Violences faites aux femmes

La mère d’une victime brise le silence

Au cours de l’année 2019,146 femmes sont décédées sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire. L’Observatoire national du ministère de l’Intérieur à estimé à 213 000 le nombre de femmes ayant subi des violences de leur conjoint ou ex-conjoint. Et encore ce serait une estimation minimale… Dans le même temps, 18% seulement d’entre elles ont déposé plainte. Si bien que même si la parole des femmes se libère peu à peu, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans le domaine. Afin de lutter, à notre niveau s’entend, contre ce fléau, et d’apporter, par là-même, notre pierre à la Journée de la Femme du 8 mars, Dijon l’Hebdo a souhaité donner la parole à la mère d’une victime. Celle-ci a vécu un véritable cauchemar durant de trop nombreuses années… Grâce au soutien de sa mère mais aussi de sa sœur, cette victime a réussi à franchir le pas et à quitter, avec ses quatre enfants, le domicile conjugal, après un nouvel acte de violence. C’était le 16 juillet dernier et les actes que vous allez découvrir se sont déroulés dans la métropole dijonnaise.
Vous comprendrez aisément que nous ayons choisi de donner des noms d’emprunt aux protagonistes de cette affaire, qui a été jugée en janvier. Cette maman courageuse, que nous appellerons Marlène, a décidé de témoigner afin de faire passer un message fort à celles qui se murent encore dans le silence et qui restent sous le joug de leur compagnon dangereux. « Osez, osez parler, osez porter plainte, osez quitter le domicile conjugal… », tel est, en substance, le message fort qu’elle souhaite délivrer… Non sans adresser ses remerciements au Département, à Dijon métropole, à Orvitis, à la Police nationale, à la Gendarmerie nationale, aux avocats, à la CAF de Côte-d’Or et aux association France victimes 21 et Solidarité Femme 21… Bref à toutes les structures qui se sont fortement mobilisées pour venir en aide à sa fille (Maryline) et à ses enfants. Un véritable message d’espoir, recueilli lors d’’une interview bouleversante…

Dijon l’Hebdo : Comment a débuté cette terrible histoire ?

Marlène : « Jai deux filles dont une aînée de 33 ans. Celle-ci a rencontré son mari, David, il y a 12 ans. Pour diverses raisons, dont linfluence que jestimais nocive de son compagnon, au moment où elle la connu, jai mis ma fille dehors. Aussi ne lai-je pas revue durant un long moment. Ils ont rompu par la suite mais ils se sont remis ensemble. Le caractère manipulateur de David lui a permis de la reconquérir. Il lui a promis notamment monts et merveilles. A l’époque, ils ont vécu chez les parents de David. Ils se sont mariés sans que notre famille ne soit invitée. Si bien que je ne suis pas allée au mariage de ma fille ! De là, elle est tombée enceinte. Je ne lai jamais vu du temps de sa grossesse. Je lai cherchée, je lai recherchée et je lai donc retrouvé chez les parents de David. Cest seulement à ce moment-là que jai appris quelle était enceinte. Avec mon autre fille, nous ne lavons quaperçue à travers un grillage. Nous navons eu le droit de la voir quun quart dheure alors que cela faisait deux ans que nous cherchions à entrer en contact avec elle. C’était il y a 8 ans et ma première petite fille a aujourdhui 8 ans et demi. Lorsque ma fille a accouché, je nai pas été prévenue. Jai seulement eu le droit daller à la maternité deux jours plus tard où je nai pu voir ma fille que quelques minutes, ma petite fille ayant été emmenée ailleurs par son père. Je nai en réalité connu ma petite-fille que lorsque celle-ci avait 3 ans. Je navais pas le droit daller la voir… »

DLH : Comment faisait-il pour vous empêcher de voir votre fille et votre petite fille ?

