Dans le domaine de l’’enseignement supérieur, la métropole dijonnaise a récolté de bonnes notes, avec, notamment, l’arrivée de deux écoles d’ingénieurs renommées : l’ESTP et ESEO. Le vice-président du conseil régional et élu dijonnais, Denis Hameau, souhaite passer à la vitesse supérieure dans le domaine. Pour ce faire, il nous détaille sa stratégie.
Dijon l’Hebdo : En 2018, la métropole dijonnaise comptait 36 967 étudiants contre 32 465 en 2012. Cette hausse illustre-t-elle pleinement les efforts faits dans le domaine de l’enseignement supérieur ?
D. H. : « En raisonnant à l’échelle de la région, nous avons une ossature et une infrastructure de l’enseignement supérieur qui sont, comparées à d’autres territoires, encore à conforter. Nous avons beaucoup moins d’écoles d’ingénieurs que le Grand Est ou le Centre Val de Loire. Nous sommes la seule région à ne pas disposer d’école d’architecture, ce qui veut dire que, potentiellement, tous les étudiants se destinant à ces métiers quittent la région. Et ils ne reviendront pas parce qu’ils sont dans un moment où ils démarrent leur vie. Et s’ils commencent leur existence à Angers, Versailles, Strasbourg ou Lyon, ils ont une véritable propension à y rester. Sachant en outre que le potentiel d’emplois existe là-bas… Sur un certain nombre de sujets, nous étions en retard. Fort de ce constat, le contrat métropole-région a représenté un levier important avec 40 M€ (sur quelque 100 M€) réservés à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est capital d’autant plus que l’économie aujourd’hui s’apparente à de l’économie de la connaissance. Plus on va développer de la connaissance, des savoir-faire, de la recherche, plus on va créer de la valeur. Et nous avons des filières fortes pour le faire… »
DLH : Quelles sont justement les filières qui peuvent être porteuses pour l’avenir ?
D. H : « Nous avons la filière santé avec le technopôle ou encore le tourisme avec la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin qui est un grand projet – même si aujourd’hui c’est difficile eu égard à la situation sanitaire. Il n’y a pas de métropole forte sans culture, et nous disposons d’un moteur de taille avec le musée des Beaux Arts. Nous avons l’alimentation durable et le projet emblématique TIGA. Nous disposons ainsi des forces afin d’aller vers cette transformation du modèle. Je n’oublie pas non plus On Dijon qui est aussi essentiel. L’enjeu est de pousser nos projets et nos filières et, dans le même temps, de conforter nos dispositifs d’enseignement notamment supérieur. Ce qui nous a amené à faire venir l’ESTP (Ecole spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie). Le maire et président de Dijon métropole, François Rebsamen, a beaucoup œuvré pour cette arrivée. Cette école et ESEO (Ecole supérieure d’électronique de l’ouest) qui, elle aussi, a choisi de s’implanter à Dijon, bénéficieront du futur Campus métropolitain. Lorsque ces deux établissements seront en phase de croisière, ils accueilleront quasiment 1 000 élèves. Cela devient puissant ! Et, potentiellement derrière, les étudiants pourront créer des entreprises… »
DLH : D’autres structures sont également en phase de croissance…
D. H : « Le deuxième enjeu réside en effet dans le développement des écoles existantes qui, aujourd’hui, poussent les murs. Nous allons ainsi accompagner l’ESIREM (Ecole supérieure d’ingénieurs numérique et matériaux) dans son extension en lien avec l’Université de Bourgogne (UB). Il en est de même avec Sciences-Po. Ou encore le CESI, une belle école d’ingénieurs qui travaille beaucoup par apprentissage, et qui nous annonce posséder le potentiel pour passer de 300 à 1000 étudiants. La question est de savoir comment les accompagner, si possible en proximité du Campus métropolitain… L’ESM (Ecole supérieure de musique), hébergée par l’UB, n’avait pas de locaux. Un partenariat a été élaboré avec la Ville de Chenôve qui disposait de locaux disponibles au Cèdre. Nous avons travaillé six mois sur ce dossier afin de pouvoir créer des collaborations. Cela montre bien que l’ossature de l’enseignement supérieur a besoin d’être confortée. Selon la directrice de l’ESM, plus de 1000 jeunes Français traversent la frontière pour aller se former en Suisse car nous ne pouvons pas leur offrir des conditions aussi compétitives. Evidemment il faut investir et l’on me dit souvent que l’enseignement supérieur coûte cher. Sans être dispendieux, il faut se mettre au niveau et avoir une vision stratégique ! »
DLH : Et la concurrence est rude aussi dans ce domaine…
D. H : « Nous ne faisons pas partie des très grandes métropoles, nous ne sommes pas une région gigantesque. Nous partons de nos forces mais nous ne pouvons pas avoir des trous dans la raquette. Si le maillage n’est pas suffisamment fort, alors nous perdons les forces vives de demain. Nous devons répondre aux demandes des entreprises, non pas par philanthropie mais parce que nous avons une vision stratégique de notre territoire et que nous voulons le développer ».
DLH : Quelle stratégie souhaiteriez-vous voir adopter ?
