Nerciat : de Dijon à Naples

Lorsqu’il meurt à Naples en 1800 à l’âge de 61 ans, André-Robert Andréa de Nerciat, né à Dijon le 17 avril 1739, laisse à la postérité une oeuvre libertine encore rééditée et largement autobiographique.

Si l’on veut posséder quelques lumières sur la vie rocambolesque de celui qui fut, tour à tour, soldat, écrivain, diplomate, espion, agent double et, parfois, tout cela en même temps, c’est à ses ouvrages qu’il faut constamment se reporter .

Fait Chevalier de Saint-Louis, Nerciat ne fut pas aussi fin politique que l’un de ses illustres patrons, Talleyrand, et s’il joua sur tous les tableaux de la royauté et de la République, c’est plus souvent pour sa propre sécurité que par intérêt pécunier.

En revanche, subtil libertin, il dut connaître une vie privée exaltante tant son oeuvre, à rebours du cynisme et de la dureté de son époque, « fourmille de joie de vivre et de santé heureuse » ainsi que le souligne sa biographe Julie Paquet.

Si des doutes subsistent sur son ascendance aristocratique, à rechercher peut-être au début du XIVe siècle dans le Piémont, il n’en demeure aucun sur sa naissance dijonnaise. Fils d’un avocat au Parlement de Bourgogne, il fit de bonnes études avant de s’engager à vingt dans la carrière militaire comme lieutenant puis capitaine.

En 1775, paraissent ses premières oeuvres : Félicia ou mes fredaines connait un succès immédiat. Il voyage, complote, espionne en Belgique, en Suisse, en Allemagne, et dédie au Prince de Ligne, en 1777, ses Contes nouveaux. En 1779, Frédéric II s’enthousiasme au théâtre de Cassel pour son opéra-comique Constance ou l’heureuse témérité.

Sa passion pour la musique italienne nuira à sa carrière à la cour de Hesse-Cassel qui prise la musique française et où il convoite, en vain, le poste d’intendant des spectacles .

Missions secrètes

De retour à Paris en 1783 , il reprend le métier des armes et celui de l’espionnage. En mars de la même année, il est fait baron du Saint Empire. Ensuite, la Hollande quelques temps, puis le retour à Paris. Que fit-il sous la Révolution ? Mystère ! En 1790, il aurait rejoint l’armée de Condé, à Koblentz, où il occupe le grade de colonel. Curieuse affectation pour un homme aux sentiments républicains d’autant qu’en 1792, sous l’anagramme de Certani, il a été, par deux fois, rémunéré pour des missions secrètes accomplies pour Lebrun alors ministre des affaires étrangères d’un gouvernement révolutionnaire.

Durant cette période , trois de ses romans paraissent qui offrent de nombreuses clefs sur ce que fut sa vie notamment Les Aphrodites.

Rencontra-t-il Casanova en Bohème ou il séjourne quelques mois ? Nulle part ce dernier n’en fait mention dans ses mémoires. Ses mémoires d’espions sont adressés codés à ses employeurs au moyen d’un ingénieux langage musical de son invention.

Expulsé de Vienne en 1796, Nerciat ou plutôt Certani est envoyé à Milan avec pour mission la surveillance de Joséphine Bonaparte. Le Directoire l’expédie ensuite à la cour du Royaume des deux -Siciles où il entretien d’excellentes relations avec la cour de Naples , lesquelles le font suspecter de double jeu par Talleyrand qui révoque sa nomination.

Accueilli avec beaucoup d’égards

Les deux dernières années de sa vie à Rome d’abord où il sera emprisonné au Château Saint-Ange avant d’être libéré par les Napolitains, malade, ayant perdu ses manuscrits, s’achèvent en janvier 1800 à Naples où il fut accueilli avec beaucoup d’égards. 

Son roman posthume Le diable au corps paraitra en 1803. Sa vie fut à l’image de cette époque bouleversée. Son oeuvre sera saluée par Guillaume Apollinaire et demeure abondamment rééditée aujourd’hui.

On peut regretter que l’ouvrage que Laurent Bolard, historien, docteur en histoire de l’art et spécialiste de l’Italie de la Renaissance, vient de consacrer  à l’Histoire de Naples ait omis d’évoquer le rôle éminent de notre auteur dijonnais dans la vie politique napolitaine à la fin du XVIIIe siècle, tout en recommandant vivement la lecture d’un essai passionnant sur une ville qui depuis sa fondation peut s’enorgueillir d’être l’une des métropoles les plus originales du monde, à l’histoire complexe et tourmentée et à la population turbulente et passionnée douée d’une inventivité et d’une vitalités peu communes .

Pierre P. Suter