M. : « Son mari décidait de tout : à quel moment nous pouvions les voir, etc. Je devais lui demander lautorisation pour tout. Il lui interdisait davoir un téléphone, si bien que je devais passer par lui pour tout. Elle navait de compte bancaire, il ne lautorisait pas à travailler non plus, à sortirCest dans ces conditions quune seconde petite fille naît. Elle a 6 ans aujourdhui. Deux autres garçons suivront. Ils ont 5 et 4 ans maintenant. Au moment où elle accouche du troisième, ma fille nous appelle au secours parce que son mari la bat, elle et les enfants. Elle nous a, à l’époque, demandé de laide mais elle n’était pas prête à partir. Pourquoi ? Parce quelle avait peur quon lui enlève ses enfants. Elle sinterrogeait sur la façon dont elle allait vivre, puisquelle navait pas dargent ni de métier. Son mari avait caché ses papiers… »

DLH : N’avez-vous pas tenté, tout de même, de tromper la vigilance de son mari ?

M. : « Bien sûr. Avec mon autre fille, nous nous sommes alors dits que nous devions fournir un téléphone à Maryline. Lors dune des rares visites autorisée par David, nous lui avons fourni un petit téléphone quelle cachait systématiquement dans un paquet de farine pour pouvoir nous appeler quand son mari était absent. Voilà lhorreur que ja vécue durant pratiquement 10 ans ! »

DLH : Comment avez-vous fait comprendre à votre fille qu’elle devait tout faire pour sortir de cet enfer ?

M. : « Nous avons réussi à avancer en faisant comprendre à Maryline quil fallait quelle parte pour protéger ses enfants. La société fonctionne ainsi : une femme fait ce quelle veut mais si elle ne souhaite pas mettre à labri ses enfants la société le fera ! Cest grâce à cela que nous avons avancé dans notre cheminement. C’était très compliqué pour elle : elle était battue, humiliée, privée de tous ses droits, elle navait pas damis, elle était chronométrée en allant à l’école, elle navait pas de permis… »

DLH : Que s’est-il passé le 16 juillet dernier pour qu’enfin elle décide de franchir le pas ?

M. : « Si le 16 juillet dernier, il ne s’était passé cela, lun des deux serait resté sur le carreau. Elle nen pouvait tellement plus quelle nous disait : à un moment donné, je vais le tuer. Je nai pas dautre solutionHeureusement ce 16 juillet 2020, Maryline appelle à plusieurs reprises sa sœur et lui fait part enfin de son choix de partir. En larmes, elle nous demande de venir la récupérer le plus vite possible en nous disant : il faut que vous me sauviez. Cen est trop ! Il vient de me frapper, il a fait de même avec les enfants en les fouettant avec un câble de téléphone dans la cuisine. Elle était paniquée mais décidée. Nous sommes allés la chercher avec ses enfants. Elle navait pris que quelques vêtements, elle avait même abandonné sur place son sac à mainPlutôt que de lemmener chez moi, jai demandé à une collègue de travail de les accueillir afin que son mari ne vienne pas les chercher à mon domicile ».

DLH : Vers qui vous êtes-vous tournée à ce moment-là ?

