Président de l’Association des maires de Côte-d’Or, Ludovic Rochette a été omniprésent pour faciliter l’implication des élus dans la « guerre sanitaire » contre le Covid-19 mais aussi depuis la levée du confinement. Et, face à la crise économique et sociale qui se dessine, le vice-président du conseil départemental donne des pistes afin que les collectivités puissent pleinement jouer leur rôle… Il en appelle notamment à une révolution de la contractualisation avec l’Etat.
Dijon l’Hebdo : Lors de la crise sanitaire, l’Association des maires de la Côte-d’Or que vous présidez a été particulièrement active afin d’être en soutien des élus locaux qui, eux mêmes, se sont battus sur tous les fronts. Ce fut une période où le maire mais aussi la commune ont été remis – si vous me permettez l’expression – au centre du village…
Ludovic Rochette : « Lors de la dernière assemblée générale des maires, j’avais qualifié le mandat 2014-2020 des maires de « mandat de chien », et, en réalité, nous ne soupçonnions pas que la fin de mandat nous conduise à une situation aussi extraordinaire, au sens littéral du terme. Cette fin a été encore bien plus dure que le reste du mandat où, en fin de compte, les difficultés n’avaient été que financières, de compétences… Là, nous avons achevé le mandat sur des vraies questions de survie, avec de véritables drames. Nous connaissons tous quelqu’un, directement ou indirectement, qui a été malade, qui est décédé. Le confinement, qui a été une décision difficile, a montré une conception de l’Etat centralisé, uniforme, ayant décidé de faire tout de façon identique partout. Et puis, s’il faut trouver un seul bénéfice à cette période, la conception de l’aménagement du territoire a changé, le déconfinement n’a pas été uniforme, il a été territorialité. On parle beaucoup du couple préfet-maire, préfet-président d’intercommunalité, représentant de l’Etat-bloc communal. L’Etat n’a pas eu le choix que de s’appuyer sur les élus locaux. L’arbre mère cache quand même la forêt. Dans toutes les communes, il y a des conseillers municipaux, le CCAS, des bénévoles… Avec l’échelle communale, appuyée par les intercommunalités, nous avons des bataillons de personnes qui travaillent en proximité. Et j’espère que cette prise de conscience de l’Etat sera pérenne. D’autant plus dans la situation post-Covid – j’espère au demeurant que nous sommes dans l’après –, où on doit avoir tous les acteurs tournés vers la relance. Les fantassins de la République, selon l’expression de François Baroin, sont essentiels parce que nous avons une autre bataille qui débute ».
DLH : C’est dorénavant chose faite après une longue période de latence : les conseils municipaux sont installés et ceux-ci doivent faire face à une crise économique et sociale. Comment faire pour qu’ils apportent efficacement leur pierre à la relance ? L. R. : « Nous avons été sur une fin de mandat très longue et ce qui s’est passé lors du 2e tour des élection municipales, le 28 juin dernier, a représenté la fin d’un cycle interminable. Bien sûr que nous regrettons tous le taux d’abstention très fort, qui n’est pas que dû à la situation sanitaire, mais au moins les communes ont pu être installées, les intercommunalités le seront d’ici le 17 juillet. Nous allons avoir maintenant un cycle qui va aller très vite : la fin de l’année 2020 – voire l’année 2021 – durant laquelle il faut que le cadre de la commande publique se libère. L’Etat a déjà fait des efforts mais il faut aller encore plus loin, pour que les collectivités puissent décider des investissements et les lancer. Les entreprises doivent avoir un carnet de commandes soutenu actuellement. L’autre enjeu est que celui-ci soit pérenne sur plusieurs exercices. Il faut relever les seuils de marchés publics, libérer les délais pour faire passer les marchés. Et je remarque que, là encore, ce sont les collectivités qui donnent l’exemple. Néanmoins, nous ne devons pas être dans une situation où les collectivités aient à se substituer encore une fois à l’Etat dans l’exercice de la relance. Elles ont un rôle très important à jouer mais il en va aussi de leur capacité d’investissement pour le mandat car, s’il n’y a pas des investissements en 2020, on subira des contrecoups fiscaux sur 2021 et 2022. La clef du mandat se joue maintenant. C’est pour cela que j’appelle à une révolution de la conception des lois de Finances de l’Etat : comme on le fait entre les collectivités – je viens par exemple de signer un contrat avec le Département qui apporte dans le cadre d’un programme pluriannuel 1,2 M€ à l’intercommunalité pour 4 M€ d’investissements –, il faut que l’Etat ait une vision pluriannuelle de ses aides aux collectivités. Cela permettrait aux entreprises d’avoir une perception sur plusieurs exercices… Je milite pour ma part sur un contrat de relance triennal ».
