investissements peuvent être créateurs de fiscalité. Nous avons une nécessité de développer des énergies renouvelables, qui sont créatrices de fiscalité (comme l’IFER). C’est exactement le type de projet gagnant-gagnant… Je crois notamment sur la Côte-d’Or au développement du photovoltaïque et des ombrières. Nous sommes à un seuil d’un système qui aura bien du mal à traverser le mur financier qui est face à nous. Je l’évoque depuis très longtemps. Je pensais que le franchissement allait être difficile mais la crise ukrainienne s’est greffée si bien que ce mur est encore plus haut ».
DLH : Franchir ce mur passe, ainsi, par un nouveau temps de la décentralisation ?
L. R : « C’est une vraie chance pour l’État de compter sur les collectivités locales si elles ont les moyens de développer des investissements et, à l’inverse des idées préconçues, de maintenir ou développer des services à un prix qui peut être raisonnable. Nous avons le Congrès des maires à Paris puis le Salon des maires en Côte-d’Or qui sont des événements cruciaux à l’échelle nationale comme locale pour que l’on puisse véritablement se projeter sur cet autre temps. Cet autre temps qui s’ouvre ne pourra pas se faire sans les collectivités qui ont montré, durant le Covid et la relance, leur efficacité et leur vertu ».
DLH : L’élargissement du bouclier tarifaire énergétique opéré par l’État, par le biais d’un amendement au Projet de Loi de Finance 2023, était demandé par l’AMF. Celui-ci a dû vous réjouir ?
L. R : « C’est le rôle des associations représentatives d’élus comme l’AMF de porter la voix des difficultés rencontrées par les collectivités. Dans le premier système proposé par l’État, étaient écartées les communes disposant d’équipements structurants étant, pour beaucoup, énergivores : gymnases, écoles, centres de loisirs… Nous avons bien sûr été satisfaits d’avoir été écoutés. Nous avons un enjeu fondamental à la fin : il existe des collectivités qui peuvent prendre le virage de la transition énergétique alors que d’autres deviennent exsangues. Car si l’on veut investir, il faut avoir des capacités provenant du fonctionnement. Si on a des dépenses égales aux recettes, nous n’avons plus de marges. C’est pour cela que je prône une nouvelle étape de la Décentralisation, une refonte de la fiscalité locale et une redéfinition de cette solidarité, la péréquation, afin que toutes les collectivités aient les moyens de leur politique énergétique. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ! »
DLH : On parle de la France à deux vitesses. Craignez-vous des collectivités à deux vitesses ?
L. R : « Complètement. Nous avons des collectivités qui sont capables aujourd’hui de changer tous leurs lampadaires, de passer à un système de LED, pendant que d’autres n’ont même pas les moyens d’embrayer cela ! Les systèmes d’aides d’aujourd’hui sont très bien pour les collectivités locales qui verront une augmentation de leur dépense énergétique, pour simplifier, bloquée à 15%. Néanmoins, cela ne permettra pas à des collectivités de débuter leur transition. Nous sommes là sur des enjeux environnementaux, financiers et socio-économiques majeurs. C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons pas faire l’économie de cette grande réforme. Il va falloir que l’État mais aussi les collectivités locales soient courageuses ! »
DLH : La baisse des aides de l’État aux collectivités (comme la Dotation globale de fonctionnement) est manifeste depuis plusieurs années…
L. R : « Dans tout ce qui dépend des aides à l’investissement, un effort énorme a été fait ces dernières années, il faut le reconnaître. En ce qui concerne la DGF, nous nous sommes presque habitués depuis plus d’une décennie : cela a commencé avec le gel sous Nicolas Sarkozy, cela a baissé de façon conséquente sous François Hollande et depuis quelques années les volumes nationaux ne baissent plus mais c’est la répartition entre les collectivités qui pose question. Moins vous avez d’habitants moins vous avez d’aides… Ce sont des systèmes de calcul assez compliqués mais, grossièrement, même s’il y a des systèmes comme la Dotation de solidarité rurale qui permet de compenser certaines baisses, nous avons tout de même des effets de seuil qui sont terribles aujourd’hui pour certaines collectivités. On voit bien que ces systèmes de dotation sont aussi un peu à bout de souffle ».
DLH : Les communes ont retrouvé toute leur place dans le cœur des Français. N’est-ce pas là la meilleure nouvelle pour bâtir l’avenir ?
L. R : « Il y a eu une phase où on a redécouvert les maires. Après on a redécouvert les communes. En fin de compte, nous étions un peu à l’avant-garde de cette volonté réaffirmée de la proximité. Nous voyons aujourd’hui notamment que ce qui fonctionne ce sont les commerces de proximité, les filières courtes. Cela, dans les communes, nous ne l’avons pas inventé depuis deux ans. Cela fait des décennies. Aussi avons-nous un savoir-faire, une connaissance du terrain. Cela ne veut pas dire que l’État est hors sol. Non, l’État a aussi bien évolué. Je le vois dans les relations avec le préfet. Les deux précédents ont eu des liens très étroits avec les maires. Je suis convaincu que le nouveau préfet est aussi dans cet état d’esprit. Nous avons cette base qui est incroyable par rapport aux autres pays européens et sur laquelle on doit capitaliser. Il faut fortifier cette base qui est efficace, vertueuse, et qui nous permettra de traverser au mieux la nouvelle phase qui s’ouvre à nous et qui est pleine d’incertitudes ».
DLH : Les communes et les intercommunalités peuvent-elles ainsi être à l’avant-garde de toutes les transitions ?
L. R : « Nous nous sommes pour beaucoup lancés sur des plans alimentaires territoriaux, nous faisons aussi des Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Même ma communauté de communes qui n’a pas l’obligation de le faire (moins de 20 000 habitants) se lance dans ce type de plan. Nous développons également des schémas d’énergie renouvelable, tout cela en lien avec le SICECO qui épaule très bien les intercommunalités. Cela a un vrai sens de le faire en proximité et, après, de trouver des coordinations entre les territoires. Il y a aussi une véritable évolution : les territoires ne sont plus des aquariums, les espaces sont interactifs. Les discussions et les mutualisations entre territoires se développent. Nous devons aujourd’hui discuter entre interco, la métropole, le département, la région. Je prends l’exemple de la mobilité. Cela n’a aucun sens de travailler sur ce sujet recroquevillé sur soi-même. Je suis très heureux de constater que cela se fait. C’est une révolution dans les pratiques politiques qui est indispensable et je suis très optimiste dans les capacités des collectivités de pouvoir travailler avec d’autres. C’est là aussi où les associations d’élus ont un rôle fondamental car ce sont des espaces de dialogue … Le Salon des Maires sera ainsi un moment de rencontre entre présidents d’intercommunalité. Nous avons prévu une première réunion à laquelle participera aussi la métropole. C’est une étape indispensable ! »
Propos recueillis par Camille Gablo