Roman de Camille Zabka, aux éditions L’Iconoclaste, Paris, 2021.
Comme une évidence. Comme si la beauté de ce livre n’était pas seulement due à cette rédaction aérée, à ces phrases simples et poétiques que Camille Zabka a le don d’agencer, mais également à sa capacité à nous happer par ce coup d’œil derrière les feuilles, dévoilé dès la couverture : feuilles des arbres de Java ou feuilles du recueil que nous allons vite dévorer, afin de nous plonger dans la moiteur indonésienne.
Parce que c’est bien la couverture du deuxième roman de Camille Zabka qui m’a d’abord emporté! Des rouges un peu « cherry, ruby, berry », voire « blood », couleur du sang des macaques, petits singes qu’un des personnages du roman tuera, laissant une flaque dégueulasse sur le granit blanc de la piscine. Une conception visuelle du graphiste sud africain Quintin Leeds, ancien directeur artistique des quotidiens Libération et Le Monde. Un œil féminin au regard doux, derrière une végétation tropicale, qui vous happe.
LA PROMESSE D’UN PARADIS
Le roman commence par une échappée dans la nuit indonésienne : « C’est la bonne nuit
pour fuir. La lune éclaire la route. Je chante pour me donner le courage de rejoindre le
village, au loin là-bas, de l’autre côté de la forêt. Je chante pour ma fille endormie dans
le kain. »
Le récit est aussi prenant que la promesse de sa couverture : l’histoire d’un couple modèle d’expatriés français, Cassandre et Lucas ; la confession intime d’une femme qui a cru au paradis, en s’installant en Indonésie, sur l’île de Java. « Quand Lucas a dit : Nous habiterons Magelang, au centre de Java, dans la forêt, j’ai senti quelque chose vibrer en moi. Ce simple nom que Lucas avait prononcé de sa voix grave, avait fait naître tout l’Extrême-Orient. Il contenait à lui seul voilures et mâtures, grandes mers et rivages lointains, épices, musc et coco. »
Alors que Cassandre poursuit un travail de rédactrice, Lucas monte une filiale responsable de la production d’huile de palme. Au début, les jours sont heureux sur cette île de Java aux paysages somptueux. « Il y avait tant à découvrir. Les mots nouveaux, les rizières en miroir du ciel, les cris des marchands ambulants. Une anguille grillée au bord d’un champ, le riz qu’on lave en le pressant sous l’eau, et l’eau qui devient lisse et blanche, une papaye qu’on égrène. Il suffisait de presque rien pour habiter le jour. »
UN PUZZLE ROMANESQUE ET POETIQUE
Mais si Cassandre, issue d’un milieu modeste près d’Arras, aime quitter le complexe, où
vivent les Occidentaux derrière leurs hauts murs, pour découvrir seule les villages alentour, bientôt le décor factice des expatriés se lézarde. Une catastrophe écologique menace l’île, tandis que le petit groupe de privilégiés vit refermé sur son égoïsme. « J’ai
entrevu avec Lucas un monde que je ne soupçonnais pas. Un monde où la richesse
donne le droit d’être impoli, fou et irrévérencieux, où rien n’est jamais vraiment interdit, ni dangereux. »
La naissance de la petite Clara fragilise encore davantage l’équilibre de la jeune
femme, comme sa rencontre inattendu avec un garde-forestier, le mystérieux Amu. Cassandre vient d’avoir trente ans, un âge pour vivre ou pour mourir, pense-t-elle.
UN MONDE QUI SE FISSURE PEU À PEU
Construit en flashbacks, l’écriture impressionniste de Camille Zabka nous bouleverse par sa poésie, sa beauté, sa simplicité. Composant une musique qui associe sensations,
contemplation et sentiment intérieur, la romancière fait le portrait d’une femme perplexe et chancelante, à la recherche d’elle même, dans un monde qui se fissure peu à peu.
NE CRAINS PAS L’OMBRE NI LES CHIENS ERRANTS est un véritable puzzle romanesque qui s’assemble sous nos yeux, au fur et à mesure de notre lecture. On pourrait souhaiter qu’un grand réalisateur comme Terrence Malick, porte à l’écran ce roman de Zabka. Mais peut-être ce récit est-il trop bref pour ce magicien de l’image ? Une grande réalisatrice alors ? En ces temps de cinémas fermés, nous pouvons, nous aussi, toujours rêver.
Raphaël Moretto
NE CRAINS PAS L’OMBRE
NI LES CHIENS ERRANTS
de Camille Zabka, aux éditions L’Iconoclaste.
19 € dans toutes les bonnes librairies. Foncez !