Christophe Rougeot : « Dijon… au même titre que Berlin et Copenhague »

Christophe Rougeot représente un PDG atypique. D’aucuns disent de lui qu’il a une idée à la seconde… Une chose est sûre : le patron du groupe de travaux publics qui a ses racines à Meursault en a eu une excellente qui lui a permis d’avoir un temps d’avance : celle de créer un pôle autonome énergie au sein de son groupe (Rougeot Energie) afin d’accompagner les collectivités et les acteurs privés dans la transition énergétique, avec l’emploi des technologies utilisant l’hydrogène. Incontournable dorénavant dans ce domaine d’avenir, pour les territoires comme pour la planète, Christophe Rougeot est devenu le président de la co-entreprise Dijon Métropole Smart Energhy qui vient de lancer la construction de la première station de production d’hydrogène vert de l’agglomération dijonnaise. Il nous détaille ce système vertueux à plus d’un titre… mais pas seulement. Car l’interviewer, c’est en quelque sorte comme replonger dans l’ouvrage du grand économiste américain, Jérémy Rifkin : « Le New Deal vert mondial » !

Dijon l’Hebdo : Après avoir participé au plus grand chantier de la précédente décennie – la réalisation du tramway –, votre groupe œuvre cette fois-ci à l’ambition projet hydrogène vert de Dijon métropole. Vous vous êtes imposé ainsi au fil des années comme l’un des piliers industriels du développement durable de la métropole…

Christophe Rougeot : « Complètement. Nous pouvons dire que c’est naturel pour nous. Nous le faisons pour Dijon métropole comme pour d’autres collectivités puisque l’esprit de Rougeot Energie repose sur une ambition nationale. Mais – et c’est une véritable chance – Dijon métropole représente notre laboratoire naturel. Lorsque nous avons expliqué notre vision de l’hydrogène, nous avons eu un accueil exceptionnel. Le maire et président de Dijon métropole, François Rebsamen, a été non seulement ouvert mais également pro-actif pour porter le dossier. C’était le plus important. L’ambition de Dijon sur le zéro-émission, que ce soit sur les bennes à ordures ou sur la flotte de bus, est européenne. Lorsque j’ai déclaré, récemment, sur France Inter, que l’objectif des 200 bus équipés correspondait à l’ambition de toute l’Espagne, j’ai eu droit à des appels, et notamment du consul d’Espagne. Comme quoi l’ambition de Dijon est très importante. Elle l’est sur la mobilité, peut-être sur le dernier kilomètre, elle va l’être aussi sur le stationnaire, autrement dit tout ce qui concerne le bâtiment. A terme, on peut même imaginer, avec la connexion que l’on pourrait avoir avec On Dijon, la fourniture en électricité en autonomie sur 10 à 15% de la ville entière ».

DLH : A la différence d’autres projets sur le territoire national, celui de la métropole repose entièrement sur une production d’hydrogène à base d’énergie renouvelable, que ce soit par le bais de l’unité de valorisation des déchets ménagers ou de la ferme photovoltaïque. Cette typicité est-elle capitale ?

C. R : « Oui, nous sommes vraiment sur de l’hydrogène vert. Il faut retenir ces deux qualificatifs : global et local ! C’est le plus important. Et nous pourrons multiplier les capacités de production. La stratégie qu’il faut avoir dans l’hydrogène est d’être à la fois très rapide et très lent en même temps : nous n’avons pas toutes les bennes, tous les camions, tous les immeubles mais cela va venir. Il existe, en France, une véritable accélération par le biais du Plan de relance et du Plan hydrogène, qui est de 7,5 milliards d’euros. La volonté du gouvernement d’aller dans ce sens-là est manifeste et Dijon va véritablement être un laboratoire indispensable. Vous savez, j’entends dire que Dijon, au niveau touristique, c’est un peu comme Vienne ou Prague. Bientôt, Dijon sera, en matière de vitrine énergétique, au même titre que Berlin et Copenhague. En matière de benchmarking, beaucoup viendront pour voir comment les gens vivent, quelles sont les innovations… Et, avec On Dijon ainsi que la politique hydrogène et le zéro-émission en général, Dijon correspondra au territoire parfait ».

DLH : Vous développez également un autre projet d’envergure à Fontaine, dans le Territoire de Belfort, l’ISTHY (institut national du stockage d’hydrogène), qui sera incontournable notamment pour tous les constructeurs automobiles…

C. R : « Aujourd’hui, il n’existe que 5 centres de ce type et nous serons le 6e et certainement le plus complet sur toutes les chaînes de valeurs des tests sur les réservoirs hydrogène. Ce sera un véritable fleuron en matière de test et de certification ».

DLH : Vous avez déclaré, avec un certain humour, que « les transports bio naissaient à Meursault ». Comment vous est venue l’idée de faire prendre à votre groupe spécialisé dans les TP le tournant de l’énergie durable ?

