Emmanuel Macron : Une prouesse… sans liesse !

Comme la France entière, la Côte-d’Or est apparue on ne peut plus fracturée au soir du 2e tour de la Présidentielle. L’axe urbain Dijon-Beaune a choisi de rejoindre la France de Macron, avec un record dans la capitale régionale, où le candidat-président flirta avec les 70% sur les terres de l’un de ses derniers soutiens de poids, François Rebsamen. Les zones rurales du département ont, quant elles, opté pour la France de Le Pen. Retour sur une nouvelle défaite de l’extrême droite et la deuxième victoire d’Emmanuel Macron. Une prouesse inédite mais sans liesse !

Ses deux prédécesseurs n’avaient pas réussi à rester à l’Élysée au terme de leur premier mandat, le premier avait été battu par le second qui, lui-même, ne s’était même pas représenter. La faute, au demeurant, entre autres, à son jeune ministre de l’Économie qui lui avait intenté un procès en légitimité… Depuis les échecs de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, une malédiction semblait accompagner les présidents sortants. Une chose est sûre, Emmanuel Macron y a mis fin. Il a même écrit une nouvelle prophétie, puisque, après avoir été le plus jeune président de la Ve République – il avait 39 ans en 2017, soit 9 ans de moins que Valéry Giscard d’Estaing –, il continue d’inscrire son nom sur le Guinness des records (politiques). En devenant le premier président de la Ve république réélu, hors contexte de cohabitation…
Et ajoutons à cela, qu’en s’étant imposé pour la seconde fois, il rejoint le cercle très fermé dans lequel ne figurent que Jacques Chirac, François Mitterrand et… le Général de Gaulle. Et si nous n’oublions pas que son quinquennat a été marqué par des crises sans précédent à répétition – les Gilets jaunes, la pandémie et, in fine, le conflit en Ukraine –, alors cette performance inédite n’était pas sans rappeler l’alignement des planètes pour celui qui était, lors de la précédente campagne, qualifié de météore.
Et, pourtant, le triomphalisme affiché au soir du 2e tour il y a 5 ans – souvenez-vous du discours devant la Pyramide du Louvre – ne fut pas au rendez-vous… Cette fois-ci, il choisit le Champs de Mars, là où, dans les temps anciens, était érigé l’Hôtel de la Patrie, et ne déambula pas dans une procession solitaire mais main dans la main avec son épouse et au milieu d’une véritable cohorte d’enfants. Une façon de montrer qu’il souhaite « ouvrir une ère nouvelle ». Autrement dit, comme il l’a déclaré dans un discours teinté d’humilité : « J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir ! Il nous faudra être bienveillant et respectueux, car notre pays est pétri de tant de doutes et de divisions ».

La France de Macron, la France de Le Pen

Pourquoi ? Il suffit de regarder la carte électorale pour constater à quel point la France est fracturée. La France des villes et la France des campagnes, ont résumé, en substance, nombre de commentateurs, même si cette analyse pèche par facilité parce qu’il ne faut pas oublier celle péri-urbaine, celle des quartiers populaires… La France de Macron et la France de Le Pen, ou bien, c’est selon (et dans une analyse inversée), la France de tout sauf Macron et la France de tout sauf Le Pen. Car, plus qu’un vote projet contre projet, ce fut un vote rejet contre rejet, auquel nous avons malheureusement assisté.

Vingt ans après l’accessit de son père au 2e tour de la Présidentielle et cinq ans après le sien, Marine Le Pen n’a toujours pas réussi à inscrire son patronyme au fronton de l’Élysée. Seulement nous sommes loin (très loin) des maigres (très maigres) 17,79 % de Jean-Marie Le Pen face à Jacques Chirac en 2002, celle-ci étant créditée de 41,45% au niveau national.
En Côte-d’Or, particulièrement divisée elle aussi, avec un fossé se creusant entre l’axe Dijon-Beaune et les autres secteurs, telles la plaine de Saône et le Nord du département, elle sortit à hauteur de 42,73%. Et récolta 18 745 voix de plus qu’il y a cinq ans ! En Bourgogne Franche-Comté, elle s’imposa dans 3 départements : en Haute-Saône (56,90%), dans l’Yonne (51,59%) et même dans la Nièvre (50,11%), ce fief qui a pourtant si longtemps appartenu à la gauche.

A Dijon – qui appartient à la France des Villes ou à la France de Macron – et où son père n’avait été crédité que de 14,35% il y a vingt ans, elle fit tout de même deux fois mieux. Et, surtout, elle progressa de 3 060 voix par rapport à son propre score au 2e tour de 2017. Cela ne l’empêcha d’être sévèrement battue dans la ville d’un des ultimes soutiens de poids du président sortant, François Rebsamen ayant annoncé rallier Emmanuel Macron tout en restant socialiste. Le candidat-président, qui s’était jeté dans le grand bain de la campagne dans le quartier de la Fontaine d’Ouche le 28 mars dernier, a obtenu 69,88% dans la cité des Ducs où les digues du barrage contre l’extrême droite ont particulièrement résisté.

