Pour les passionnés, le circuit de Dijon-Prenois est tout en haut de l’affiche. Les pilotes l’apprécient par-dessus tout (pour preuve, il est loué 230 jours par an). Et ce n’est pas seulement inhérent à la qualité de la piste, qui bénéficie d’investissements majeurs chaque année, à l’exigence du pilotage qu’il nécessite, à la sécurité optimale ou encore aux infrastructures entièrement rénovées. Ce n’est pas non plus uniquement parce qu’avec le mythique circuit de Spa en Belgique il est l’un des seuls à bénéficier d’un relief naturel ou encore parce que la BD Michel Vaillant l’a immortalisé. C’est surtout parce que tourner sur ce circuit équivaut à se mettre dans la roue des Villeneuve, Arnoux, Jabouille, Prost… ou encore Hinault et Fignon. A la différence de nombre d’autres circuits, il a écrit la légende du sport (automobile mais pas seulement !)… Comme le dit si bien son président Yannick Morizot, « nous avons une vraie belle histoire du monde automobile au moment où l’on pouvait toucher les roues des voitures qui passaient à 300 km/h ». Retour sur ces moments inoubliables où le public, qui dépassait la centaine de milliers de personnes, sautait sur la piste, après le passage du drapeau à damiers, pour féliciter les gladiateurs du bitume…
Si à l’époque la série Formula One, dont tout un chacun connaît le succès, avait existé, il est certain que le duel épique que se livrèrent Gilles Villeneuve et René Arnoux sur le circuit de Dijon-Prenois aurait été l’épisode le plus regardé… Cela aurait même été, à n’en pas douter, le pilote de cette série, tellement cette bataille fut d’anthologie. Et incruste encore la rétine des souvenirs de celles et ceux qui ont pu y assister. Et ils étaient plus de 100 000 ! Mais, à l’époque, Netflix ne faisait pas encore partie de nos vies…
Un retour dans le rétroviseur s’impose : nous sommes le 1er juillet 1979 et les spectateurs massés dans les gradins du circuit de Dijon-Prenois assistent à une course mythique. Et pour cause : Renault s’offre sa première victoire en tant que constructeur et motoriste (la première aussi d’un moteur turbo au demeurant), puisque ce fut Jean Pierre Jabouille qui franchit le premier le drapeau à damier avec 14’’6 d’avance sur ses poursuivants.
Une (belle) victoire historique pour la marque au losange française ! Mais c’est la lutte mémorable pour la 2e place qui focalise tous les regards, son coéquipier René Arnoux et le canadien Gilles Villeneuve sur Ferrari étant au coude à coude (enfin pneus contre pneus, et ce n’est pas une image puisqu’ils se touchèrent !) dans les deux derniers tours. Et là, les spectateurs et les téléspectateurs assistent à ce qui est resté, plus de 40 ans plus tard, comme l’une des plus belles luttes de l’histoire de ce sport. Glissade, sortie de piste… Un finish éblouissant remporté, in fine, par le pilote canadien et l’écurie italienne pour… 24 centièmes ! « Combien de fois s’est-on dépassé ? Je l’ignore. Mais à partir de cet instant, un duel mémorable s’est engagé est restera à jamais gravé dans la tête des spectateurs. Roues encastrées suivies de violents contacts, qui allait céder ? Ni l’un ni l’autre ! Les spectateurs debout, sautant, hurlant car ce qu’ils étaient en train de vivre était un moment unique pour eux comme pour nous ! Ce circuit cumulant les enchaînements rapides et cette magnifique courbe de Pouas font que le talent y est indispensable », c’est ainsi que René Arnoux commenta ce corps à corps… au volant !
« Une idée de fou »
Renault ont fait entrer à la fois la F1 mais aussi et surtout le circuit de Dijon-Prenois dans la légende. Sept ans après l’inauguration le 26 mai 1972 du tracé initial de cette piste de 3,289 km (il fut porté à 3,801 km en 1975).
