François Sauvadet : « Je souhaite une relation apaisée entre le Département et Dijon »

Depuis le premier confinement, le Département de la Côte-d’Or fait face aux difficultés qui apparaissent. Dans cet entretien, François Sauvadet, son président, explique ses choix dans les domaines de compétences de la collectivité. Avec la volonté farouche de lutter contre la pauvreté et la précarité… « pour ne laisser personne au bord du chemin » comme il se plaît à la souligner.

 

DLH : Lors de la dernière session départementale, vous avez fait résolument le choix de vous orienter vers un budget 2021 « contracyclique ». Qu’est-ce que cela veut dire ?

François Sauvadet : « On traverse une crise sans précédent dont les conséquences sont extrêmement lourdes sur les personnes les plus précaires mais aussi sur ceux qui ne peuvent plus développer leur activité, notamment dans le domaine de la restauration et dans bien d’autre secteurs. Les difficultés sont réelles même s’il y a des accompagnements financiers.

Notre première mission, c’est la solidarité. Nous restons le chef de file des solidarités humaines. Personne ne doit être laissé au bord du chemin. A Dijon comme ailleurs. Dès la fin du mois d’août, avant le reconfinement, j’avais indiqué clairement que nous souhaitions assumer nos responsabilités. Nous avons mis en place un plan de soutien avec, tout d’abord, des aides d’urgence. A ce jour, nous avons 2 250 familles qui ont été accompagnées pour faire face au quotidien. Soutien également aux associations qui relèvent du champ social comme la Banque alimentaire, les épiceries solidaires, les restos du cœur… On voit apparaître de nouvelles fragilités parmi les jeunes, les étudiants, les travailleurs non salariés… pour lesquels nous mettons en place des mesures d’accompagnement.

J’ai aussi souhaité à ce qu’on veille qu’aucun collégien de Dijon comme de Côte-d’Or se retrouve à la porte d’une cantine si ses parents n’ont pas les moyens de la payer. Ce geste de solidarité est allé jusqu’aux prix des repas qui ont été baissés. Il n’est pas question de rajouter de la difficulté à la difficulté.

Le second objectif, face à ce choc social, c’est le soutien de l’activité et de l’emploi. Nous avons constaté une augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA. Mille de plus en un an ce qui porte le total à près de 12 000. Nous devons continuer d’investir dans nos routes, aux côtés des collectivités de tout le département y compris des villes de l’agglomération dijonnaise pour soutenir des projets structurants qui portent sur plusieurs millions d’euros. Nous avons contractualisé avec Talant, Chevigny-Saint-Sauveur. Nous sommes en discussion avec Chenôve, Fontaine-lès-Dijon. L’investissement public, il doit être mobilisé pleinement ».

 

DLH : Vous évoquez différentes communes de l’agglomération qui vont bénéficier de votre soutien. Des communes de droite et de gauche. Vous n’évoquez pas Dijon ?

F. S : « J’ai vu que Dijon souhaitait contractualiser. C’est bien. Bienvenue. J’accueillerai bien volontiers le maire pour qu’il me fasse part de ses projets. Dans tous les cas, les Dijonnaises et Dijonnais doivent savoir qu’ils peuvent compter sur le département de la Côte-d’Or. Nous sommes et nous resterons très présents aux côtés des familles, de l’enfance, des collèges, de l’activité économique, de l’emploi, des associations y compris du ressort culturel. Je ne sais pas si chacun le mesure mais nous avons 11 espaces « Solidarité Côte-d’Or » dont deux agences sur l’agglomération dijonnaise. En 2019, au travers ces deux structures, nous avons aidé 8 000 familles sur l’agglomération, accompagné 2 500 enfants, versé pratiquement 8 millions d’euros pour les personnes âgées…».

 

