1993 fut l’une des plus belles années de l’adolescence de Mathieu Bouvier. Son club de cœur fit rayonner la première étoile européenne française dans le ciel munichois et le président de l’OM le convia, avec son père, au Stade Vélodrome au milieu de ses héros qui avaient fait chuter l’AC Milan. Ce déplacement mémorable s’est décidé lors de la visite (sur le terrain politique cette fois-ci) de Bernard Tapie dans la Cité des Ducs. Un souvenir particulier pour le patron du restaurant de fruits de mer Les Marronniers d’Arc, s’inscrivant dans le flot d’hommages à celui qui a eu droit à une procession du Vieux Port à la cathédrale de la Major…
Le message inscrit en grand par les supporters de l’OM, sous l’immense portrait en noir et blanc de Bernard Tapie, « Repose en paix le boss, tu seras à jamais dans nos cœurs », Mathieu Bouvier aurait pu en être l’auteur… Tellement il résume ce qu’ont voulu lui dire, dans la cité phocéenne mais bien plus largement, tous ceux qui rêvent en bleu et blanc depuis le 26 mai 1993. Enfin, plus précisément, depuis la tête de Basile Boli, sur une offrande d’Abedi Pelé sur corner, à la 44e minute de la finale contre le Milan AC. Le seul but de la soirée qui permit à Marseille de s’élever du niveau de la mer au sommet de l’Europe ! Cette soirée, qui a embrasé la nuit munichoise et le Vieux Port (tout comme la France entière), où l’OM devenait, comme son slogan l’indique, « Champion d’Europe pour l’éternité ». Une soirée historique qui permit à son emblématique président (de 1986 à 1994) de s’installer au Panthéon sportif.
Et comme l’on pardonne toujours à ceux qui gagnent, le poids du ballon rond est tel que, dans cet hommage unanime, l’incrustation de cette victoire sur la pellicule des souvenirs renvoie aux calendes grecques (ou au fonds des calanques c’est selon) une analyse plus fine du parcours de ce Golden Boy qui aura toujours flirté avec la ligne du hors jeu. Dans le monde du foot (nous ne reviendrons pas sur l’affaire OM-VA ou bien sur les transferts sulfureux) et ailleurs… le sort des salariés des entreprises qu’il rachetait pour le franc symbolique, comme ceux de Wonder par exemple, semblant depuis longtemps effacé des mémoires.
Celui qui, adoubé par François Mitterrand pour devenir député des Bouches-du-Rhône puis ministre de la Ville, a bénéficié, dans le journal La Provence, d’une lettre d’Emmanuel Macron, écrite à la première personne (ce qui est très rare pour un président de la République en exercice) : « Le visage de la victoire s’en est allée. Pour tous les Marseillais, pour tous les passionnés de football, pour moi, il restera à jamais celui qui, à force d’énergie, d’engagement, de talent, emmena l’OM sur le toit de l’Europe… Une force. Une volonté. Une rage de vaincre qui semblait dire à tous ceux qu’il croisait : Gamin, tout est possible ! »
« Gamin, tout est possible ! »
« Gamin, tout est possible… » Mathieu Bouvier, n’aurait pas dit mieux, lorsqu’il a croisé la route de Bernard Tapie dans le café de son père, le Beaulieu aux Grésilles, après avoir vibré devant sa télé en voyant les Barthez, Deschamps et consorts (nous aurions pu citer aussi le local Jean-Christophe Thomas) faire chuter de leur piédestal les Maldini, Van Basten ou encore Rijkaard du grand AC Milan.
En 1993, c’est un terrain plus politique qu’arpente Bernard Tapie avec l’étape dijonnaise de son tour de France entamé pour les élections européennes. Des élections où il a été missionné par François Mitterrand, auprès des Radicaux de gauche, pour tacler Michel Rocard (ce qu’il a réussi au demeurant, sa liste talonnant in fine de très près celle de celle de l’ancien Premier ministre socialiste).
