Le Covid et ses valeurs

Évoquer « les valeurs du Covid », spontanément, cela renvoie à deux univers de sens totalement différents. Il y a les valeurs morales, celles qui font appel aux soubassements éthiques de la relation à l’autre mais aussi aux principes fondateurs d’une société (ainsi le triptyque républicain au fronton des mairies, « Liberté Egalité Fraternité », quel bel idéal !). Mais parler de valeurs, cela fait aussi référence à la sphère économique, commerciale et financière. On parle spontanément de la valeur (marchande) d’un produit ou d’un service. Et bien le Covid trace une asymptote liant ces deux termes presque antithétiques, allant de la morale au marché ; il sera intéressant de voir in fine ce qui peut cependant les lier.

Déjà, la crise pandémique, qui dure depuis maintenant un an, a révélé l’existence d’une double colonne sociale, qui est donc économique et relationnelle. Les deux slogans incarnant cette valeur covidienne bicéphale, c’est « Prenez soin de vous » (pour les relations) et ensuite « Quoi qu’il en coûte » (pour la gestion politique).

Allons du prosaïque au spirituel. Quand Emmanuel Macron a (peut-être imprudemment !) dit que la crise serait gérée « quoi qu’il en coûte », il ne pensait pas qu’une autre de ses petites phrases (prononcée un peu avant) le rattraperait : son évocation du « pognon de dingue » ! Car oui, indépendamment de toute considération sanitaire et morale, le Covid et sa gestion ont « réussi » à faire exploser la dette. Impensable il y a un an, alors que les experts de Bercy étaient angoissés sur la possibilité de son augmentation de 0,5 %. La valeur du Covid, c’est donc une dette qui s’envole et devra être remboursée un jour (quand et par qui ? Nul ne le sait, mais ne soyons pas mesquins !). Mais c’est aussi la jungle et la manne des subventions, assistances, droit au chômage partiel, aides en tout genre, en clair l’ensemble des dispositifs dispendieux permettant transitoirement à ceux qui y ont droit (on dit désormais « qui y sont éligibles ») d’en bénéficier. L’argent coule à milliards, on ne sait pas exactement d’où il arrive, mais « il ruisselle », pour reprendre une autre expression d’Emmanuel Macron ; qui au passage, ne savaient pas que « ceux qui ne sont rien » seraient en première ligne, prenant tous les risques dans cette « guerre », les « premiers de cordées » travaillant bien sûr, mais à la maison derrière des écrans. On a au moins compris qu’il est vain de hiérarchiser les mérites et les compétences.

La valeur du Covid, c’est aussi le coût invisible des tests, des masques, des dépistages, des permanentes campagnes de prévention et d’information, en clair, c’est une bulle financière qui n’a rien de virtuelle, qui s’envole en espérant qu’elle n’éclate pas trop vite. Le « Quoi qu’il en coûte » était intrépide ou imprudent, car il en coûtera nécessairement beaucoup à moyen terme, en augmentations des impôts, des taxes, des prélèvements de solidarité voire d’un « impôt Covid » qui sera inventé tôt ou tard par les imaginations fertiles de Bercy. Ironie mise à part bien sûr, on ne peut que se féliciter, « quoi qu’il en coûte », de ces multiples aides qui ont maintenu des pans de l’économie et de l’activité sociale sous perfusion, ou la tête hors de l’eau.

Les valeurs du Covid, ce sont aussi les principes sous-tendant la distanciation, les gestes-barrières, le port du masque, le recours au gel systématique. Derrière ces mesures à la base contraignantes et attentatoires au naturel de nos relations sociales, on perçoit en filigrane une attention accordée aux autres, une prévenance, un souci de ne pas contaminer, de ne pas diffuser le virus, et de tenter de faire barrage à la chaîne de contamination. C’est donc un altruisme, une logique « charitaire », une abnégation qui sous-tendent les principes de distanciation. J’y reviens : la formule « Prenez soin de vous » prend tout son sens depuis un an. Il y a derrière tout cela une manière de se protéger soi-même et de protéger les autres qui remet de la morale au cœur de nos relations amicales et sociales, même si celles-ci sont transitoirement « à bonne distance », par la force des choses. Jusqu’ici, les masques relevaient d’une esthétique, ils relèvent désormais d’une éthique.

La gestion de la crise du Covid est critiquée, et à travers elle, sont pris pour cibles tout à la fois le gouvernement, la technostructure étatique, la chaine bureaucratique, les lenteurs administratives. A critiquer ainsi, les Français sont dans leur rôle d’éternels râleurs. Il est des pays dans lesquels on a moins d’états d’âme sur les aides publiques, les divers dispositifs sanitaires et le respect de la distanciation. On approuve, on applique, et c’est tout. Ici, l’heure n’est pas à l’union sacrée, et il semble qu’elle le sera de moins en moins.

Cependant, les choses infusent et révèlent leur sens historique profond bien plus tard. Et bien si cette crise aura d’abord révélé les ressources solidaires de l’État pour protéger les plus fragiles, et si ensuite, une nouvelle morale relationnelle a émergé de tout cela, alors la crise du Covid, « quoi qu’il en ait coûté », n’aura pas été vaine.

Pascal Lardellier

Professeur à l’Université de Bourgogne