DLH : Vous affichez également la volonté de rendre plus attractifs les services départementaux. Comment comptez-vous vous y prendre ?
F. S :
« L’idée derrière tout ça, c’est de rendre nos postes attractifs. C’est de rendre la Côte-d’Or encore plus attractive. Nous avons besoin de compétences dans nos équipes. Pour cela, nous avons mis en place un dispositif d’accompagnement financier pour tous les agents qui s’investissent. Et comme nous sommes dans un monde de compétition, il nous faut être en capacité d’accueillir des talents dans la fonction publique. Il y a l’urgence de la crise à laquelle il faut répondre mais il y a aussi des défis du futur qui sont considérables. Il faut se préparer à faire face aux mutations profondes dans la relation au commerce, au numérique… C’est un vrai projet politique au sens humaniste du terme. Tant pis pour ceux qui sont restés sur des schémas du siècle précédent avec d’un côté la ville et de l’autre la campagne. La pandémie a révélé un retour vers ses racines, à la campagne, pour se protéger. Nous vivons là une mutation profonde et notre fil conducteur sera de se voir un avenir partout sur le territoire. Les modèles d’urbanisation croissante, de densification sont complètement dépassés. On peut les justifier, les expliquer comme on veut mais je reste persuadé que ça ne correspond plus aux aspirations des gens. La concentration urbaine, c’est aussi la concentration des problèmes, des violences. Je n’évoquerai pas les incidents survenus à Dijon car vous ne me verrez jamais agiter des chiffons sur ces sujets. Je l’ai dit lors de la dernière session départementale et je vais le répéter : je ne suis pas en combat, je ne suis pas en guerre contre François Rebsamen. J’ai du respect pour son parcours, son engagement. La seule guerre que je mène, c’est contre la pauvreté, la précarité qui ne cessent de monter. La divergence de vue que je peux avoir avec François Rebsamen, elle est profonde et porte sur ce que doivent être la Côte-d’Or dans son ensemble et la France demain.

Je crois que le destin de Dijon est lié à celui de la Côte-d’Or et le destin de la Côte-d’Or est indissociable de celui de Dijon. Je me réjouis d’être arrivé enfin au terme des transferts de compétences qui sont, somme toute, assez limités y compris dans le domaine social. Cela a été une épreuve longue qu’on aurait pu mieux gérer mais il y a eu des revendications de la Métropole restée sur un schéma ancien. Mais l’essentiel, c’est qu’on arrive au terme du processus. Le préfet a tranché les derniers éléments budgétaires. La Métropole assurera désormais la gestion et l’entretien des routes départementales sur son territoire. Dommage que la Métropole soit sortie de Côte-d’Or Tourisme. Le tourisme de Dijon est indissociable du reste de la Côte-d’Or. Désormais, je souhaite une relation apaisée entre le Département et Dijon. Je ferai tout pour y contribuer ».

 

DLH : Les deux confinements ont accéléré le développement du travail à distance et le conseil départemental n’a pas échappé à ces nouvelles obligations. Envisagez-vous de prolonger le télétravail lorsque l’épidémie sera sous contrôle ?

F. S : « Absolument. C’est un phénomène incontournable qui va se prolonger. C’est une tendance qui s’est imposée partout même dans la fonction publique. C’est même une grande chance, une belle opportunité. Avant la crise, nous avions déjà plus de 200 agents en télé-travail avec des moments de réunion en présentiel pour éviter la désocialisation. Le travail à distance va s’accélérer. C’est incontournable. La digitalisation, la révolution numérique, le déploiement du très haut débit vont nous permettre de travailler dans des lieux éloignés des sièges. Ma volonté est que la fibre arrive dans chaque foyer côte-d’orien. Elle permettra de développer son activité là où on vit. De nouvelles perspectives d’équilibre territorial vont s’ouvrir ».

 

DLH : Les compétences exercées par le Département touchent différents domaines et notamment les personnes âgées. Pensez-vous qu’il aurait fallu imposer un confinement particulier à nos aînés, ce que le chef de l’Etat a jugé inacceptable sur un plan éthique ?

F. S : « Non. Cela n’a aucun sens. Il faut que les plus fragiles se mettent en situation de se protéger. C’est ce qu’il faut recommander. Il n’est pas question de cibler, de discriminer tout particulièrement une catégorie de population et la confiner de force. Chacun se doit d’être prudent, appliquer la distanciation sociale et les gestes barrière ».

 

DLH : Les actions du conseil départemental pour soutenir les filières agricoles mais aussi pour favoriser, dans le même temps, une alimentation saine, authentique et durable pour les consommateurs, n’auront pas manqué en cette année très particulière. Avez-vous le sentiment que le « 100 % Côte-d’Or » est désormais bien ancré dans les esprits ?

F. S : « La marque Côte-d’Or est en train de prendre toute sa place. Dans les boulangeries, les fromageries… C’est un éco-système de grande ampleur qui prend forme. C’est le début d’une formidable aventure. C’est une marque d’avenir. Dans les collèges du département, 30 % de ce qui est servi dans les cantines est produit en Côte-d’Or. Notre objectif est de dépasser les 50 %.

On voit bien qu’avec le confinement on a redécouvert le local et la volonté de savoir d’où viennent et comment ont été faits les produits que nous consommons. Ce mouvement, il sera incontournable. Dès lors, nous avons une grande chance en Côte-d’Or : nous disposons de toutes les productions agricoles nécessaires à nos repas et nous bénéficions de cette appellation « Bourgogne – Côte-d’Or » qui connaît un réel succès et qui s’imposera très vite dans les appellations génériques. Nous nous sommes engagés dans un programme alimentaire territorial pour répondre aux exigences des consommateurs, aux producteurs qui aspirent à de la valeur ajoutée pour mieux valoriser leur travail. Et derrière, c’est de l’emploi et de l’activité. Je pense à cette ferme laitière du Châtillonnais. Deux personnes y travaillaient. Elles ont décidé de faire du yaourt et, aujourd’hui, ce sont 10 personnes qui participent à la production.

