Nostradamus

On doit à Mireille Huchon, professeur à la Sorbonne, spécialiste du « beau XVIe siècle », éditrice des Œuvres complètes de Rabelais dans la Pléïade, des travaux novateurs et importants sur « l’Homère bouffon » et sur la poétesse lyonnaise Louise Labé  notamment.

A propos de l’œuvre de celle-ci, Mireille Huchon faisant siennes les conclusions auxquelles sont parvenus Paul Veyne et Philip Hardie, les meilleurs spécialistes des élégiaques grecs et latins, que les poètes de la Renaissance savaient par cœur et imitaient, démontre que la « belle cordière » était sans l’ombre d’un doute une « créature de papier, une demoiselle écrite » dont l’existence réelle importait peu au bel exercice du poème de Maurice Scève et son école.

C’est assez dire combien on ne la fait pas à notre biographe qui vient de consacrer à « Nostradamus » chez l’éditeur Gallimard une étude qui elle aussi fera date.

Car s’il est bel et bien un personnage qui n’a cessé, surtout au XXe siècle « d’affoler les imaginations avec ses prophéties sur l’avenir et les malheurs de l’humanité », c’est bien le mage de Salon-de-Provence dont la renommée doit beaucoup à son fils César qui n’eut de cesse, en bon hagiographe qu’il était, soucieux de livrer à la postérité l’image paternelle dans toute sa splendeur pour préserver la réputation et la renommée d’un père qui avait été en réalité « homme fautier et non pas ange ».

Entre les impostures qu’on lui attribue et le génie visionnaire qu’on lui prête, la biographie de Mireille Huchon fait apparaître « la vérité d’un homme qui n’a pas fini de subjuguer les esprits » ni de nous étonner. Pour nourrir son fantastique travail, l’auteur a passé au crible une masse de documents récemment exhumés et nous invite à suivre les tribulations de l’apothicaire en recherche de recettes secrètes et de philtres magiques, du médecin dans sa lutte acharnée contre la peste, de l’astrologue interprète des astres et des prodiges dans des almanachs annuels aux tirages faramineux, du « conseiller »  d’Henri II , Charles IX et Catherine de Médicis au savoir éclectique « au confluent du platonisme, du judaïsme, du christianisme et de l’alchimie ».

Dans l’épilogue de son ouvrage, Mireille Huchon résume une vie faite de recherches et de combats, ceux d’un homme qui « se voulut humaniste, porteur de l’humaine condition », « l’homme syncrétique qui déchiffre le passé, le présent et le futur en des visions cosmologiques, en face à face avec « le Verbe divin ».

Pierre P. Suter

Mireille Huchon

« Nostradamus »

Gallimard – 22 euros