De Jacques Audiard avec Lucie Zhang, Makita Sambat, Noémie Merlant et Jehnny Beth, d‘après trois nouvelles graphiques de l’auteur américain Adrian Tomine : Amber Sweet, Killing and dying et Hawaiian getaway.
Paris 13e arrondissement, quartier multiculturel des Olympiades. Emilie (Lucie Zhang) rencontre Camille (Makita Samba) qui est attiré par Nora (Noémie Merlant). Elle-même croise le chemin de Amber (Jehnny Beth). Trois filles et un garçon ils sont amis, parfois amants, souvent les deux.Nous avions laissé le grand Jacques Audiard avec le final de la série LE BUREAU DES LEGENDES (2020), une claque phénoménale pour, sans aucun doute, l’une des meilleures séries françaises de tous les temps, supervisée par Eric Rochant. Puis Audiard avait débarqué cet été sur la Croisette, avec ses OLYMPIADES, histoire urbaine, avec de jeunes personnages citadins évoluant dans un espace géographique limité, peu de couleur, peu d’action : une manière originale de prendre le contrepied total des FRERES SISTERS (2018), son précédent long métrage, un western en état de grâce.
Un film d’époque contemporain
« En faisant le double choix du 13ème arrondissement et du noir et blanc, j’avais la possibilité de proposer quelque chose de plus graphique, de décaler les attendus sur Paris, de filmer cette ville européenne presque comme une métropole asiatique, confie Jacques Audiard. À la fin, on pourrait dire que LES OLYMPIADES est presque un « film d’époque contemporain ».
Il y avait le noir et blanc du MANHATTAN (1979) de Woody Allen, il y aura désormais celui des OLYMPIADES (2021) de Jacques Audiard. Grâce au superbe travail du chef-opérateur Paul Guilhaume, l’œuvre prend une dimension particulière, la positionnant hors du temps. Les quatre personnages principaux sont des trentenaires expérimentés, qui vont se rencontrer et s’aimer. Ils ont tous une existence sociale et se sont déjà heurté à la difficulté de trouver un logement, un travail. Ils traversent en même temps une crise de vocation professionnelle et sentimentale : Camille (Makita Samba), jeune professeur, déjà découragé par l’éducation nationale et ses réformes incessantes ; Nora (Noémie Merlant) reprend des études à Paris après un passé familial douloureux ; la diplômée Émilie (Lucie Zhang) choisit délibérément, de se laisser porter d’un petit boulot à l’autre ; jeune femme exposant son corps sur internet via une webcam, Amber Sweet (Jehnny Beth) va elle, pour la première fois, passer de l’autre côté du miroir. Les expériences que vont vivre ces quatre personnages leur ouvriront les yeux sur qui ils sont vraiment, sur ce qu’ils désirent et aiment réellement.
Le réalisateur d’UN PROPHETE sait faire émerger, non seulement des personnages, mais également des talents : après Mathieu Kassovitz, Tahar Rahim ou Antonythasan Jesuthasan, il révèle cette fois-ci Lucie Zhang et Makita Sambat aux côtés de la toujours sensationnelle Noémie Merlant et de la chanteuse Jehnny Beth. Audiard est aussi un des rares réalisateurs à avoir dénoncé la faible présence de femmes dans les grands festivals, notamment en 2018, à la Mostra de Venise, où la compétition affichait alors une seule réalisatrice parmi la vingtaine de cinéastes en lice. Il s’entoure ici de deux scénaristes (et réalisatrices) exceptionnelles Céline Sciamma et Léa Mysius. La pertinence et la réussite des OLYMPIADES tiennent à son histoire, qui s’étoffe, s’enrichit, se corse pour brosser un tableau de la société contemporaine dans sa complexité, multiculturelle, sexuelle et politique. Le film de Jacques Audiard tord le cou au politiquement correct, dans une liberté de ton, d’accord et de corps, contre-dédicace à MA NUIT CHEZ MAUD (1969) d’Eric Rohmer.
Renouveau du discours amoureux
« Au tout début de ma vie de très jeune cinéphile, il y a eu MA NUIT CHEZ MAUD. Un choc, à tel titre que lorsque j’entreprends mon premier film, REGARDE LES HOMMES TOMBER, en 1994, je demande à Jean-Louis Trintignant d’en interpréter le premier rôle. Dans MA NUIT CHEZ MAUD, deux hommes et une femme, mais surtout un homme et une femme, parlent toute une nuit. Ils parlent de tout : d’eux, de Dieu, du pari de Pascal, de la neige qui tombe, de la vie de province, des jeunes filles catholiques, etc.
À la fin, alors que tous les signes de la séduction réciproque ont été montrés et reconnus, alors qu’ils devraient s’étreindre et s’aimer, ils ne le feront pas. Pourquoi ? Parce que tout a été dit et que la séduction, l’érotisme et l’amour sont entièrement passés par les mots. La suite serait superflue. Comment cela se passe-t-il aujourd’hui, alors que c’est l’inverse qui nous est proposé ? Comment cela se passe-t-il à l’époque de Tinder et du «couchons donc le premier soir » ? Dans ces conditions, y a-t-il encore un discours amoureux ? Oui, bien sûr, comment en douter. Mais à quel moment intervient-il ? Quels en sont les mots, les protocoles ? Ce pourrait être une des lignes des OLYMPIADES ».
Pour mettre en musique ce renouveau du discours amoureux, Rone, césarisé pour le film noir LA NUIT VENUE (2019), signe la bande son des OLYMPIADES. Jacques Audiard fait sa seconde infidélité à Alexandre Desplat, après Nicolas Jaar sur DHEEPAN (2015). La partition aérienne aux résonances électroniques urbaines illustre un monde moderne et connecté, avec quelques sonorités organiques comme le violoncelle et le piano. Une musique originale pour un film inattendu du plus grand de nos cinéastes. En toute subjectivité.
Raphaël Moretto