D. H : « Il faut que la Région investisse beaucoup plus dans ce domaine car nous avons, par rapport aux autres, un peu de retard et nous avons toutes les transitions à mener. La vision stratégique forte doit conforter les filières existantes et valoriser, en lien avec celles-ci, l’enseignement supérieur pour développer les bonnes compétences. Un autre exemple : dans le secteur de la santé, nous aurions besoin d’avoir une école dans les biotechnologies. Il existe à Lyon SUP’biotech et nous pourrions, pourquoi pas, imaginer des collaborations avec cette structure. Il faut aussi, dans le même temps, accompagner les transitions. Prenons l’agro-écologie et le système de l’alimentation durable. Quand on veut qu’un agriculteur modifie ses pratiques, il faut 5 ans pour que les terres soient, disons, plus proches de l’écologie. Comment accompagner durant cette période cette transition sans que cet agriculteur ne perde ses revenus ? C’est la vraie question… Il faut l’accompagner financièrement, en terme de formation, de développement des circuits courts… Cela devrait être selon moi un sujet stratégique partagé de la commune à la région, en passant par l’intercommunalité et le département. Tous devraient se mettre ensemble pour contribuer à cette transition. Or aujourd’hui ce n’est pas le cas ! »
DLH : La marque « Savoir-Faire 100% Côte-d’Or » développé par le conseil départemental y participe pourtant déjà…
D. H : « Le burger 100% Côte-d’Or n’est pas à l’échelle de l’enjeu. C’est bien mais la complexité est beaucoup plus grande. Il faut faire appel aux scientifiques, aux économistes pour trouver comment financer durant 5 ans la vie des agriculteurs. Il faut faire appel à des audits d’exploitation, ce que nous avons fait à la région… Nous pouvons peut-être mettre du photovoltaïque dans certaines exploitations, favoriser la récupération de l’eau… Il faut aujourd’hui regrouper toutes les forces parce que les transitions que nous avons à mener sont considérables. La responsabilité politique est de partager une vision. Nous pouvons avoir des idées différentes mais il y a un intérêt général des territoires. C’est vers cela qu’il faut aller… »
DLH : Est-ce cet « intérêt général des territoires » que vous allez défendre lors des prochaines échéances électorales ?
D. H : « Il faut arrêter de dire aux citoyens qu’il y a les gentils ruraux et les méchants urbains. Ce discours n’est pas à la hauteur des transitions que nous avons à mener. Il faut construire une alliance des territoires. Chaque institution a son rôle mais c’est en étant ensemble que nous pouvons avancer. Et c’est d’ailleurs ce qui désespère les électeurs. Nous avons une abstention record eu égard aux bisbilles d’untel ou d’untel ».
DLH : Doit-on comprendre dans « l’alliance des territoires » que vous prônez que vous pourriez être candidat aux élections départementales ?
D. H : « J’aimerais qu’il y ait une vision partagée utile à tous. Les territoires ruraux sont la chance des territoires urbains. Nous sommes dans un écosystème : lorsque l’on travaille sur les enjeux de l’eau ou de l’alimentation durable, il faut avancer ensemble. Même si c’est très important pour la sensibilisation, les jardins partagés de Dijon ne nous permettront pas de nourrir tout le monde. Mais c’est la façon dont les territoires autour produiront qui est essentielle. Opposer les gens n’a pas de sens et ne crée pas de l’attractivité. Au contraire, nous dispersons nos forces alors que nous devons être une région, un département, une métropole, une commune dynamiques. Ce discours consistant à opposer la campagne et une forme de tradition avec la ville, porté souvent par le Rassemblement national, n’a pas de sens. Il faut au contraire créer de la synergie et une manière de construire la société ensemble. L’avenir de la politique passe par la cohésion plutôt que l’exclusion. Il faut redonner de l’espoir aux gens. Nous avons un vrai problème d’abstention, de déficit démocratique. La crise sanitaire ne nous aide pas mais il y a un problème de crédibilité de la parole politique. Cette vision qui donne de l’espoir, de l’envie n’existe plus. D’une certaine manière, c’est comme cela qu’Emmanuel Macron a été élu en 2017 parce qu’il y avait ce besoin d’une espérance qu’il portait mais finalement il a fait de la politique à l’ancienne. Le souffle est retombé avec la politique de droite et très centralisée qu’il a menée. Nous sommes aujourd’hui sur-administrés et pas très bien gouvernés. Au lieu d’être en soutien des initiatives locales, il impose des cadres et des contraintes. Il faudrait plutôt créer des solutions et innover ! »
Propos recueillis par Camille Gablo
DLH : Quid de l’école d’architecture ?
D. H. : « Ce sujet a été évoqué avec la présidente de Région. J’ai œuvré auprès de mes collègues vice-présidents afin de pouvoir créer un montage intéressant susceptible d’accueillir ce type d’établissement à Dijon. Nous avons la friche industrielle de l’usine Terrot qui pourrait représenter un lieu idoine pour l’accueillir. Ensuite, nous pourrions tisser nombre de liens. Nous avons été finalistes au concours de la Capitale verte européenne. Cette école d’architecture pourrait ainsi s’intéresser à la transition écologique. Cela aurait du sens. Tout comme ESEO qui crée une option Smart City sur la ville de demain… Si bien que l’on créerait un dispositif permettant, grâce à toutes ces compétences, de pousser nos filières les plus importantes. Je n’oublie pas non plus les nouvelles filières telles que l’hydrogène. L’idée est à la fois de booster la filière industrielle pour développer en circuit court l’hydrogène sur un territoire démonstrateur et de mettre en place toute la formation afférente : du CAP aux diplômes d’ingénieurs. Quelles sont les compétences dont on a besoin pour être demain dans la course sur cette filière d’avenir ? Nous avons l’opportunité de créer un dispositif de formation initiale, continue et supérieure. La métropole capitale régionale est tout à fait dans son rôle en étant au service des autres… Nous avons besoin de beaucoup plus d’ingénierie afin de développer ce type de projets sur les territoires. C’est là où l’enseignement supérieur représente un domaine stratégique ».