Comédie romantique française d’Emma Benestan avec Yasin Houicha, Oulaya Amamra, Tiphaine Daviot, Raphaël Quenard, Bilel Chegrani, Tassadit Mandi et Guillermo Guiz.
Azzedine (Yasin Houicha) travaille chez un ostréiculteur à Sète. Les huîtres il connaît ça par cœur, il les ouvre par centaines. Dans l’une d’elle, Az (c’est son surnom) décide de cacher une bague, pour demander sa petite amie Jessica (Tiphaine Daviot) en mariage, comédienne dans la série locale « Crime à la mer ». La « Kate Winslet de Draguignan » ne dit pas oui. Heureusement, sa bande d’amis est prête à tout pour l’aider à sortir la tête de l’eau. Az va apprendre à danser par amour, avec la belle Lila (Oulaya Amamra)…
Alors que nous sommes en plein festival de Cannes & Croisette – nous aurons l’occasion d’y revenir prochainement – nous avons eu envie de vous transporter du côté de la Méditerranée, dans son versant plus héraultais que maralpin, avec le premier film d’Emma Benstan, Fragile. Cette œuvre comique et touchante a été tournée pendant l’été indien, quand la lumière commence à décliner : saison la plus belle, infiniment solaire et énergique, qui rend les corps exposés remplis d’éclats et de magie.
Interroger notre fragilité affective
Après des études à la Fémis en département montage, Emma Benestan originaire de Sète réalise plusieurs courts métrages, mais participe également au montage de La Vie d’Adèle (2013) et de Mektoub, my love (2018) d’Abdellatif Kechiche, dont on sent ici l’influence dans certaines scènes de fêtes et de plages. Fragile est son premier long métrage. Drôle, sensible, réaliste, le film bénéficie d’un casting impeccable et s’appuie sur l’énergie d’une jeunesse jamais caricaturée, sans cesse en questionnement sur ce moment plus ou moins long de « passage à l’âge adulte », où il faut partir et quitter sa zone de confort … mais pour aller où et avec qui ?
Fragile commence par une citation énigmatique « L’huître a aussi des chagrins d’amour », hommage à cet animal hermaphrodite, au cœur du récit. L’huître est un clin d’œil ironique et poétique, nous révélant que les chagrins d’amour n’ont pas de sexe, pas de genre. Fragile est en effet conçu comme une comédie romantique inversée : la tristesse s’abat ici sur Azzedine, remarquable Yasin Houicha, repéré dans Papicha, le « fragile » du titre. Le film, bourré de références à la comédie romantique américaine, est l’histoire d’un Dirty Dancing inversé, mais aussi une quête personnelle et une belle histoire d’amitié.
« Homme comme femme, on est tous autant sensibles au chagrin d’amour, relève la réalisatrice. Il faut en finir avec les codes qui nous enferment et qui nous poussent à penser qu’un homme ne doit pas pleurer quand il est quitté, ou qu’une femme doit être heureuse uniquement si elle accomplit sa vie sentimentale à deux. Mon film, c’est le récit des différents schémas autour de la fragilité affective qui est partout autour de nous. Le féminisme actuel doit passer par l’interrogation autant des représentations des femmes que des hommes. Et interroger le féminin passe par interroger le masculin, les deux pour moi sont indissociables et tout aussi importants ».
Beauté des plans, de la musique, du langage
Fragile donne également une place importante aux personnages inattendus et au
dialogue, mais sans faire l’économie d’un travail de composition de l’image, avec notamment beaucoup de plans séquences ou de plans larges, d’une grande beauté sur le port de Sète. Sans oublier la lumière naturelle sur les comédiens, visages et corps caressés par le soleil. La fin de l’amour, la remise en question de la masculinité, les différences sociales sont des thèmes abordés avec humour … et fragilité. En haut, on devine les villas des riches, où se tournent les séries qui occupent les débuts de soirée télévisuelle des retraités. En bas, les bancs d’huitres où se tuent au travail des éleveurs comme Azzedine. Lui est fou amoureux de Jessica (drôlissime Tiphaine Daviot) : une histoire d’amour sans doute vouée à l’échec.
Le film se nourrit des échanges entre Azzedine et ses amis, une bande de bras cassés un peu re-lous. Leur langage permet aussi d’aborder la question de l’origine sociale, éclatante lorsqu’Azzedine demande à ses potes de ne pas parler comme des « blédards » avant d’aller à la soirée de fin de tournage de la série, où il veut impressionner Jessica. Mais à force de vouloir se rapprocher du monde d’en haut, Azzedine en arrive à se renier et se fait alors rappeler à l’ordre. Notamment par Lila, interprétée par Oulaya Amamra, César 2017 du meilleur espoir féminin dans Divines, qui illumine cette comédie romantique mélancolique et générationnelle.
Ce portrait sensible d’un jeune homme fragile est magnifié par une musique originale électronique et sensuelle de Julie Roué, tandis que des titres algériens rappellent la culture originelle du personnage : « La musique est un autre langage qui apporte énormément, nous dit-elle. Et sur ce film, la grande complexité était d’être sentimental sans tomber dans un sentimentalisme, d’essayer d’être aussi fragile que les personnages. Il y a aussi la grosse soirée électro où j’avais une grande référence qui était Vitalic ». Cette référence dijonnaise n’est pas pour nous déplaire.
Fragile assume parfaitement ses références pour mieux les dépasser. C’est un film qui fait du bien en ces temps plus tragiques que solaires. Alors, ne vous privez pas de ce bain cinématographique de soleil et de jouvence !
Raphaël MORETTO
Film disponible sur toutes les plateformes de streaming, entre 2,99€ et 5,99€