Pas moins de 9 250 élèves sont inscrits à la restauration scolaire dans les écoles dijonnaises, où la Ville n’a de cesse d’augmenter, depuis des années, la part du bio et des produits locaux. L’adjoint dijonnais Franck Lehenoff nous explique les enjeux de l’alimentation scolaire mais également met en exergue le rôle majeur de levier joué par la Cuisine centrale.
Dijon l’Hebdo : Plus de 66% des menus ont au moins un produit bio par repas en plus du pain qui lui est 100% bio. Au fil des dernières années, la part du bio et du local a progressé dans les assiettes des élèves dijonnais. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Franck Lehenoff : « Nous avons atteint 35% de produits bio et 20% de produits locaux avec l’idée de monter en puissance en 2021. Nous dépassons les exigences de la loi EGalim (1). La progression dans ces domaines a été manifeste. Précédemment il s’agissait du menu alternatif et là nous proposerons à terme à la fois aux familles un menu carné et un menu végétarien quotidien. Notre offre d’un menu végétarien est actuellement hebdomadaire. Avec l’avènement de la légumerie, produisant 500 tonnes de légumes locaux par an et la reconquête des terres agricoles, l’approvisionnement sera possible. Un ou deux ans seront nécessaires. Il est essentiel que les familles gardent une souplesse d’inscription sur le restaurant scolaire, c’est à dire qu’elles puissent réserver les repas à trois jours et que, dans le même temps, on n’ait pas de différend. Je vous donne un exemple : si l’on part sur un steak de lentilles, si un autre enfant a un steak de bœuf, certains de ses camarades peuvent lui demander pourquoi il mange cela. Avec une sauce identique aux deux propositions de menu, on retrouvera l’égalité dans l’assiette. On travaille donc les fonds de sauce… »
DLH : Pourquoi ne pas fixer un cap encore plus ambitieux en matière de bio dans les assiettes ?
F. L. : « On pourrait en effet se dire que, dans quelques mois, on passe au 100 % bio. On donnerait cela au secteur privé qui nous donnerait des éléments bio mais avec, parfois, une qualité très moyenne. Je prends l’exemple des kiwis de Nouvelle-Zélande. Les coûts seront tirés a maxima, la qualité ne sera pas au rendez-vous mais, en affichage, il pourra être dit que c’est du 100% bio. Non, notre idée est d’avoir des produits bio de saison, de qualité et qui soient locaux. Je tiens énormément au fait que ces produits soient accessibles à tous. Le confinement qui a entraîné des difficultés économiques chez nombre de familles a montré que c’était capital. Le repas à 1 € dans les cantines dijonnaises pour les familles qui gagnent moins de 1200 € reste un coût accessible. Lors du confinement, afin de nourrir leurs enfants, les familles se sont retrouvées dans des supermarchés qui n’étaient plus, par exemple, approvisionnés en pâtes 1er prix, si bien qu’elles ont dû s’orienter vers des pâtes de marque à 2 € le paquet… »
DLH : La lutte contre le gaspillage alimentaire apporte également sa pierre à l’édifice…
F. L. : « Tout à fait. C’est grâce à cela aussi que nous avons pu augmenter la part du bio et du local dans les assiettes des élèves dijonnais sans augmenter le coût du repas pour les familles et la collectivité. En matière de gaspillage, nous sommes passés de 160 g par assiette de déchets à 90 g. Comment avons-nous fait ? D’une manière très simple, les enfants se servent à table. En se servant, c’est voir quel est l’appétit du moment ? Est-ce que j’ai faim, est-ce que j’ai moins faim aujourd’hui ? Dans le même temps, c’est aussi tenir compte de ses camarades installés à la table. Imaginons que ce soit des frites, particulièrement appréciées, ils pourraient en prendre un maximum mais, alors, ils priveraient leurs amis des mêmes frites. Il y a à la fois la dimension individuelle de l’enfant et la dimension collective. Cette baisse a été réalisée de manière scientifique avec l’accompagnement de l’ADEME pour mesurer le gaspillage à l’entrée et à la sortie des restaurant scolaires. Nous n’arriverons jamais à 0, mais les épluchures d’orange ou les os des cuisses de poulet seront compostables… »
DLH : La consommation en aval entraîne également des changements de pratiques en amont. Est-ce un véritable cercle vertueux que vous escomptez mettre en place ?
F. L. : « Le problème pour les producteurs qui sont seuls et qui ne disposent pas d’une grande exploitation réside dans le fait qu’ils sont exclus des marchés publics. Ils ne peuvent pas participer à l’approvisionnement en grandes quantités. Pour 7 500 repas par jour, c’est quasi une tonne de pommes de terre. Notre idée, en amont, est qu’ils se regroupent pour pouvoir répondre aux demandes de la Cuisine centrale mais aussi que nous n’ayons pas d’exigences quant à la hauteur de l’approvisionnement à tel moment de l’année. Ainsi, nous pouvons même partir avec ces producteurs pour une purée tout en allant avec d’autres qui produisent de façon plus importante. Un gros travail en amont a été réalisé par les services de la Ville pour aller à la rencontre des producteurs et voir quelles étaient leurs capacités. Une autre dimension est, en effet, importante : cela leur permet aussi d’avoir plusieurs ressources parce qu’il ne faut pas qu’ils soient non plus dépendants de la Cuisine centrale. Il faut qu’ils puissent aussi travailler en direct auprès des consommateurs ou encore auprès des industriels. Et je pense aussi que cela va permettre à des producteurs de commencer leur transformation pour aller vers de nouveaux types d’agriculture. ».