C’est la veille que se dessine le passage du ministre de la Ville dans l’établissement familial : « Nous recevons un appel de son cabinet où l’on annonce à mon père : vous êtes un ami de Bernard Tapie. Il souhaite venir chez vous demain… Mon père, qui était le président du club des supporters du CSD, avait en effet connu le président de l’OM par le bais des frères Piat. Le lendemain, l’affluence fut à son comble lorsqu’il poussa les portes du Beaulieu. Il y avait du beau monde qui l’accompagnait, dont Monsieur Rebsamen. Le café était pris d’assaut et il est resté plus d’une heure », se souvient Mathieu Bouvier, à qui Bernard Tapie dédicaça un drapeau de l’OM. L’inscription s’est effacée au fil des années mais Mathieu a conservé précieusement l’étendard bleu et blanc.
« A cette occasion, il en profite pour me glisser : je t’invite avec ton père dans ma loge privée pour voir un match à Marseille. Il a tenu parole. Deux semaines plus tard, nous recevons cette fois-ci un coup de fil du siège de l’OM qui nous annonce que M. Tapie nous convie pour la rencontre OM-Monaco. Nous avons été reçus comme des princes dans la loge présidentielle, aux côtés notamment, de Charles Biétry ». Mais pas seulement puisque le jeune Mathieu Bouvier se rendit dans les vestiaires où il put saluer « Angloma, Olmeta, Amoros, Barthez, Pelé, Boli, Carlos Mozer… » « J’ai même croisé Rudy Völler dans les couloirs ».
Mathieu Bouvier côtoya, le temps d’une journée mémorable, nombre des héros qui le faisait rêver. Et il ne fut pas le seul Dijonnais présent ce jour-là, puisque l’OM proposa à François Bouvier de venir accompagné de ses amis. C’est ainsi que Jacques Cretin, à la tête de l’Auto-école Notre Dame, Gérard Quilès, directeur du magasin Shopi des Grésilles, M. Albert, commerçant et M. Kostic, peintre en bâtiment furent de ce voyage… exceptionnel en terre phocéenne. Des pérégrinations qui furent immortalisées dans les colonnes d’un des journaux sportifs de l’époque : « Foot Plus », comme le montre la photo que nous publions dans cette page.
« Comme si c’était hier… »
« J’avais 12 ans, j’en ai 42. Cela fait 30 ans et c’est comme si c’était hier… », se remémore le patron du restaurant Les Marronniers d’Arc, non sans souligner : « Vous comprenez pourquoi, lorsque j’ai appris la mort de Bernard Tapie, cela m’a fait quelque chose. Il restera toujours le boss, celui grâce à qui le club de cœur de tous les supporters de l’OM s’est imposé en Europe. Je pense qu’un jour le Stade Vélodrome portera son nom. La procession jusqu’au cimetière fut magnifique. C’est le seul président de club des années 80-90 à bénéficier d’une telle sortie. C’est beau, c’est mérité, c’était un grand monsieur… »
Un « grand monsieur » grâce à qui Basile Boli a pu décocher cette sublime tête. Car, là aussi, l’histoire a quelque chose de magique : victime d’un choc violent en première mi-temps, le défenseur marseillais demande à l’entraîneur Raymond Goethals de le sortir. Le président alors s’y oppose et, quelques minutes plus tard, Basile Boli délivre l’OM.
Dans une interview accordée à Paris Match quelques années après cet exploit, Bernard Tapie est revenu sur ce fait de jeu mais aussi sur une autre anecdote qui illustre la verve provocatrice de ce hâbleur médiatique (d’aucuns se souviennent qu’il avait terrassé Jean-Marie Le Pen lors d’un débat télévisuel portant sur l’immigration) : la veille du match contre l’AC Milan, le bourgmestre de Munich convia à sa table les deux présidents. Le patron de l’OM n’hésita pas à s’attaquer à Berlusconi qui avait caressé la coupe avant son discours : « Tu as fait une grave erreur, Silvio. Tu as manqué de respect à la Coupe. Tu as eu un geste obscène, tu n’aurais pas dû lui mettre la main aux fesses. Elle va t’en vouloir ! »
La coupe aux Grandes Oreilles l’entendit, qui sait ? En tout cas, la victoire et le destin basculèrent de son côté… Jusqu’à ce 3 octobre 2021 où son combat contre la maladie connut la défaite. Depuis, pour Mathieu Bouvier et tant d’autres, il restera « à jamais le boss ! »
Camille Gablo