Le projet d’alimentation durable à l’horizon 2030, qui a fait que la métropole a été retenue par le gouvernement comme Territoire d’innovation de grande ambition, apportera sa pierre au consommer local. Le vice-président de Dijon Métropole, Philippe Lemanceau, détaille le mieux-manger qui entraîne le mieux-produire… et vice-versa.
Dijon l’Hebdo : Le projet TIGA d’alimentation durable à l’horizon 2030 mobilise nombre d’acteurs. Que ce soit le tissu économique et d’innovation, académique, etc. N’est-ce pas aussi et surtout ce qui fait sa force pour favoriser l’évolution vers une alimentation de qualité ?
Philippe Lemanceau : « La transition alimentaire, qui a été engagée par François Rebsamen depuis bien longtemps, s’est, en effet, concrétisée avec ce projet mobilisant les forces vives du territoire. Cette construction s’est faite progressivement grâce à l’interaction des acteurs territoriaux, économiques, académiques mais aussi des citoyens qui seront encore plus mobilisés. Nous sommes en train d’explorer des voies afin de favoriser encore plus leur implication afin qu’ils soient bénéficiaires mais, dans le même temps, acteurs du changement. La première manière dont ils sont acteurs est par leur acte d’achat. Sur l’aspect Nutri-Score (1), nous avons bien vu que certaines grandes marques qui n’étaient pas partantes à l’origine ont dû s’engager sur cette voie. Et ce n’est pas anodin ! »
DLH : Comment allez-vous œuvrer concrètement à favoriser ce mieux consommer ?
P. L : « Je préfère dire mieux-manger, parce que cela regroupe le fait d’acheter les aliments et également de les accomoder. L’évolution de nos modes alimentaires privilégiant les produits bruts, à l’instar des fruits et légumes, des légumineuses, de la viande de bonne qualité (mais consommée moins fréquemment)… est essentielle. C’est en fait le respect des recommandations du Plan national nutrition santé. Le mieux-manger implique des actes d’achat plus éclairés. Ce n’est possible que si le consommateur est informé et qu’il puisse alors faire le choix pour lui-même en fonction de critères de santé mais aussi du goût, de son plaisir. Pour manger mieux immpliquedes produits de meilleure qualité mais à des prix qui restent accessibles. Au niveau de la ville et de la métropole, nous défendons pleinement le mieux-manger accessible à tous, comme élément majeur de la sociale-écologie. Tout le monde doit en bénéficier et cela ne doit pas être source de ségrégation. C’est l’un des points clés de notre politique… Cela se concrétise, notamment, par des repas de qualité pour les enfants mangeant à la cantine accessibles pour toutes les familles grâce leur subvention selon le quotient familial (prix moyen d’un repas payé par les familles dijonnaises égal à 3,91 € pour un prix de revient est de 12,91 €) ».
DLH : Le mieux-manger favorise le mieux-produire et vice-versa…
P. L : « En retour, le mieux-manger va inciter les producteurs à faire évoluer leurs systèmes de culture pour qu’ils fournissent des produits de meilleure qualité qui seront mieux valorisés. Avec la notion de traçabilité que l’on va mettre en place, ces produits de meilleurs qualité obtenus avec des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement seront facilement identifiables par les consommateurs qui accepteront de payer légèrement plus chers les produits correspondants. Les agriculteurs bénéficieront ainsi d’une meilleure rémunération de leur travail et d’une réhabilitation de leur rôle dans la société. L’idée est ainsi de contribuer à la cohésion sociale… Cette traçabilité, origine locale et qualité des produits ainsi que qualité de l’environnement, sera garantie par un label contrôlé par un organisme certificateur indépendant. Il faut dire que nous disposons d’un levier important pour amorcer la transition avec l’approvisionnement de la Cuisine centrale. A Dijon, nous allons largement au-delà de la loi EGalim et de ses exigences sur les produits locaux de qualité. Cela permet déjà d’amorcer la pompe et de faire évoluer les systèmes de culture fournissant des produits mieux valorisés, en particulier avec la Cuisine centrale qui représente, tout de même, 8000 repas par jour. Nous sommes également en train de voir d’autres partenaires, comme le CROUS, le CHU… A l’exception naturellement du CHU, cela ne représente que les repas du midi mais il ne faut pas oublier les repas du soir, du week-end, des congés. Hors restauration collective, nous avons une marge de progression qui est de taille. C’est dans ce sens-là que je précisais, en amont, que l’acte d’achat des citoyens est important… Le changement de paradigme est aussi que nous fassions évoluer nos habitudes alimentaires, en mangeant moins, en privilégiant les protéines végétales et donc en consommant moins de viande mais de bonne qualité, et également en gaspillant moins. Il s’agit de redonner de la valeur aux aliments. Ce que nous mangeons impacte notre santé mais aussi l’environnement dans lequel nous vivons ! ».
DLH : Vous maintenez, voire même développez, la surface des terres agricoles sur le territoire de la métropole. Mais encore faut-il que des maraîchers puissent s’installer… Comment allez-vous favoriser leur implantation ?