Le parangon du pouvoir d’achat

Pour preuve, celui-ci a doublé son nombre de voix du 1er tour (+ 19 328 voix). Même si l’expression a été déclarée comme éculée, le front républicain a continué de fonctionner dans la capitale de la Bourgogne Franche-Comté. Autrement dit les messages, adressés noir sur blanc, dès le soir de leur lourde défaite par Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Fabien Roussel, ont été entendus. Mais surtout la consigne de Jean-Luc Mélenchon qu’ « aucune voix n’aille sur Madame Le Pen » (il n’a pas clairement dit de voter Monsieur Macron mais il a répété 4 fois cette formule) a été suivie. Et ce, même si, les votes blancs et nuls furent bel et bien au rendez-vous : à Dijon (7,31%, 4 456 voix pour les votes blancs et 1,97%, 1 200 voix pour les votes nuls) comme ailleurs. L’abstention s’élevant, quant à elle, à 28,91%.
Car, c’était de ce côté du nouvel échiquier politique que lorgnait la République en Marche. Il faut dire qu’après avoir vidé de sa substantifique moelle et la droite et la gauche, il ne lui restait plus qu’une partie de la France Insoumise à tenter de séduire. D’où les références réitérées à Jean Jaurès, l’évocation de la « planification écologique » ou encore les concessions faites à demi-voix sur l’âge de départ à la retraite d’Emmanuel Macron durant l’entre-deux tours.
Celui-ci est descendu dans l’arène, à portée des banderilles de celles et ceux qui n’avaient pas voté pour lui. Quitte même à subir la bronca populaire… Le président sortant n’a pas hésité à se confronter à ses contempteurs, à la différence de son adversaire qui a préféré se rendre en terres conquises… Il faut dire que, cette fois-ci, entre la confrontation du 1er tour à 12 où Éric Zemmour l’avait dédiabolisée comme jamais, la radicalité du programme de Marine Le Pen ne pouvait apparaître qu’au grand jour dans un duel. Et même sa tentative de représenter le parangon du pouvoir d’achat des Français a échoué.

La suffisance contre… l’insuffisance

Le débat très attendu de l’entre deux-tours, où ce sujet fut le premier à être abordé, l’a parfaitement illustré. Un débat qui n’a pas modifié la donne, chaque camp restant arc-bouté sur ses positions, estimant avoir assisté à, en substance… l’insuffisance contre la suffisance ! Certes, à la différence de 2017, Marine Le Pen n’a pas vécu un instant de télévision cauchemardesque mais elle n’a pas réussi à déconstruire le bilan du président sortant. A contrario, ce fut l’hôte de l’Élysée qui se comporta comme un challenger, en démontant, pierre par pierre, ce que Marine Le Pen avait tenté de bâtir durant toute la campagne : à savoir une candidature « normale ».

Cette construction du Rassemblement national se heurta à la réalité des urnes au soir du 24 avril. Même si Marine Le Pen déclara que « les idées qu’elle portait arrivaient à des sommets et que le résultat représentait en lui-même une victoire », c’est bien une défaite frontale qu’elle a dû digérer pour sa 3e candidature à la fonction suprême. Une défaite honorable (le meilleur score de l’histoire de l’extrême droite) mais une défaite tout de même !

Quant à Emmanuel Macron, ce fut une nouvelle prouesse… mais sans liesse ! Car, la bipolarisation appartenant au passé et le présent étant à la tripartition, plus rien n’est décidément comme avant. Si bien qu’avant même que le président réélu ne s’exprime à tous les Français, d’autres lui coupèrent l’herbe (du Champ de Mars) sous le pied. Tout en déclarant que « la défaite frappait pour la 8e fois le nom de Le Pen », le leader de Reconquête Éric Zemmour en appelait à « l’union d’un bloc national pour faire face aux blocs macroniste et islamo-gauchiste ». Mais surtout, le 3e homme, qui a manqué le 2e tour pour 421 308 voix au niveau national (il sortit 2e à Dijon au soir du 1er tour à 3 points derrière le candidat LREM), Jean-Luc Mélenchon, lança lui aussi tout de go la campagne des législatives réitérant son appel aux Français à l’élire Premier ministre. Bienvenue dans la France de… 2022 !

Camille Gablo

 

Les résultats du 2e tour

Dijon :

Emmanuel Macron : 69,88% (36 658 voix)

Marine Le Pen : 30,12% (16 659 voix)

Participation : 71,09% (60 973%)

Côte-d’Or :

Emmanuel Macron : 57,27%

Marine Le Pen : 42,73%

Participation : 75,57%

Bourgogne Franche-Comté :

Emmanuel Macron : 52,87%

Marine Le Pen : 47,17%

Participation : 74,83%

France :

Emmanuel Macron : 58,55%

Marine Le Pen : 41,45%

Participation : 71,99%