Les mains du miracle

L’historien polyglotte François Kersaudy vient de rouvrir le dossier Kersten soixante ans après le formidable livre de Joseph Kessel «  Les mains du miracle » qui révélait au grand public l’héroïsme d’un Juste parmi les Justes.

Kersaudy reconstitue l‘extraordinaire odyssée de celui qui, masseur d’Himmler , le numéro deux du régime nazi, mis son incroyable courage et sa propension à aider son prochain dans la détresse, quels que soient les risques, au service du sauvetage de dizaines de milliers de juifs et de résistants déportés pendant toute la Seconde Guerre Mondiale.

Pourquoi le nom de Kersten nous est-il moins familier que celui de Schindler en dépit du livre de Kessel, d’une BD parue chez Glénat et d’un documentaire diffusé sur Arte ?

C’est ce qu’explique le remarquable travail rigoureusement étayé de Kersaudy qui rend ainsi justice à un homme qui mit ses talents de masseur, acquis auprès d’un maître tibétain à Berlin dans les années 20, au service du bien et de l’humanité.

Herausmassieren : extirper par des massages . Quand Himmler souffre de crampes d’estomac que narcotiques ni autres injections ne soulageaient plus, Kersten lui met sous les yeux ses listes de noms de personnes à libérer. Du soulagement contre des vies sauvées. Les libérations extorquées au monstre sont sa seule rétribution , Kersten refusant toute rémunération, récompense ou grade proposés par le dignitaire nazi.

Dès 1940, Kersten se fait l’avocat des victimes du nazisme. Au fur et à mesure de quelque 200 consultations ,il s’enhardi, brave les dangers, s’entoure d’alliés de circonstance, fait preuve de ténacité et de rouerie en jouant avec les faiblesses et les obsessions d’un homme voué au meurtre de masse, consumé par son obéissance au Führer, influencé par l’astrologie.

«  Comme nombre de résistants et d’agents doubles infiltrés dans les services de police et de renseignement nazis » dit Kersaudy dans une interview récente accordée à l’hebdomadaire d’information « Le Point », « Kersten était considéré aux Pays-Bas comme un collaborateur et beaucoup s’étonnaient qu’il n’ait pas été fusillé à la Libération. Les enquêtes sur son cas ont été conduites pendant trois ans dans la plus grande discrétion, de sorte que l’opinion publique scandinave et néerlandaise (ces nations lui doivent beaucoup) a été ébahie en apprenant, à l’été 1950, que Kersten avait été fait grand officier de l’ordre Orange-Nassau. Kersten a bien été proposé 8 fois pour le prix Nobel de la Paix mais les Norvégiens craignant de déplaire à leurs voisins suédois (pour en comprendre la raison il faut méditer l’attitude du Comte Bernadotte au lendemain de la guerre) sa candidature n’a pas été retenue. Toutefois, en 1960 , la France s’est souvenue de ses éminents services et lui a décerné la Légion d’honneur ».

Souhaitons que le passionnant ouvrage de François Kersaudy « La liste de Kersten. Un juste parmi les démons » vaille à Kersten une reconnaissance tardive, tant méritée et gageons que le cinéma ne tardera plus à lui consacrer l’attention et l’hommage que lui font mériter son humanité, son courage et sa bravoure.

Pierre P. Suter

François Kersaudy

«  La liste de Kersten. Un juste parmi les démons »

Fayard – 23 euros.