M. : « Nous avons appelé le 3919, nous leur avons décrit la situation et ils nous expliqué quoi faire. Ils nous ont guidé. Nous avons ainsi déposé une main courante auprès de la Police place Suquet à Dijon. Il fallait dans le même temps quelle porte plainte. Là jai un conseil à donner : ne pas déposer plainte dans la précipitation. Il faut alors réfléchir à tout. Le lendemain matin, nous sommes allés faire constater chez un médecin les traces de violence sur les enfants. Celui-ci nous a orienté vers lhôpital denfants où le pédiatre a déclaré : lauteur des faits est un monstre. Il décide de joindre immédiatement le Procureur de la République et nous annonce : vos enfants vont être protégés. A partir de là, la Police comme la Gendarmerie (car ma fille avec ses enfants étaient alors cachés chez mon amie vivant en zone Gendarmerie) ont été exceptionnelles. Nous avons tous été entendus et, le lendemain, la capitaine de Police nous précise que nous pouvons retourner dans le logement de ma fille afin de récupérer des affaires, son mari étant en garde à vue depuis la veille. Il y est resté 48 heures. Nous avons dû, avec lautorisation de la Police, faire intervenir un serrurier car ma fille ne pouvait accéder à son appartement. Nous navons alors pris lessentiel : des vêtements, des jouets, des produits de toiletteMa fille et ses enfants ont, de là, toujours été protégés. Le capitaine de Police nous a répété à de multiples reprises que le 17 ce n’était pas que pour les autres ! Nous avons aussi été aidés par lassociation France victimes 21. Ma fille a pris attache avec une avocate de renom de la place dijonnaise qui a pris cette affaire à bras le corps. Sachez que cette avocate a précisé à ma fille qui navait pas dargent : je considère que toute femme qui est battue doit être défendue, si bien que votre fille ayant droit à laide juridictionnelle, je ne demanderai rien dautre. Un joli geste quil faut souligner. Cela ne lui a rien coûté et ma fille est très bien défendue ! Elle a obtenu une ordonnance de protection dans les plus brefs délais. Celle-ci est intervenue 5 jours après le 16 juillet. David avait interdiction dapprocher ma fille et ses enfants par quelques moyens que ce soit et il a été mis sous contrôle judiciaire ».

DLH : Votre fille était totalement démunie financièrement. Comment s’en est-elle sortie ?

M. : « Jai accueilli Maryline et mes petits enfants chez moi durant deux mois avant quils ne puissent trouver un logement. Et là je tiens à remercier chaleureusement Orvitis et son président François-Xavier Dugourd. Je veux aussi dire que la CAF a réagi en moins de 48 heures. Ma fille a pu ouvrir un compte en banque afin que la CAF lui verse des allocations. Lassistante sociale a été réellement à l’écoute. Il faut aussi savoir que Dijon métropole a épaulé Maryline avec un dispositif permettant de subventionner des matériels de première nécessité : un frigo et une machine à laver. Il existe une enveloppe pour aider les femmes dans de telles situations. La ville de Dijon est aussi aujourdhui à ses côtés : pour preuve le fait que Maryline ne paye pratiquement rien pour les repas à la cantine de ses enfants. De nombreuses aides existent et il faut faire passer le message… »

DLH : Au mois de janvier, le tribunal correctionnel a également condamné le mari de votre fille…

M. : « Le procès qui devait se dérouler au mois doctobre, puis de décembre a finalement été reporté en janvier. David devait répondre de deux chefs daccusation : violence sur sa femme et violence sur les enfants. Pour le premier, le conseil départemental, qui soccupe de la protection de lenfance, a été représenté par un avocat. David a été condamné à 8 mois de prison avec sursis, à 5 ans de mise à l’épreuve, à une obligation de soins à ses frais et à une inscription au casier judiciaire. Je naurais quun conseil à donner : il faut des preuves, il faut être capable de faire des photos des bleus, des traces de coupsMa fille est maintenant en instance de divorce. Une ordonnance de non conciliation a été faiteElle est en train de passer son permis de conduire afin de se mettre sur le chemin de lemploi. Elle se reconstruit progressivement… »

DLH : Pourquoi avez-vous tenu à apporter ce témoignage ?

M. : « Je suis dans une véritable démarche positive. Avec ce témoignage, ma démarche na quun but : je veux dire aux femmes qui traversent ce genre d’épreuve : Osez ! Osez partir ! Vous pouvez vous en sortir. Cest compliqué psychologiquement. La femme qui part et qui na pas de travail peut penser quelle peut potentiellement se faire enlever ses enfants. Mais notre pays les protège. La France protège la femme battue et les enfants ! Nombre de structures, dassociations, de personnes peuvent vous aider. Aussi nhésitez pas, osez ! Appelez le 3919…»

Propos recueillis par Camille Gablo