DLH : Sans la régie directe, avec la Cuisine centrale, choisie par Dijon, pensez-vous que ce serait beaucoup plus difficile à mettre tout cela en place ?
F. L. : « Le confinement a eu beaucoup d’inconvénients mais il a montré que le système de service public avec des agents territoriaux de la Cuisine centrale, en régie directe, fonctionnait parfaitement. Nous avons pu ainsi approvisionner sans aucun problème les enfants des personnels soignants. D’autres communes qui étaient avec la Sodexo ou autres ont eu beaucoup plus de difficultés, avec des coûts fixes changeant. C’est un axe fort de notre politique et cela le restera ! Tout comme les prix des repas que nous pratiquons à Dijon dans les cantines scolaires en fonction des ressources financières des familles à la différence du Département qui a choisi un tarif unique pour les collégiens. C’est, pour nous, une question essentielle de justice sociale. Sur les 12,91€ que coûte en moyenne un repas, la Ville prend en charge pas moins de 7,69 €, si bien que toutes les familles ont accès au bio et à la qualité ! »
DLH : Une enquête réalisée par Greenpeace de janvier à mars 2020 a montré que Dijon « était bon élève – notamment avec son menu végétarien hebdomadaire – mais qu’elle pouvait mieux faire ». Qu’en avez-vous pensé ?
F. L. : « J’ai envie de vous dire que c’est très bien. Le fait que des associations militantes viennent gratter, cela évite ce que j’appelle la toute puissance. Greenpeace a relevé qu’il restait encore du travail à faire, notamment sur la qualité de la viande. Dans le renouvellement des marchés, il y a une insistance très forte afin d’avoir, dans ce domaine aussi, des produits bio et locaux. La qualité devrait augmenter largement, avec différents labels : viande biologique, Label Rouge… Et nous n’oublions pas non plus la question du bien-être animal qui va avec, les conditions dans les abattoirs, etc. »
DLH : Avec ces commandes d’achat de taille, la Cuisine centrale représente un levier important qui peut largement faire évoluer à la fois les modes de production mais également les habitudes alimentaires…
F. L. : « Pour moi qui ait une formation psychologique, la Cuisine centrale a des effets systémiques. Nous sommes sur la consommation des élèves mais aussi, comme on vient de le voir, sur les regroupements de producteurs, sur la liberté de pouvoir transformer les produits, ce qui nous permet de travailler la question du goût, l’aspect éducatif. Cela encourage évidemment et, quand l’on sait qu’alimentation et santé vont ensemble, c’est une excellente chose ! »
DLH : Le Conseil municipal des Enfants a élaboré un guide pour les plus jeunes sur le « bien-manger, bien-bouger ». N’était-ce pas aussi une façon de sensibiliser à une alimentation de qualité ?
F. L. : « C’est, une fois de plus, le fait de ne pas voir que le produit fini et transformé et être seulement dans la dimension j’aime ou je n’aime pas. Qu’est-ce qu’un produit ? D’où il vient… Cela permet de mettre en exergue des questions essentielles d’existence, de production, du travail de la terre. C’est une dimension importante portée par le Conseil municipal d’enfants. Les enfants sont aussi, je pense aujourd’hui, dans cette conscientisation de revenir à des choses essentielles ».
Propos recueillis par Camille Gablo
(1) La loi EGalim – pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentation sain –, comporte de nombreuses mesures pour la restauration collective : interdiction du plastique, repas dit « végétarien », produits bio, lutte contre le gaspillage alimentaire…
« La question de l’eau »
DLH : 24% des gaz à effet de serre sont produits par notre alimentation et notamment par l’élevage. En œuvrant pour le bio et les circuits courts, vous œuvrez ainsi également à la lutte contre le réchauffement climatique…
Franck Lehenoff : « C’est une certitude mais je voudrais également évoquer l’exemple de l’eau. Celui-ci est particulièrement prégnant avec les épisodes de sécheresse que l’on a connus. Cet exemple permet aussi d’expliquer l’intérêt de proposer un menu végétarien. Pour un kilocalorie de viande, il faut 2,5 l d’eau et pour l’équivalent en protéines végétales (lentilles, soja…), il ne faut qu’un demi-litre de l’eau. Certaines communes, comme Lons-le-Saunier par exemple qui sont aussi au bio et au local, ont pris comme point de départ la question de la ressource en eau. Ils ont constaté à la fin des années 90 qu’ils avaient une eau polluée. La source de pollution a été identifiée sur les terres et ils ont alors travaillé avec les producteurs de blé notamment afin de les faire passer en bio. La qualité de l’eau s’est améliorée et ils ont mis en place le circuit vertueux que j’évoque. C’est comme la question du rejet des gaz à effet de serre. Tout est lié… »