P. L : « Je rencontre actuellement les maires des villes de la métropole afin de voir si des terres peuvent être mises à disposition de maraîchers qui souhaiteraient s’installer. Il faut savoir qu’un maraîcher peut faire vivre une famille sur une surface relativement restreinte tout en fournissant des légumes à de nombreux citoyens. Il faut trouver un cadre juridique et un cadre financier permettant à des jeunes et à des moins jeunes de s’installer. Car cela représente un investissement de taille, eu égard au foncier mais aussi aux équipements nécessaires. Un jeune peut très bien avoir suivi une formation et avoir envie mais s’il ne dispose pas des moyens financiers pour le faire c’est très compliqué. Au niveau de la métropole, avec les maires, nous sommes en train de réfléchir à un système leur permettant de s’implanter. Il ne faut pas oublier non plus le projet de légumerie qui est en cours et qui sera soumis prochainement au conseil métropolitain. L’idée est que cette légumerie assure l’approvisionnement de la Cuisine centrale mais aussi qu’elle soit modulable. C’est à dire qu’elle puisse, au fil du temps, monter en puissance parce que la cuisine centrale peut, elle aussi, être amenée à évoluer dans le futur. Il faut que l’on puisse se projeter ».
DLH : La prise de conscience des citoyens n’a de cesse de s’accentuer dans le domaine environnemental… Et c’est notamment vrai sur l’empreinte carbone ?
P. L : « L’évolution est claire : de façon tout à fait légitime, les citoyens demandent des informations sur ce qu’ils mangent mais aussi sur l’environnement dans lequel ils vivent. Ces informations passent forcément par des indicateurs. Avant la Covid, au printemps, ce qui n’est tout de même pas si vieux, les jeunes manifestaient dans la rue pour le climat. Cette demande est toujours prégnante. Au niveau des indicateurs que nous allons mettre en place, nous allons mesurer l’empreinte carbone de l’alimentation d’un citoyen dijonnais. Cette empreinte carbone intégrera le coût carbone des productions agricoles, de leur transformation, de leur distribution et finalement de leur consommation. Au niveau de la production, on prendra en compte le bilan du Carbone qui entre dans le système via la photosynthèse des plantes et qui est pour partie stocké dans le sol, mais également le coût Carbone représenté par ce que l’on appelle les externalités. Ainsi, les systèmes proposés privilégieront la culture de légumineuses permettent de réduire l’usage d’engrais azotés couteux en énergie fossile (une tonne d’engrais azoté représente environ 750 kg d’énergie fossile). En matière de transformation, si au lieu de faire des montées en température avant de congeler, on fait des innovations avec, par exemple, de la fermentation, le coût en énergie sera sans commune mesure. Si en matière de distribution, on fait du local plutôt que de faire venir des produits lointains, on comprend bien que le coût carbone sera là-aussi fondamentalement différent. Et, pour finir sur la consommation, la limitation du gaspillage alimentaire, comme on l’a fait à hauteur de 40% dans les cantines scolaires de Dijon, est une contribution majeure à la réduction de l’empreinte carbone. Même chose si on remplace une partie des protéines animales par des protéines végétales… »
DLH : Outre le label, quels indicateurs allez-vous mettre en place ?
P. L : « Un Observatoire de la transition alimentaire est prévu, il renseignera un panel d’indicateurs, portant sur la qualité des produits, de l’environnement mais aussi sur la satisfaction des usagers (citoyens et acteurs de la filière). Et nous pourrons voir l’évolution de ces indicateurs au cours du temps ce qui permettra au citoyen de juger par lui-même des progrès ou bien des difficultés. Un autre exemple : même si la vigne n’est pas dans le projet TIGA, nous réfléchissons à la Métropole sur la possibilité de faire un parcours où les familles pourront directement observer la biodiversité, avec des conduites en raisonnée ou en bio. De visu, ils pourront voir les insectes qui sont des bio-indicateurs. Le citoyen pourra ainsi voir comment évolue la biodiversité sur le territoire… »
(1) Le Nutri-Score est un système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge, établi en fonction de la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire
DLH : Le Plan local de l’urbanisme intercommunal-habitat déplacement (PLUI-HD) participe également à la préservation des terres agricoles…
Philippe Lemanceau : « Le choix a, en effet, été fait de préserver les terres agricoles en redistribuant la ville sur elle-même. Cela permet d’avoir une agriculture de proximité de qualité. Et cela contribue aussi à la régulation du climat, parce que ces sols agricoles participent à la captation du Carbone de l’atmosphère. C’est d’autant plus vrai lorsque ces sols sont cultivés avec un couvert continu de végétation. Les plantes représentent en effet les premiers capteurs solaires. Les systèmes agricoles qui seront privilégiés visent à limiter minéralisation de la matière organique aux périodes où les plantes sont en croissance valorisant ainsi les éléments nutritifs libérés et compensant le trade-off représenté par l’émission de CO2 associé à la minéralisation. Le PLUI-HD est essentiel, tout comme le mode de gestion des terres. Pour cette gestion des terres, nous ferons une cartographie avec un fort niveau de résolution des propriétés physico-chimiques mais surtout biologiques pour établir une diagnostic qui sera valorisé pour l’aide à la décision du mode de gestion de sols permettant la fourniture des services attendus. Ainsi, on pourra établir l’objectif du niveau de Carbone à atteindre dans les sols en fonctions de leurs propriétés, objectif qui sera intégré dans le label que nous souhaitons mettre en place. On comprend en effet bien qu’en fonction du type de sols – sableux, argilo-calcaire, etc. –, il ne sera pas le même. Après, avec une dynamique de sciences participatives, nous accompagnerons les agriculteurs afin d’identifier les pratiques permettant d’atteindre au mieux les objectifs fixés ».