Le vaccin est sous-tendu par des imaginaires puissants et des représentations symboliques fascinantes, qui mènent de la « pensée magique » aux théories du trans-humanisme.
Cela faisait bien longtemps que le vaccin, comme principe, était entré dans les mœurs et les pratiques, et qu’il était intégré à notre paysage sanitaire et social. Bien sûr, des débats autour de la vaccination des enfants et de ce qu’il convenait d’accepter comme charge vaccinale sont légitimement repérables dans l’espace public, mais ceci n’a jamais remis en question l’utilité et la légitimité des vaccins.
Or, la crise sanitaire que nous traversons, et ses conséquences d’ores et déjà perceptibles (et surtout à venir) remettent au cœur de tous les débats la question du vaccin, qu’on attend providentiel, qu’on espère miraculeux. « On » ? Les pouvoirs publics, les autorités sanitaires, une partie de l’opinion, la plupart des médias institués. Ce vaccin, on espère qu’il sera plus encore qu’une antidote : une véritable « panacée » (ce qui en grec ne renvoie à rien moins qui a un « remède universel »). En clair, la « potion magique » permettra(it) de sortir de la crise, de la peur de mourir – et déjà d’être contaminé – pour aller vers la sécurité, la salubrité, l’autorisation à revenir vers la vraie vie. Que de promesses et d’espoir dans le contenu d’une seringue… Le vaccin ? Dans l’idée, c’est pour notre bien. Beaucoup iront, d’après les sondages, à contre-cœur, un peu comme enfant, on gobait la cuillère d’huile de foie de morue…
Mais si les débats sont aussi vifs autour du vaccin (on songe même à les judiciariser), si les réseaux sociaux – et déjà Tweeter – souhaitent interdire qu’on en remette en question l’efficacité, c’est que ces vaccins déclenchent une incroyable guerre des représentations et des imaginaires, avant même d’évoquer leurs aspects industriels (les conditions de leur production fiable et massive), économiques et financiers. On perçoit sans peine les enjeux immenses de ce côté-ci, et il n’en sera pas question ici.
Se faire vacciner n’est pas innocent, et cela, on devrait garder le droit de le dire. Ce « jeu » (au sens du gamble anglais, du « pari », avec les « effets secondaires » possibles) est « un mal pour un bien », pourrait-on dire. Car se faire vacciner, cela revient symboliquement à rien moins qu’à s’inoculer un poison, à incorporer une part du mal, en espérant que le corps réagira positivement et sera dès lors immunisé. Normalement, c’est toujours ainsi que cela se passe, et l’origine du vaccin procède d’une intuition géniale : inoculer à un jeune « vacher » (« vaccin » vient de vacca, pour « vache » en latin) une part de la variole des bovidés, afin de les immuniser. Et puis Pasteur est arrivé…. La vaccination, faut-il le rappeler, a eu des incidences bénéfiques immenses pour l’humanité, pour sa santé, son bien-être, son espérance de vie. Mais de cela, parfois, l’esprit n’en a cure.
Car la vie sociale peut être considérée comme un immense entrechoc de représentations symboliques ; dès lors, on peut considérer qu’il y a quelque chose de l’ordre de la « pensée magique » dans cet acte de la vaccination, qui renvoie dans l’esprit au roi Mithridate : tous les jours, un peu du poison ingéré, et « ce qui ne me tue pas me fortifie »…. Le vaccin, c’est un pari sur l’efficacité de la dose injectée. Mais le vaccin, dans les imaginaires, va d’une asymptote qui le mène de cette pensée magique – donc à quelque chose d’archaïque – au trans- ou au post-humanisme. Vacciner, c’est modifier son corps, sa dynamique, ses réactions, par une action extérieure, toute à la fois magique et scientifique. C’est donc, sans évoquer de prime abord le mythe du cyborg, être dans une situation physiologique et sanitaire « augmentée », qui technologise l’esprit du cannibalisme rituel : « Je m’approprie la force de ce que j’ingère… ». Et on sait combien les théories autour de l’humanité augmentée rencontrent un écho certain, porté par des courants de pensées prosélytes. Notre identité se réinvente à chaque époque, en fonction des courants de pensées (scientifiques, artistiques, religieux…) émergents ou dominants. Eh bien la vaccination n’y échappe pas, qui s’immisce en nous comme prophylaxie et comme idéologie.
Un pas de côté historique : on se souvient de la tradition des « rois thaumaturges » (« qui produit des miracles », Marc Bloch leur a consacrés un livre inoubliable) dans la France de l’Ancien Régime : ceux-ci avaient la capacité, en apposant les mains sur les « écrouelles » des malades « scrofuleux », de les guérir. Et la formule rituelle était : « le Roi te touche, Dieu te guérit », lointaine édulcoration des pouvoirs guérissant du Christ. En 2021, il serait plus qu’inapproprié que notre Président ex-Jupitérien – même dans notre régime de monarchie républicaine – se risquât à toucher quiconque, et d’autant qu’il est « positif » au Covid, et que le « sans contact » est devenu la règle relationnelle, sanitaire et morale. Reste le divin vaccin, alleluia !, que beaucoup attendent comme le sain sacrement…
Pascal Lardellier