C. R. : « Il est vrai que deux rencontres ont été importantes : celles avec François Rebsamen et celle avec la présidente de Région Marie-Guite Dufay, qui ont réellement pris le leadership sur l’hydrogène. Mais l’écologie, au sein de notre groupe, c’est un peu comme la prose. Nous avons toujours fait de l’écologie sans le savoir. Nous avions réalisé beaucoup de centres d’enfouissement, à l’image de celui de Montchanin, qui, avait, à l’époque, en 1992, fait un peu de bruit, beaucoup de bassins anti-pollution, des voies vertes, des voies bleues. Nous avons toujours eu la fibre. Celle-ci vient de mon papa, parce que nous sommes viticulteurs d’origine. J’ai envie de dire que lorsque mon frère est passé au bio et en biodynamie, nous avons effectué un virage à 180° sur l’écologie. Nous avons commencé, au départ, avec l’éolien mais je me suis vite rendu compte que l’industrie appartenait aux Danois, aux Allemands, aux Espagnols et, dorénavant, aux fonds de pension chinois. Il n’y avait rien pour nous dans cette filière industrielle. Ce n’était pas le cas dans l’hydrogène. J’ai passé un mois à naviguer en Allemagne et au Danemark. Après du benchmarking, j’ai été surpris, je pourrais même dire émerveillé, de découvrir que nous disposions de tout à Belfort. Jean-Pierre Chevènement avait lancé cela il y a une trentaine d’années et, depuis, 200 chercheurs sont installés là-bas. Belfort, dans le domaine de l’hydrogène, se situe juste derrière Shanghai. C’est incroyable… Rougeot Energie est vraiment né du mariage de la Bourgogne et de la Franche-Comté. Nous sommes un véritable trait d’union entre les deux. Il va y avoir un pôle, ce que, pour ma part, j’appelle un hub, entre Belfort, Dijon et Le Creusot, car cette ville, qui a une grande histoire industrielle, va aussi avoir sa carte à jouer. Je n’oublie pas non plus Dole avec Inovyn, qui est le plus gros producteur d’hydrogène. C’est de l’hydrogène gris mais il va falloir le faire devenir vert. Nous avons réellement une chance incroyable… »

DLH : Le fait que la Bourgogne Franche-Comté ait été labellisée Territoire Hydrogène dès 2016 vous a ainsi aidé…

C. R : « Cela a accéléré les choses, c’est vrai. En revanche, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers. Nous étions les premiers avec l’Occitanie et Auvergne Rhône-Alpes. Il faut que Marie-Guite Dufay ou le futur président de la région prenne le leadership en France. C’est indispensable. Il est nécessaire que les politiques portent le dossier. Ils l’ont fait et il faut continuer encore plus fort. L’hydrogène, c’est du territoire, cela vient des hommes. La bataille de l’hydrogène se gagne sur le terrain et pas à Paris ».

DLH : Votre conversion à l’écologie durable peut-elle illustrer le fait que toutes les entreprises peuvent le faire ?

C. R : « C’est un peu cela. Dans mon approche à moi, ce qui est bien, c’est que si je le fais tout le monde peut le faire. C’est le message que je veux faire passer. Au départ, je n’étais pas plus écolo que tous les autres. Cela prouve que tout le monde peut faire son chemin et apporter sa contribution. Maintenant tous les entrepreneurs, tous mes collègues, dans n’importe quel métier, sont capables de le faire. Et il faut que cela vienne de tout le monde ! »

Propos recueillis par Camille Gablo

Crédit photo : Jonas Jacquel

Dijon, moteur d’une filière vertueuse d’avenir

Le chantier de construction de la station Dijon Nord, première des deux stations de production d’hydrogène de la métropole, a été lancé le 19 mai dernier. Celle-ci s’appuiera essentiellement sur l’unité de valorisation énergétique traitant les déchets ménagers de 88 % de la population de la Côte-dOr. Equipée d’un turbo-alternateur pour produire de l’hydrogène vert via un électrolyseur, elle aura, dès sa mise en service, fin 2022, une capacité de production de 440 kg par jour dhydrogène (celle-ci pourra à terme être multipliée par 2). La capacité de la second station, Dijon Sud, qui sera, quant à elle, de 880 kg/jour, opérationnelle en 2023, pourra être triplée. Cette production locale d’hydrogène décarboné, à base d’énergie durable (avec aussi la future ferme photovoltaïque de 12 ha), alimentera en 2022 les premières bennes à ordure de France fonctionnant à l’hydrogène (8 en 2022) ainsi que la plus grande flotte de bus du pays (27 en 2023). Il faut savoir qu’une benne à ordures consomme environ 20 kg d’hydrogène par jour afin d’effectuer sa tournée. Objectif : renouveler l’intégralité du parc métropolitain de véhicules lourds en hydrogène à l’horizon 2030, soit les 44 bennes et les 180 bus. Dès 2026, plus de 4 200 tonnes de CO2 par an seront évitées par Dijon métropole, ce qui correspondra à 58 millions de km en voiture ou encore 4 200 allers-retours Paris-New-York ! Afin dealiser ce projet, Dijon métropole sest associée au groupe Rougeot Energie, en créant la co-entreprise Dijon Métropole Smart EnergHy (DMSE). Au mois de janvier, Storengy, filiale dENGIE, spécialiste du stockage de gaz et du développement des gaz renouvelables, est entrée au capital de DMSE. L’investissement total pour ce projet d’avenir s’élève à 100 M€ (20 % pour la construction des stations de production et 80 % pour le renouvellement des bennes et des bus à hydrogène).