Le «  je » de l’Histoire

Depuis plusieurs années des historiens reconnus ( Jablonka, de Baecque, Artières, Audoin-Rouzeau etc ..) et des romanciers admirés et lus (Littell, Heanel, Binet, Vuillard…) se livrent à fronts renversés.

Les historiens parlent d’eux-mêmes et les romanciers de l’histoire. L’historien se mue en mémorialiste quand l’écrivain élabore son récit romanesque à travers la réécriture ou la réinterprétation du passé.

Spécialiste des idées au XXe siècle et enseignant à la Cornell University (New-York), Enzo Traverso a cherché à comprendre les raisons de ce phénomène qui s’est accentué encore récemment. Il fait d’abord observer dans un essai stimulant « Passés singuliers : le « je » dans l’écriture de l’histoire » que « l’histoire s’écrit de plus en plus souvent à la première personne, au prisme de la subjectivité d’un auteur ».

Faut-il s’en inquiéter ? En aucune manière à condition que les choses soient d’emblée clairement posées et dites, souligne l’essayiste, qui estime que cette évolution traduit un changement de lien avec le passé : « C’est seulement après avoir étudié les autobiographies des gens communs que les historiens ordinaires ont commencé à raconter leur propre vie ».

Si les lecteurs peuvent y trouver indéniablement plaisir, d’autant que ces auteurs et historiens brillants , abordent ainsi des territoires nouveaux, avec maîtrise et allégresse, Traverso met en garde avec talent, humour et style : « Aujourd’hui des chercheurs écrivent à la première personne pour parler de moments du passé qu’ils n’ont pas vécus. Mais on ne peut pas interpréter le passé en le ramenant simplement à la sphère de l’intime ». 

Au « je » du roman il préfère « le nous »  s’agissant de l’histoire .

Cet essai qui permet de comprendre les orientations des travaux historiques et la production éditoriale qui en découle, et une occasion de vous plonger à l’occasion des vacances hivernales dans les ouvrages « HHhH »  de Laurent Binet ou dans « Civilizations » du même auteur, ou dans l’ouvrage d’Eric Vuillard « L’ordre du jour ». Ou encore dans ceux de Yvan Jablonka, « Laëtitia » et d’Antoine de Baecque « La traversée des Alpes . Essai d’histoire marchée », notamment.

Pour vous faire votre propre opinion.

Pierre P. Suter

Enzo Traverso

«  Passés singuliers : Le «  je » dans l’écriture de l’histoire ».

Editions Lux – 252 pages – 16 euros.