Il y a l’orientation initiale, et puis il y a les reconversions. Ces mots possèdent une origine étymologique et des résonances puissamment religieuses, de « trouver l’Orient » à « se (re)convertir ». On entrerait dans un métier comme en religion, ou dans un sacerdoce ?
Certes non, pas sauf cas de « vocation », qui renvoie à « être appelé ». Il y a en a encore beaucoup, des professionnels qui excellent, se donnent corps et âme au métier, et avouent qu’ils n’auraient rien pu faire d’autre que ce qu’ils font, et dont ils rêvaient enfant déjà.
Pour ceux-ci et les autres, après l’orientation de scolarité, celle qui met la vie sur des rails stables – via l’entrée dans le monde professionnel et la découverte d’un métier – arrive un moment où l’on se réoriente. C’est assez fréquent. Routine, impression d’avoir fait le tour de la question, opportunité, et hop, on franchit le pas ! Beaucoup de dispositifs permettent, dans le public et dans le privé, « de faire des pauses », de se reconvertir, de tester, après bilan de compétences, d’autres manières de travailler, d’autres savoir-faire à expérimenter.
L’épisode Covid a encore accéléré la tendance, de ces changements de caps, de ces changements de vie. Les médias français en ont a assez peu parlé mais aux Etats-Unis, un phénomène socio-économique de fond ébranle toutes les couches du monde du travail, il s’agit du « big Quit » : la « grande démission » ou « Grande désillusion », c’est ainsi que l’on peut traduire cette locution. De quoi s’agit-il ? Des centaines de milliers de salariés, épuisés par les confinements, éreintés par le télétravail, désorientés par la mobilité professionnelle ou le non sens des « bullshit jobs » (« métiers à la con ») mettent leur carrière en pause, voire appuient sur la touche « stop ». Les magazines en parlent de temps en temps, car cela donne des narratifs romantiques, et de jolies photos : ce sont ces avocats qui deviennent fromagers dans le Gers, ces publicitaires qui partent faire des sabots à La Baule, ces fonctionnaires devenant artistes, ces profs qui désertent l’Education nationale pour travailler de leurs mains, mettre les classes turbulentes à distance, ces pré-retraités qui ouvrent des chambres d’hôtes dans les Hautes-Alpes, ces quinquas qui reprennent le chemin de la fac, pour en sortir diplômés quelques années plus tard. Enfin ce sont ces cadres très bien payés qui changent complètement de vie sur un coup de tête (mais pas seulement), au terme d’un processus qui les a vus aller au bout de ce qu’ils pouvaient faire et donner.
Beaucoup le disent : « On gagne moins mais on vit mieux ». On gagne en qualité de vie, en air respirable, en temps à soi et pour ses proches, en approfondissement de ce que l’on est, quitte à perdre un peu en soirées culturelles, sorties du vendredi et dîners en ville. Ces réorientations, ces reconversions ne sont pas que le fruit de l’épuisement, elles sont souvent pensées, préparées, assumées. Nous sommes riches de nos expériences, et nous enrichissons nos proches et notre entourage de ce que nous avons vécu, accumulé de capital de vie. Alors il faut reconstruire, et ceci nécessite du courage. Donc, considérons ces reconversions, ces réorientations, ces changements de caps non pas comme des fuites ou des tocades de bobo, mais comme une nouvelle manière de se réinventer professionnellement mais pas seulement. Il est clair que cela nécessite du courage, de l’adaptabilité, un sens aigu de la remise en question de ce que l’on vit et de ce que l’on est, l’envie de relever un formidable challenge. Bref, d’être un Phénix renaissant des cendres d’une carrière que l’on croyait éteinte, pour briller de mille feux là où on ne les attendait pas. Chapeau les artistes !
Pascal Lardellier