DLH : Lors des élections municipales, l’aspiration des Français pour l’écologie – et, de facto, pour un cadre de vie plus durable – est apparue au grand jour. Voilà également un des enjeux majeurs pour les 6 ans à venir…
L. R : « La qualité de vie est, en effet, capitale. Il va falloir investir dans un cadre environnemental mais aussi dans un cadre sanitaire nouveau. Nous ne pourrons plus construire les bâtiments tel que nous le faisions avant. Tout comme pour l’habitat, avec moins de promiscuité, des ouvertures vers l’extérieur, des flux repensés… de quelle manière va-t-on imaginer les espaces d’accueil au public, les systèmes de recyclage d’air… ? Là aussi, dans ces nouvelles conceptions de la ville et du village, nous avons de formidables moyens de relance. Si bien que ce mandat 2020-2026, pour le cadre de vie, s’avère stratégique et, nous n’avons pas le choix, il faut réussir. Mais il faut aussi, durant les 6 ans qui viennent, repenser la relation entre les habitants et leur collectivité. Là encore, je crois réellement au contrat et je ne parle pas que de la dimension financière. C’est à dire que l’on peut très bien imaginer de trouver des accords entre les riverains d’une rue et la collectivité pour savoir ce que l’on veut faire de cette artère. Ces accords pourraient intervenir sur des quartiers. Nous sommes en fin de compte dans une conception de pixellisation. A la fin, ces différents contrats doivent former l’image de l’espace dans lequel on est… ».
DLH : Comment lutter contre l’abstention qui a atteint de nouveaux records lors des récentes élections municipales ?
L. R : « Nous avons eu un cycle lent d’érosion de la participation à l’élection préférée des Français qui est la présidentielle. Là, nous avions une participation particulièrement basse au premier tour des municipales dans un contexte sanitaire particulier. Et, lors du 2e tour, l’abstention a été exponentielle. Elle est factorielle : nous avons à nouveau les questions sanitaires mais il y a aussi la question de la place du concitoyen dans sa commune. En revanche, je vois certains points d’optimisme. Quasiment partout, à l’exception d’une seule commune en Côte-d’Or, nous avons trouvé des volontaires pour travailler pour la collectivité. Rappelez-vous, un an avant les élections, voire quelques mois seulement précédemment, nous n’en étions pas certains. Nous avons même vu dans certaines communes deux ou trois listes qui portaient des projets différents. C’est bien la preuve que la cause municipale intéresse encore. Ensuite, nous assistons à environ un tiers de renouvellement des élus, alors que l’on considère que le mandat est plus difficile. C’est le cas pour les maires mais aussi pour les conseils municipaux, qui, pour beaucoup d’entre eux, sont renouvelés à 50%, voire plus. Et là, l’enjeu de l’Association des maires est de donner les moyens à ces nouveaux élus de pouvoir décider et gérer au plus vite. Et ce, afin qu’ils soient pleinement en situation de participer à la relance que j’évoquais précédemment. Comme on a pu le voir durant la crise sanitaire, l’AMF 21 n’est pas qu’une association de représentation mais elle est un véritable trait d’union… »
DLH : Restons sur cette notion de trait d’union. Vous représentez les maires de toute la Côte-d’Or, de quelque bord politique qu’ils soient, urbains, péri-urbains ou ruraux… Le fait que notre département s’articule autour d’une métropole forte avec des territoires périphériques ruraux ne constitue-t-il pas une difficulté supplémentaire pour que tout le monde avance dans le même sens ?
L. R : « Il ne faudrait pas, en effet, que nous soyons, en situation de crise, bloqués par une multitude d’oppositions entre centralité et périphérie. Nous sommes dans une situation rude et nous ne pouvons pas nous permettre d’être sur ce registre. Nous devons tous nous mettre d’accord sur ce que l’on veut comme avenir pour nos territoires et quelles relations on aura entre ces territoires. Les femmes et les hommes ne s’arrêtent pas aux limites administratives. Les habitants de mon territoire viennent travailler en métropole, beaucoup d’habitants de l’agglomération viennent se reposer sur la base de loisirs d’Arc-sur-Tille. La question est : comment travaillent-on ensemble, en respectant les diversités territoriales et politiques, sur le développement économique, la mobilité, l’habitat, l’eau… ? Ce n’est pas le monde d’après que l’on doit imaginer mais le monde d’aujourd’hui. La passion ne doit pas emmener les excès et nous aurons besoin de raison, de mesure pour que l’on traverse ce début de mandat qui sera bien plus compliqué que le précédent qui avait commencé avec la loi NOTRe. Nous avons des vrais enjeux sociaux, économiques et environnementaux ! »
Propos recueillis par Camille Gablo