Après avoir réhabilité l’Hôtel Dieu de Marseille, l’architecte Anthony Béchu a métamorphosé l’ancien hôpital général de Dijon. Sous sa patte est née la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin, qui représente, à ses yeux, « le plat principal d’un menu beaucoup plus vaste ». Un menu où il a joué l’harmonie entre l’histoire et l’aspect contemporain. Un menu « populaire » où il souhaite que les visiteurs mais surtout l’ensemble des Dijonnais trouvent leur bonheur. Interview d’un grand architecte « passeur du temps… »
Dijon l’Hebdo : La principale difficulté de ce projet dantesque n’a-t-elle pas résidé dans le fait qu’il consistait à conférer une seconde vie à un ancien hôpital ?
Anthony Béchu : « L’hôpital général représentait un lieu fermé où les gens venaient se faire soigner. Certes, certains venaient les visiter mais petit à petit toutes les structures s’étaient mises en place pour cloisonner le site. Ainsi la petite chapelle n’était-elle plus accessible ! Tous les bijoux du patrimoine étaient cachés de la vue des habitants. Aucune communication ne s’effectuait avec le reste de la ville. L’ensemble du projet a consisté à rouvrir le site à la ville mais aussi à l’ensemble des Dijonnais. Ajoutons à cela que nous sommes sur un parcours entre la gare et le port du Canal, par le Jardin de l’Arquebuse. Aussi une véritable déambulation est-elle possible.
Nous nous apercevons parfaitement que ce projet ne concerne pas uniquement l’hôpital général. il est beaucoup plus vaste. C’est un menu qu’il nous fallait écrire dont la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin était le plat principal. Un plat principal destiné à être dégusté par les Dijonnais mais aussi par les gens qui ne feront que passer ».
DLH : Le menu de la Cité est ainsi multiple… C’est ce que vous vous êtes attaché à bâtir ?
A. B : « Nous retrouvons dans ce lieu, avec le parc habité, tous les plats à déguster autour du plat principal : je pourrais ainsi évoquer la résidence destinée aux personnes âgées, la résidence tourisme, la résidence étudiants qui vont venir parfaire tout le dispositif. Les bâtiments viennent créer l’urbain sur les grandes avenues et le parc habité ouvrent sur les jardins protégés des bâtiments anciens. Sur 3,5 ha, nous sommes à 30% d’occupation au sol, c’est dire l’invitation au voyage et à la découverte ! Nous rentrons à travers des porosités dans un parc qui va border l’Ouche. Nous retrouvons ainsi une véritable harmonie mais ce site respecte surtout ce qu’il était à l’origine : c’est à dire un site dédié à la santé – elle est capitale dans l’alimentation –, la Nature, avec la valorisation du terroir, et l’Humanisme, car c’est un lieu de rencontres et d’échange ».
DLH : La voie ferrée marquait une véritable scission avec le centre-ville. Il vous a fallu également la gommer ?
A. B : « Il nous a fallu en effet faire disparaître la voie ferrée qui était une cicatrice dans le paysage. Le plus grand lien réside dans sa destruction visuelle. Le magnifique parking dessiné par l’architecte Pierre Azéma, une merveille de réalisation qui reprend le losange des tuiles vernissées face à la Cité, permet d’habiller et de faire vivre le talus autrement que par une césure et une cicatrice. Et c’est aussi pour cette raison que nous avons opté pour le canon de lumière en Corten, qui, avec sa force, sa masse et sa couleur, permet lui aussi d’effacer la voie de chemin de fer. Lorsque vous êtes à l’intérieur, vous avez les tours et les clocher du centre historique de Dijon qui viennent s’inscrire dans le grand tableau formé à travers l’immense cadre de sa baie vitrée. Et lorsque vous êtes à l’extérieur et que vous passez sous le pont, vous avez le panorama grandiose de la Cité de la Gastronomie qui vous ouvre ses bras et vous accueille avec ses cinq doigts de la main – le canon de lumière, les cinémas, la salle d’exposition – comme si elle venait vous dire bonjour ».
DLH : L’utilisation de l’acier Corten pour habiller, entre autres, le canon de lumière représente un geste naturel fort. Comme vous est-il venu à l’idée ?