Nous voulons également faire des restaurateurs des ambassadeurs. Je leur ai demandé, dès que les circonstances le permettront, de faire des repas 100 % Côte-d’Or ».

 

DLH : Les Jardins du Département accueilleront un marché de producteurs et artisans « 100% Côte-d’Or » qui aura lieu les vendredi 4 et samedi 5 décembre 2020. Ce sera le seul marché de Noël à Dijon et un des rares dans le département ?

F. S : « Ce marché se fera naturellement dans le strict respect des règles sanitaires. Ce sera un marché alimentaire. C’est un espace à la disposition des producteurs de « Bienvenue à la ferme » sans moment festif, sans dégustation. En revanche, on pourra y faire ses courses pour les fêtes de fin d’année ».

 

DLH : Et concernant Noël, vous avez demandé au Préfet et aux maires de permettre aux producteurs de sapins de Noël naturels de bénéficier des circuits de commercialisation extérieurs habituels, à savoir les espaces de vente temporairement délégués par les enseignes nationales et les stands dédiés à la vente directe auprès des particuliers. Avez-vous été entendu ?

F. S : « Oui. Pour l’occasion, j’ai sollicité directement le Premier ministre que je connais depuis très longtemps. Nous avons une grosse production de sapins dans le Morvan et je me suis beaucoup battu pour sa reconnaissance. Il fallait absolument écouler cette production destinée aux fêtes de fin d’année. Le gouvernement a entendu ce message et c’est très bien.

Par ailleurs, je ne comprends pas le comportement erratique de certains élus à l’égard du sapin de Noël. Il faut arrêter cette écologie dogmatique ».

 

DLH : « Les maires et les élus locaux doivent redevenir les interlocuteurs indispensables de l’Etat pour une application des réformes -elles-aussi indispensables- au plus près du terrain » : ce message, vous l’avez adressé lors de la traditionnelle présentation de vos vœux en janvier dernier. Pensez-vous avoir été entendu par Emmanuel Macron et les représentants de l’Etat ?

F. S : « Il faut travailler davantage avec les élus locaux. C’est ce que j’ai redit au Premier ministre lors de sa récente visite à Dijon. Il y a eu beaucoup d’incompréhensions et il y en a encore. Je les comprends et je les partage notamment sur la fermeture des restaurants.

J’ai vu Emmanuel Macron au cours de l’été. Je lui ai dit, et il en a convenu, que les départements, par rapport à des régions très lointaines et des métropoles repliées, avaient pu faire marcher la solidarité à plein avec l’ensemble des habitants et des communes. Même si nous avons d’excellentes relations avec les préfets, force est de reconnaître que nous avons un appareil d’Etat qui est encore trop technocratique. Il faut que l’Etat central se réforme fortement et se concentre avant tout sur ses missions régaliennes. Par ailleurs, le directeur de l’Agence régionale de Santé est revenu à de meilleurs sentiments à l’encontre des élus et je souhaite un travail efficace sur les EHPAD dont nous avons la co-tutelle ».

 

DLH : Et pourtant la SNCF a annoncé l’annulation de 75% des TGV à l’échelle nationale, et notamment la diminution de 7 à 2 aller-retours par jour entre la Côte-d’Or et Paris.

Une décision qui entérine donc la suppression de l’arrêt TGV de Montbard pour Paris le matin à 7 h 01… N’est-ce pas là une décision arbitraire prise sans concertation ?

F. S : « Je comprends les difficultés de la SNCF. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins de monde qui utilise les trains. Pour autant, cela ne doit pas mettre en danger les services minimum et fragiliser l’attractivité d’un territoire. S’agissant de Dijon ou de Montbard, il nous faut pouvoir accéder à la capitale et en revenir dans la journée, même en situation de crise. Je souhaite que nous obtenions des garanties pour ne pas revivre des situations comme on en a connu dans le passé avec des suppressions d’arrêts. Il y a des enjeux climatiques et le train est un excellent outil pour éviter la voiture mais encore faut-il qu’il corresponde à notre façon de vivre et de travailler. C’est tout le sens d’un vœu que nous avons voté à l’unanimité lors de notre dernière session ».