Acteur majeur de l’univers du sport, où il excellait dans nombre de disciplines – ski, pentathlon militaire, rugby, judo, plongeon au tremplin à 3 m mais aussi lutte libre où son surnom, sur les rings, était l’Ange Blanc ! –, François Chambelland était passionné de course automobile. C’est ainsi qu’à la fin des années 60 il eut ce que d’aucuns qualifiait à l’époque comme « une idée de fou ». Doter Dijon d’un circuit de vitesse permanent qu’il qualifiait de « stade automobile » où les gladiateurs du bitume pourraient s’affronter… pacifiquement s’entend. Il écrivit alors à 14 communes autour de Dijon et c’est Prenois, ne comptant à l’époque que 150 âmes, qui lui fit un bail emphytéotique de 99 ans pour 165 hectares. Les premiers tours de roue de l’aventure (et des engins de chantier) pouvaient débuter.
C’est ainsi que sont sortis de terre les virages qui portent le nom des lieux-dits sur lesquels ils ont été bâtis : les « S des Sablières », la « double droite de Villeroy » et… la « courbe de Pouas » qui marqua tant les pilotes de F1. Une piste vallonnée, avec des rampes et des pentes allant de 1 à 11% incluant une ligne droite de 1 100 m de long (« la Fouine »). Moteur de cette opération d’envergure, François Chambelland a su aussi s’entourer des bonnes personnes pour que ce projet puisse aboutir, et, notamment, le pilote Jean Pierre Beltoise, qu’il avait rencontré lors de la célèbre course de côte d’Urcy. Alors conseiller technique auprès de la Fédération, celui-ci a donné une légitimité sportive au circuit.
Pour la petite histoire, le grand jour de l’inauguration, le premier chrono fut réalisé par Guy Ligier sur sa propre voiture en 1’38’’. Les motos furent également de la partie, avec le champion de France Olivier Chevalier qui réalisa 1’50’’ sur une Yamaha 250 cc… Et le vélo s’invita à la fête, avec le triple médaillé d’or olympique cycliste, Daniel Morelon, qui tourna en 4’39’’. Car ce circuit allait aussi s’inscrire dans la légende du Tour de France – ce que certains ont oublié – avec l’arrivée de trois étapes de la Grande Boucle qui sont venus enrichir son patrimoine sportif. Et, à chaque fois, le vainqueur à Prenois fut celui qui s’imposa avec le maillot jaune à Paris : Bernard Thévenet en 1977, Bernard Hinault en 1979 et Laurent Fignon en 1983…
« Les Forçats de la route »
Pour faire encore dans l’anachronisme, le grand reporter Albert Londres aurait pu parfaitement inventer son expression des « Forçats de la Route » à Dijon-Prenois (plutôt qu’au café de la Gare de Coutances lors du Tour de France de 1924) tellement elle pourrait résumer son histoire. Car, quel que soit le nombre de roues (du vélo aux voitures, en passant par les motos et les camions, dès 1988 le circuit accueillant, en effet, les championnats de France et d’Europe FIA de camions devant d’impressionnantes foules de passionnés), ce circuit a écrit les plus belles pages de l’histoire sportive.
Nous pourrions continuer longtemps cette marche arrière dans l’histoire mais revenons, en guise de boucle finale, à la F1 qui, de 1974 à 1984, participa au mythe de cette piste. Le 5 juillet 1981, le même René Arnoux, toujours sur Renault, s’empare de la pole position devant John Watson sur McLaren-Ford… mais ce fut son coéquipier qui inscrivit son nom au palmarès, avec la première victoire de sa carrière après 19 grands prix : un certain Alain Prost… Ce fut ainsi à Dijon-Prenois que le quadruple champion du monde français éclata aux yeux du public du monde entier !
Et une dernière pour la route, car il faut bien rendre à César ce qui lui appartient, même si nous sommes à proximité d’Alésia : le 7 juillet 1974, le premier à avoir triomphé lorsque la Formule 1 débarqua en terre bourguignonne fut Ronnie Peterson sur Lotus-Ford Cosworth en 1 h 21’ 55’’ 02’’’, devant Niki Lauda et sa Ferrari. Cette première de la F1 à Dijon-Prenois eut lieu le même jour que la finale de la Coupe du Monde de Football où les Allemands de Franz Beckenbauer s’imposèrent 2 à 1 sur les Pays-Bas de Johan Cruyff. La FFSA n’ayant pas anticipé la concomitance des événements, le Grand Prix de F1 devait se dérouler au même moment que ce match où le « football total » allait se révéler au monde entier. Ce n’est que dans la dernière ligne droite de l’événement que la FFSA avança la course de 15 h à 12 h. Bien lui en a pris, Dijon-Prenois put ainsi faire son entrée dans LA légende !
Camille Gablo