Série passionnelle et sanglante de Bruno Merle et Olivier Abbou avec Nicolas Duvauchelle, Alyzée Costes, Niels Arestrup, Alex Granberger, Alice Belaïdi, Lola Creton, Sami Bouajila, Brigitte Catillon, Marie Denarnaud.
Adrien (Nicolas Duvauchelle), écrivain en panne d’inspiration connu sous le nom de Mody, est engagé par un mystérieux retraité, Albert Desiderio (Niels Arestrup), pour rédiger ses mémoires. L’homme lui raconte son passé de tueur en série et son histoire d’amour passionnée pour Solange (Alyzée Costes). Une relation de fascination et de rejet se noue entre Adrien et l’ancien serial killer.
Une épopée romanesque et seventies
Vingt ans après LES CORPS IMPATIENTS (2002) de Xavier Giannoli, Nicolas Duvauchelle retrouve la trop rare Marie Denarnaud pour une série hypnotique totalement addictive que vous avez la chance de pouvoir regarder en toute liberté et gratuité sur Arte.tv, ou les jeudis soirs sur la chaine franco-allemande.
Toute la distribution est incroyable, du duo de tueurs-coiffeurs incarné par Alex Granberger et Alyzée Costes, au vieux conteur Niels Arestrup, du tandem de policier Sami Bouajila et Marie Denarnaud, aux compagnes ou mères au bord de la rupture interprétées par Alice Belaïdi, Brigite Catillon et Lola Creton.
Les créateurs Bruno Merle et Olivier Abbou nous entrainent dans une épopée romanesque très seventies, s’amusant à nous perdre dans le labyrinthe de la mémoire des personnages, en particulier celle d’Albert Desiderio. En racontant l’histoire d’Albert, Adrien prend conscience petit à petit qu’il est en train de se raconter …
Pour le réalisateur Olivier Abbou, « le mélange des genres est inhérent à notre travail. Il constitue même notre identité créative. Dans la série, il y a d’un côté le parcours du romancier, Adrien, que nous avons fini par qualifier de thriller existentiel mais qui s’apparente à une sorte de psychanalyse en miroir. Et de l’autre côté, le parcours d’un couple de tueurs en série qui est aussi une grande histoire d’amour située dans la France des années 1970. Nous avons donc mélangé différents genres et cela a été assez jouissif de passer de l’un à l’autre, sachant que le tout allait former une seule grande et même histoire familiale. »
Le travail des créateurs de la série a duré cinq ans, sans aucune contrainte de calendrier, ce qui explique la qualité d’écriture des PAPILLONS NOIRS, œuvre fascinante et double, puisque le roman confessionnal qu’écrit Mody dans la série, est sorti en ce début du mois en librairie aux éditions du Masque, célèbre collection jaune et noir, comme les gialli italiens, thrillers habitués aux pseudonymes et aux mystères éditoriaux.
L’œuvre dans l'œuvre
Pour Les Papillons noirs, l’auteur Mody a relevé un défi singulier, semblable à un jeu de poupées russes, entre littérature et série télévisée. L’écrivain s’appelle Adrien mais publie sous le nom de Mody. Si au départ Mody est censé écrire l’autobiographie d’Albert Desiderio, il finit en fait par s’emparer de l’histoire de son pourvoyeur pour relancer sa carrière, sans imaginer que Desiderio n’est pas celui qu’il croit. Passé et présent, fiction et réalité se mêlent alors pour le meilleur de la création, mais surtout pour le pire.
« Je voulais filmer le texte que le personnage joué par Nicolas Duvauchelle tape sur son ordinateur, précise le réalisateur. Il y a aussi une scène dans une librairie où Adrien-Mody lit le début de son roman. Au fil de notre travail sur le scénario des Papillons noirs, qui a duré plusieurs années, Bruno et moi avons acquis la certitude qu’il faudrait faire tomber le quatrième mur, celui de la caméra, afin de rendre poreuse la frontière habituelle entre fiction et réalité. »
LES PAPILLONS NOIRS est un objet textuel, visuel, sensuel, une série dérangeante et violente, une chose arty à laquelle la chaîne Arte ne nous avait pas habitués. Au-delà des pulsions meurtrières, la fiction interroge, grâce au personnage de Nora, la compagne scientifique d'Adrien jouée par Alice Belaidi, la notion d'épigénétique. Ainsi la série est à la fois un thriller monstrueux, mais aussi un mélo assumé, avec son lot de secrets de famille, de liaisons cachées, jusqu'au policier obsédé par les affaires classées, campé magistralement par Sami Bouajila.
Si la chanson « Les papillons noirs » est signée Serge Gainsbourg, c’est Clément Tery qui compose la partition de la série, après TERRITOIRES (2011) et FURIE (2019) du même réalisateur, avec des cordes en répétition systématique pour l'action, du lyrisme pour la dimension romanesque, une présence vocale angélique et des dissonances mystérieuses jazzy, instrumentation morriconienne proche de celles des films de Dario Argento ou de PEUR SUR LA VILLE (1975) de Verneuil. Une réussite totale.
Raphaël Moretto
Mody, Les papillons noirs, Le Masque, 270 pages, 19.90€
Série sur Arte les jeudi soirs, et sur arte.tv