A. B : « Le Corten représente un matériau qui vit dans ses couleurs. Il modernise l’esprit et trouve le lien avec les toitures de tuiles bourguignonnes. C’est vrai pour les toitures vernissées mais les autres plus modestes aussi. Cette modestie vient s’affirmer sur les façades du XVIIIe siècle et nous avons créé un petit joint creux en verre – une verrière – qui permet de détacher les greffons contemporains que l’on a donnés à cette architecture et qui donnent l’identité des lieux. Le Corten est à l’image du terroir : il a la couleur des ceps de vigne, des tonneaux, tout un apport de cette chromatique entre la pierre de Bourgogne qui permet à la vigne de pousser et de nous donner ce nectar ainsi que les tuiles. Nous sommes dans ce camaïeu qui fait partie de la Bourgogne et qui permet d’installer architecturalement ce terroir pour y déguster tous les produits. Lorsque l’on a l’identité, nous avons le miroir de tout ce que la gastronomie peut apporter à l’intérieur de ses tripes. C’est des entrailles de l’hôpital qu’est née la Cité. Cela va permettre à ceux qui vont y vivre, qui vont en vivre, qui vont y passer, de goûter, d’apprendre à boire, à déguster, à échanger. Ce n’est que du partage. Et cette notion de partage est même allée jusqu’à donner un emplacement au Crédit agricole pour le Village by CA où les start-up de l’agroalimentaire disposent d’un support afin de pouvoir développer toutes les recherches destinées à une nutrition plus performante, plus durable, pour tous ».
DLH : Ce canon de lumière avec son acier Corten représente la grande signature de cette Cité…
A. B : « Ce n’est pas la seule. L’hôtel qui s’implantera en sera une autre. Tout comme les cinémas… J’espère, au demeurant, qu’ils créeront, très rapidement, un festival du film gastronomique, un événement qui, lui aussi, sera susceptible de remplir les hôtels dijonnais. Plus nous trouverons d’éléments du vivant et de l’événementiel qui viendront en support de l’existant, mieux ce sera. Et cela doit être un lieu populaire… Il y aura évidemment des plats expérimentiels et des grands vins, plus élitistes, mais il y aura aussi des plats du terroir et des vins à des prix abordables ».
DLH : 1204… telle est l’année de fondation des Hospices de Dijon par le duc Eudes III de Bourgogne. 2022 sera celle de l’ouverture de la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin. Vous êtes ainsi une sorte de passeur du temps…
A. B : « Notre rêve était d’intégrer la modernité dans des éléments qui respectent la tradition. Et nous n’avons pas voulu caricaturer la tradition avec des pastiches. Nous avons ce discours en adéquation avec la gastronomie. Nous sommes revenus aux racines de la tradition et nous l’avons développée de manière contemporaine. Notre objectif était de préserver et mettre en valeur le patrimoine existant tout en lui apportant des greffons d’architecture contemporaine afin d’écrire une nouvelle histoire et signaler la transformation du site. C’est comme cela que nous proposons un nouvel art de vivre aux Dijonnais et aux visiteurs ».
DLH : L’ancien et le contemporain, la gastronomie et le vin, le centre-ville et la Cité… la clé n’était-elle pas la symbiose ?
A. B : « J’apprécie cette phrase de l’architecte Perret : « Technique parlée en poète me conduit en architecture ! » C’est vrai pour les charpentes anciennes que l’on a rénovées, pour des structures de voûte que nous avons fait revivre, c’est vrai pour tout ! Là, nous avons cette confrontation et cette complicité amoureuse entre une architecture ancienne et une architecture moderne, entre la gastronomie et la dégustation, tout cela va de pair. A chaque fois, nous voulons aller de la modernité de l’extérieur à l’histoire en traversant les vieux bâtiments du XVIIIe pour arriver à cette cour dans laquelle vous retrouvez tous les pavillons dédiés aux produits qui auront des toitures végétalisées pour que, du haut, nous ayons l’impression de jardins à la française. C’est un projet de liens : sociaux, gustatifs, réels avec les éléments naturels comme l’Ouche… Et tout ceci a été réussi par l’équipe que nous avons formée avec la Ville et avec Eiffage. Vous savez, c’est comme dans le rugby. J’y ai joué durant 25 ans. Lorsque l’on réussit ce type de projet, on passe de l’équipe à la famille. C’est à dire que cela dure toute la vie ! »
DLH : A quelques semaines de l’ouverture, en voyant le projet que vous avez dessiné se finaliser, est-ce de la fierté que vous ressentez ?
A. B : « Je vais même vous dire : c’est plus que de la fierté, je suis heureux ! »
Propos recueillis par Camille Gablo