 

DLH : Réunis en commission permanente, vendredi 20 novembre, les élus régionaux ont voté près de 126 millions d’euros d’aides en faveur de l’emploi, de l’écologie, de la solidarité et des territoires. Est-ce suffisant au regard de la crise inédite que nous traversons ?

F. S : « La région perd pied et je ne comprends pas qu’on ne soit pas plus engagé sur de grands axes. Nous avons des atouts considérables qu’il faut sauvegarder : automobile, agro-alimentaire, recherche… Ces atouts, il faut les mobiliser. Et c’est là que je trouve que la Région part dans tous les sens plutôt que de cibler les accompagnements financiers. Personnellement, je suis très intéressé de voir ce qui va être consommé comme crédits à partir des chiffres annoncés. Il suffit d’écouter les acteurs économiques pour voir combien ces aides sont compliquées. Au conseil départemental, il est facile de mesurer les effets du plan de soutien : 80 % des sommes ont déjà été débloquées.

Il y a plusieurs cibles sur lesquelles il faut se concentrer : il faut soutenir la restauration qui incarne l’image de la Côte-d’Or et de la Région. On sait qu’il va y avoir beaucoup de dégâts. Il faut soutenir aussi les bars, tous ces lieux de rencontres, les artisans mais aussi la structuration territoriale de l’emploi et ensuite se concentrer sur les grands projets industriels avec l’aide du plan de relance de l’Etat. Au lieu de cela, ça part dans tous les sens. La preuve, le travail fait avec les communautés de communes a nécessité de revoir trois fois la copie.

Même pour nous réunir, la présidente s’aperçoit très tardivement qu’elle ne dispose pas des décrets pour le faire. C’est de l’amateurisme total. L’affichage pour illustrer la volonté est là, certes, mais les faits ne suivent pas. Chaque fois, on dit qu’on verra ça demain, on remet un plan sur le plan qu’on vérifiera après-demain… En la matière, cela devrait être simple : je consacre combien ? Pour quels effets ? Et ensuite j’évalue et je rends compte… Chaque euro dépensé doit être utile pour sauver les entreprises, les emplois, les activités de proximité et, en même temps, se préparer à demain parce qu’on sortira de cette crise.

Sur l’agro-alimentaire, qu’a fait la Région ? Du « J’veux du local » dans tous les départements et tout particulièrement de la communication sur l’ensemble des plate-formes. J’attends aujourd’hui de la Région qu’elle soit en capacité de mobiliser toutes les entreprises, toutes les start-up pour faire en sorte qu’on puisse avoir du « click and collect », comme on le dit, organisé à l’échelon de chaque ville. Là, nous serions utiles. Je rêve d’un Amazon départemental. Que la Région m’aide à le faire. On est capable de faire livrer chez soi une paire de chaussures venue de je ne sais où mais on est incapable de se faire livrer des légumes produits autour de nous. Le drame de la politique, c’est le fossé qui se creuse entre les déclarations et la réalité vécue par nos concitoyens. C’est dans ce fossé là que se creusent les désillusions, les colères, les impatiences, les incompréhensions… Au Département, quand on dit quelque chose, on le fait. Je dis à tous, Dijonnais compris, vous pouvez compter sur le Département. J’ai envie qu’on contribue avec les citoyens à forger l’histoire de Dijon et du Département. Pas l’un sans l’autre. Je me sens autant dijonnais que vitellien ».

 

DLH : Les prochaines échéances régionales et départementales sont fixées en mars prochain. L’ancien président du Conseil constitutionnel a remis son rapport à Matignon qui préconise un report de mars à juin sous condition. Y êtes-vous favorable ?

F. S : « Je n’ai pas de commentaires à faire la dessus. Si le gouvernement décide du report des élections, dont acte. Ces élections imposent un vrai débat démocratique, des rencontres avec les citoyens et la période de confinement n’y est pas favorable. Il faut tirer les conclusions de tout ce qui s’est passé au moment des élections municipales. J’observe qu’il y a une convergence pour reporter les élections au 20 et 27 juin. C’est une décision sage à la lumière de ce qu’on a vécu. C’est pourquoi ça ne me pose aucune difficulté particulière. Je souhaite me consacrer à l’avenir du département de la Côte-d’Or et j’annoncerai ma décision le moment venu ».

 

DLH : Et pourquoi pas un vote numérique et / ou un vote par correspondance ?

F. S : « Je suis extrêmement réservé sur le vote par correspondance. La liberté de vote, c’est une formidable conquête et elle ne doit pas être soumise à influence familiale. Le vote par correspondance, il s’effectue dans son environnement. Avec le vote individuel, dans l’isoloir, vous êtes seul face à votre conscience. Quant au vote numérique, il pose, à mon sens, les mêmes problèmes ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre